Romain Potocki
« Je marche avec toi »
Altérité, Solidarité, Fraternité
"Avec l’autre comme seule richesse". Phrase/slogan de Romain
Potocki. Bipède qui met sa caméra, son texte, ses idées au service
d’une espèce apparue en Afrique il y a plus de 7 millions d’années
: l’Homme ! Sans oublier la Femme, cela va de soi...
Justement,
comme le berceau de l’humanité est l’Afrique (et en faisant
tourner les tables ce n’est pas Toumaï qui nous dira le
contraire), pourquoi ne pas essayer vraiment de se rassembler plutôt
que de toujours vouloir diviser.
De
ce pas, marchons vers Romain qui a plus d’une botte secrète dans
son panier à noisettes...
Bonjour Squiri ! Disons que le 11 janvier m’a donné envie de ne pas m’arrêter. Marcher au milieu de millions d’inconnus de toutes les couleurs, de toutes les religions, de toutes les langues et de tous les looks m’a donné une force de propulsion que je ne soupçonnais pas – et pourtant tu me connais, on me surnomme "l’homme itinérant"…
Durant cette marche, tout le monde n’avait qu’un mot à la bouche : "Et maintenant qu’est-ce qu’on fait ?" Une envie de ne pas s’arrêter, de prendre enfin la situation en main.
Mais
en ce qui me concerne, la question s’est posée avec encore plus
d’acuité le lendemain de la marche, quand mon ami Boubakar m’a
avoué qu’il n’avait pas osé sortir de chez lui ce même 11
janvier – peur des amalgames, de la stigmatisation, de
l’islamophobie banale et quotidienne. Je lui ai répondu qu’il
aurait pu marcher avec nous, ses amis. Et il a eu cette phrase qui me
résonne encore : "Oui, mais tu ne m’as pas appelé". Le
lendemain, un ami juif m’avouait ne plus réussir à porter sa
kippa dans la rue…
J’ai
lancé #JeMarcheAvecToi pour redire l’essentiel, cet essentiel que
presque 5 millions de marcheurs sont venu rappeler dans la rue un 11
janvier 2015 : qu’on vient de partout, qu’on va dans toutes les
directions… mais que d’abord on veut être ensemble, croire en
l’existence d’une France solidaire, unie sans avoir pour autant
besoin de rogner sur ses différences. Une France multicolore qui se
regarde, se sourit, se dit bonjour… Où l’autre n’est pas une
menace, mais une richesse.
Tu
sais, ces jours-ci, ça a commencé un peu comme ça, notre nouvelle
aventure : en disant bonjour à des inconnus.
C’est
déjà quelque chose que je fais dans ma vie quotidienne depuis
longtemps, et ce même si je vis à Paris. Mais après les événements
de Charlie, de Montrouge et de l’HyperCacher, c’est devenu encore
plus important. Dans Paris, les jours d’après, les gens se
voyaient : dans ce deuil commun, on a fait plus attention l’un
à l’autre, comme si on voulait se prémunir de tout heurt.
A
la marche du 11 janvier, c’est d’abord ça qui m’a frappé :
combien ces millions d’inconnus de toutes les couleurs, de toutes
les religions et de tous les looks avaient envie de se parler,
d’échanger, de trouver des solutions concrètes, dès maintenant –
sans attendre des élections, sans attendre qu’on décide pour eux.
#JeMarcheAvecToi,
c’est une envie de faire le premier pas. Je voulais offrir à
toutes les bonnes volontés un geste simple pour prolonger l’esprit
du 11 janvier.
Sortir
de chez soi, au grand jour de sa vie quotidienne, avec un badge, un
autocollant #JeMarcheAvecToi, c’est inviter l’autre avant même
qu’il n’en ait besoin. C’est se montrer "prévenant" – un joli mot qu’on a un peu oublié.
C’est
affirmer qu’avant même de marcher "contre", ou "pour", le
11 janvier on a marché "avec" – et ça nous rend plus fort,
beaucoup plus fort…
2
– La Syrie, l’Irak, la RDC, le Mexique, l’Ukraine, le conflit
israélo-palestinien la liste est longue des pays vivant dans
l’horreur et le danger permanent. #JeMarcheAvecToi
pourrait aussi être associé pour dénoncer tous ces conflits ?
