mercredi 12 mai 2021

 

Une noisette, un livre
 
Brûlant était le regard de Picasso
Eugène Ebodé

 


C’est l’histoire d’une femme inconnue pour la plupart d’entre nous. L’histoire d’une femme dont l’enfance a été kidnappée, d’une femme née en 1936 d’un métissage avec tout le poids du regard des autres. Elle s’appelle Mado Hammar, figure incontournable dans les Pyrénées-Orientales pour avoir créé, administré nombre d’entités dans le domaine de l’art, elle qui a côtoyé Picasso, Dali, Chagall, Matisse, Soutine…

Edea, Cameroun. C’est là qu’est née une petite fille de mère camerounaise et de père suédois. Gösta Hammar avait déjà une fille, fruit d’une relation avec une native de ce pays où il a débarqué en 1929 à l’invitation de son oncle. Quelques années plus tard il tombe amoureux d’une autre beauté, Monica Yaya. Mais le mariage ne voit pas le jour malgré le désir commun des jeunes gens de faire vie commune. La guerre mondiale éclate et la petite Mado est séparée de ses parents, le père repart en Europe pour une durée indéterminée et la mère est chassée. Jacques et Hélène Boissinot, un couple ami de la famille Hammar, va s’occuper de la fille, Hélène n’ayant pu avoir d’enfant après un avortement qui s’est mal passé. La mère adoptive va élever Mado sans aucun amour et la petite fille pensera toujours aux longues marches avec son père près de la Rivière Rouge et du parfum perdu de sa maman, maman que l’on dit morte. En 1943, elle quitte définitivement l’Afrique pour habiter à Perpignan avec sa mère adoptive puis avec la mère de celle-ci.. Une nouvelle vie commence, faite déjà de regrets mais avec une détermination prodigieuse qui fera de Mado une femme libre, amoureuse jusqu’à la mort de son Marcel et combative pour l’amour de l’art et des injustices raciales.

Eugène Ebodé peint un portrait romancé avec des couleurs lumineuses autour de ce personnage féminin en portant un regard excessivement affectueux envers cette femme invincible malgré les coups du destin qui s’acharneront sur elle. Les passages avec Pablo Picasso sont brefs mais pas ceux consacrés à la peinture, le couple Mado et Marcel Petrasch s’étant installés à Céret et levant des fonds pour dynamiser le moribond musée d’Art moderne. Mado Petrash sera aussi l’un des piliers pour mettre en lumière le premier Congrès des écrivains et artistes noirs fondé par Alioune Diop, éditeur de présence africaine, dont l’affiche est signée par un certain Pablo Picasso, celui dont le regard était brûlant selon Mado.

Brûlante aussi est cette lecture qui nous entraîne sur les chemins du XX° siècle, d’une Afrique colonisée et d’une Europe colonialiste, sur la mouvance de l’art moderne, de toutes les créations, et, nous invite dans des demeures opposées, de ceux qui gardaient l’esprit colonial et de ceux qui rejetaient toute forme de supériorité. Le tout avec un phrasé riche puisé dans l’immense palette des mots.

« L’Afrique, le continent d’avant les autres »

« Mado fut frappée par l’unité des constats, par la déploration de l’esclavage, la condamnation de la colonisation et des calamités en cascade qui en avaient résulté. Certes, l’homme noir était aux origines de l’humanité mais il avait perdu pied en étant assujetti en permanence ».

« Françoise Gilot avait abandonné la demeure de l’homme qui peignait comme un Dieu mais qui, en amour, boitait comme mille diables ».

Brûlant était le regard de Picasso – Eugène Ebodé – Editions Gallimard – Janvier 2021

En remerciant la Fondation Orange et lecteurs.com pour l’envoi de ce livre  

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