Une noisette, un livre
Et moi, je vis toujours
Jean d’Ormesson
Chaque
livre est différent, chaque livre s’ouvre avec un sentiment distinct, parfois
intense, parfois craintif, parfois neutre. Mais pour le dernier roman de Jean
d’Ormesson c’est une approche bien étrange. Dans ses mains, on sait que l’on
détient un objet rare, un bien précieux qu’il faut manipuler avec précaution.
Le regarder, le retourner, le feuilleter, fermer les yeux pour se souvenir.
Puis, commencer la lecture, tout doucement, prendre son temps parce que c’est
justement de lui qu’il s’agit, ce temps qui passe et qui ne revient pas, ces
hommes et ces femmes qui vivent et trépassent inéluctablement. C’est
l’Histoire, la nôtre, la vôtre, cette histoire universelle que nous conte
l’académicien et qui, par son écriture, personnalise ce qui nous lie
tous : l’humanité et sa fuite en avant.
C’est
le récit d’un voyage qui a commencé un jour ou une nuit, et personne ne sait
quand il se terminera. Il a débuté sans les animaux, sans les hommes. Puis,
progressivement, les êtres vivants sont apparus, ont évolués jusqu’au moment de
la découverte du feu qui a été un grand pas en avant vers les civilisations.
C’est là que s’ouvre « Et moi, je vis toujours » où l’auteur nous
entraîne à travers les siècles, les continents, où l’auteur se transforme en
1001 personnages, tantôt homme, tantôt femme afin de faire vibrer les vies qui
font le roman de l’épopée humaine commencée il y a des milliers d’années en
Afrique.
En
seulement 280 pages vous détenez la plus précieuse des bibles, Jean d’Ormesson
étant à lui seul une encyclopédie et tel un Ulysse c’est une invitation à une odyssée
perpétuelle entre larmes et rires, entre guerre et paix, entre haine et amour,
le tout englobé dans l’ivresse de l’art, de la philosophie, d’anecdotes et de
découvertes comme, par exemple, celle de la brioche de Bianca Cappello.
Cette
publication posthume de Jean d’Ormesson est une profonde émotion. Le bonheur de
le lire encore, de s’enivrer de sa verve, de savourer son humilité, de sourire
face à un humour qu’il a dû pratiquement garder jusqu’à son dernier souffle. La tristesse
aussi, en sachant que c’est le dernier opus (à moins que certains soient cachés
et qu’un jour…), et que Monsieur Jean n’est plus là pour nous épater.
Pourtant,
écoutez :
« Longtemps je
m’étais déplacé de bas en haut et de haut en bas. Maintenant je marchais droit
devant moi, la tête haute, impatient et curieux. Le soleil n’en finissait pas
de se lever devant nous. Je découvrais avec ahurissement, avec admiration un monde
nouveau dont je n’avais aucune idée ; des peuples, des langues, des
villes, des religions, des philosophes et des rois ».
Ou encore :
« J’ai pleuré et j’ai ri. Il y a de quoi rire : rien ne m’a autant amusé que la vie. Et il y a de quoi pleurer : je suis aussi la faim, la soif, la pauvreté, l’ignorance, la maladie, les chagrins d’amour, la dépression, la folie. »
Son
timbre nous berce, ses mots resplendissent. Sacha Guitry disait « quand on
a entendu du Mozart, le silence qui suit est encore du Mozart ». Pour ce
Guépard de l’atticisme, désormais « loin de tout, qui a rejoint le domaine
des certitudes éternelles », c’est exactement ce même silence. Un silence
vivant.
Et
moi, je vis toujours – Jean d’Ormesson – Editions Gallimard – Janvier 2018
2 commentaires:
Très très belle chronique, qui donne envie, encore un peu, de garder Jean d'Ormesson près de nous. Ma librairie a été dévalisée mais nulle doute qu'il finir dans ma longue pile et risque bien d'en doubler certains.
Merci beaucoup L'ivresse littéraire. Je n'ai pu m'empêcher d'abandonner ma PAL et la Rentrée d'hiver pour plonger dans ce livre testament de Monsieur Jean. Une merveille. Et dans l'attente d'avoir votre opinion :)
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