Depuis
les premiers jours où on a lancé, avec quelques amis, l’aventure
#JeMarcheAvecToi, depuis le premier film qu’on a fait et pour
lequel on a juste arrêté des gens dans la rue alors que le projet
était encore embryonnaire, la moindre personne qu’on croise est
enthousiaste. Tu n’as pas idée des lignes de fractures que
#JeMarcheAvecToi dépasse. Je crois qu’énormément de gens ont
envie de ça aujourd’hui : une France où l’on se parle, où l’on
arrête d’avoir peur de l’autre. Un espace de liberté où enfin,
on essaie de mettre de l’égalité et de la fraternité…Sur le site, on a d’ailleurs joué avec cette fameuse devise. Et on s’en est choisi une un tout petit peu différente : "Altérité, Solidarité, Fraternité". Parce que celui qui sait accueillir l’altérité, la différence, il est déjà libre. Parce que celui qui travaille à la solidarité, il met l’égalité en pratique, en actes…
Néanmoins
tu as raison, quelques rares personnes me rétorquent : "Oui, c’est
bien gentil ton histoire, mais les vrais problèmes du monde, on en
fait quoi ? La corruption en Afrique, la guerre en Syrie, les
exactions de Boko Haram, la toute-puissance des cartels mexicains, le
Proche Orient toujours moins proche, l’esclavage moderne auquel
l’argent contraint une très large partie du monde… ?"
Moi
aussi, je souffre au quotidien de ces situations inhumaines. Mais il
faut savoir rester humble, même face à l’horreur – justement
face à l’horreur.
Je
n’ai pas lancé #JeMarcheAvecToi parce que je pensais résoudre
tous les conflits et l’inhumanité de ce monde en un claquement de
doigt. Je dis juste qu’avant de marcher "contre", il faut
réapprendre à marcher "avec". Parce qu’alors on est plus
fort. Parce qu’en tendant la main à l’autre on apporte de
l’humanité. Et que ça, c’est déjà une brèche dans toutes les
guerres sans merci.
Le
projet #JeMarcheAvecToi est forcément associé au reste du monde.
Porter un autocollant, un badge #JeMarcheAvecToi, c’est dire aux
inconnus qui passent :
«
Si tu ne te sens pas de marcher seul, demande-moi, et je marche avec
toi ».
On
s’expose aux autres, quand on dit ça. Et donc potentiellement à
ceux qui souffrent, ou tout simplement ceux qui ne trouvent pas leur
place. On s’expose à sortir de son confort, de son entre-soi. Et
donc à s’ouvrir les yeux. Bref, on se met en route. OK, c’est
juste le premier pas, et il n'est pas bien grand, et c’est toujours
plus facile de se contenter du pire (au moins, lui, il est certain…
)
Mais ça fait combien de temps que vous n’avez pas fait le premier pas… ?
3
– L’hypocrisie de certaines attitudes politiques (ou autre...) ne
te révolte pas ?
J’en
reviens toujours au 11 janvier 2015, à ce qui s’y est passé. Ce
ne sont pas les partis, ce n’est pas le gouvernement, qui a initié
la marche. C’est la rue. C’est 5 millions de personnes qui ont
dit : "Au fait, les gars, dimanche on marche". A l’autorité de
faire le nécessaire. On a donc laissé l’organisation concrète
aux pouvoirs publics, et on a gardé le cœur.
On
n’a pas marché derrière Hollande et consorts, c’est le
contraire : on les a obligés à venir marcher avec nous (tu sais, ces
jours-ci, la blague court dans Paris que certains d’entre eux
n’avaient pas marché 40 m dans la rue depuis bien longtemps… ;-)
Le
12 janvier et les jours qui ont suivi, je n’avais que cette
question en tête : et maintenant qu’est-ce qu’on fait ? Et quand
un de mes vieux amis m’a répondu : "dans trois mois il y a les
élections", je suis tombé des nues.
Ce
n’est pas dans trois mois, que je veux faire quelque chose, c’est
maintenant. Et je ne veux pas, encore une fois, laisser à d’autres
le soin de me choisir un destin, et la couleur qu’il doit avoir
(même si bien sûr, j’irai voter)
C’est
ça que j’ai compris le 11 janvier : il suffit d’un tout petit
geste de chacun pour aller dans le bon sens – comme descendre dans
la rue, ou porter un badge… Et alors on fait de la politique, mais
plus de la politique politicienne.
Le
terme "politique" vient du grec, du mot "polis", la cité. La
politique, au départ, ce n’est pas affaire de partis, de votes, de
campagnes, d’élections.
Non,
c’est l’organisation de la cité, de la ville, du collectif, au
sens le plus concret et le plus philosophique possible.
L’organisation du "vivre ensemble". Et dans la Grèce
antique, ça concernait chacun.
Les
jours qui ont suivi le 11 janvier m’ont fait penser à ça, aux
places où j’imaginais Sophocle discuter avec ceux qui passent. A
Paris, tout le monde se parlait : dans le métro, dans le bus, dans
la rue, dans les cafés. Et pas de la météo, non : de l’essentiel.
De comment mieux vivre ensemble.
Alors
tu me parles d’hypocrisie, mais je ne la vois pas. Tout comme le 11
janvier, je n’ai pas vu "les grands hommes", mais seulement la
ferveur de millions d’anonymes tellement différents et tellement…
ensemble. Je crois que ce jour-là, on a tous vu combien le pouvoir
était entre nos mains. Et ça nous a exalté.
Deux
semaines après la marche, l’émotion première est en train de
retomber. Mais il ne faut pas oublier l’étincelle qui a jailli ce
jour-là, et la flamme que nous portons désormais, qui que nous
soyons. Le pouvoir est entre nos mains, oui. Et ça donne de la
responsabilité. Car si on prend le pouvoir, on ne peut plus dire que
c’est la faute de l’autre si les choses vont mal. On est obligé
de se demander : "Et moi, je fais quoi pour que ça change, le
monde ?"
Je
veux continuer de marcher. Et que vous aussi, l’envie vous tenaille
encore. Je sais désormais que, comme chacun d’entre vous, je peux
changer une partie de « mon » monde. Y mettre un peu plus
d’humanité. Un peu moins de racisme, d’obscurantisme, de peur de
l’autre.
Et
ça sera déjà beaucoup. Et ça nous donnera envie de continuer. Et
alors, qui sait…
4
– Oui, qui sait... tu as déjà créé une version anglaise (I walk
with you) et une version italienne (Io cammino con te), pourquoi pas
un mouvement européen ?
Le
projet #JeMarcheAvecToi est une main tendue vers l’Autre au sens
large du terme. Il n’y a donc par essence pas de frontière. Qui
vous dit qu’en portant un badge / autocollant #JeMarcheAvecToi vous
n’allez pas vous retrouver à faire un bout de route avec un grec à
peine élu, un réfugié afghan ou un ukrainien dérouté ?
J’espère
bien que le projet prendra encore de l’ampleur, et que des bonnes
âmes se chargeront de traduire le texte de présentation du site en
plus de langues que je n’en connais ! Malheureusement on n’est
pour l’instant pas nombreux à travailler sur l’initiative, on
est tous bénévoles, je suis le seul à temps plein… et les
journées n’ont que 24h !
Mais
je ne me fais pas de souci, l’étincelle est bien là. Je pense
notamment au projet #Iofaccio en Italie ("moi je fais"),
qui montre des anonymes qui œuvrent au quotidien pour que le monde
change… Et après tout, #JeMarcheAvecToi est né en s’inspirant
d’une initiative australienne (#illridewithyou) !
5
– Nietzsche avait raison « sans la musique la vie serait une
erreur » Mais la musique est universelle, une source incroyable de
rassemblement. D’ailleurs, je crois que tu ajoutes une playlist à
#JeMarcheAvecToi?
Concernant
la musique, je n’ai pas pu faire autrement. Ma vie est traversée
par la musique, c’est elle qui m’encourage, m’aiguise,
m’appelle. Et pour ce qui est de changer le monde, ou de s’indigner
contre ce qui y déraille, la musique est assez insurpassable. Laisse-moi juste prendre quelques exemples dans la playlist. La première chanson est de Marvin Gaye, issue d’un album paru au moment de la guerre du Vietnam, et qui s’intitule What’s going on ? (Qu’est ce qui se passe ?) C’est un hymne, un appel désespéré de Marvin, qui était lui même fils de pasteur et s’y connaît donc un minimum en prêches…
Si
on se tourne du côté du rap, on trouve une dénonciation sans
pareil de tous les travers de notre société, de tout ce qu’elle
ne veut pas voir et que les événements de la semaine du 7 janvier
nous ont rebalancé en pleine face : l’exclusion de toute une
partie de la population française pour cause de couleur, ou de
religion, la violence de la vie dans certains quartiers, l’injustice
faite toujours aux même, les plus pauvres, les plus faibles…
NTM
vous racontera que "c’est arrivé près de chez toi"
et quant à Kerry James, sa parole est forte et son but très
simple : "Une dernière fois, déranger l'oligarchie des
ministères / Cracher la vérité amère, de la part de la classe
ouvrière".
Je
finis sur le prophète même, Bob Marley. C’est drôle, parce que
beaucoup de gens le connaissent sans comprendre ce qu’il chante.
Mais le reggae est d’abord et avant toute une musique qui dénonce,
faite de "protest songs". J’ai choisi "War"
(Guerre), sans doute l’une de mes chansons préférées de Bob.
C’est l’adaptation d’un discours de Haïlé Sélassié, alors
empereur d’Ethiopie, devant les Nations Unies. Et ça dit ça :
"Tant
qu’existera une philosophie / qui croit qu’un homme est supérieur
/ et l’autre inférieur / Il y aura la guerre / Tant que la couleur
d’un homme / n’aura pas aussi peu d’importance / que la couleur
de ses yeux / Il y aura la guerre".
6
– Très récemment nous avons pu apprécier tes qualités de
réalisateur avec un reportage sur l’Alaska (avec une excellente
audience en passant) diffusé dans le magazine de France2 "13h15 le
dimanche". D’autres docs en vue, ici ou ailleurs ?
Pour
l’instant, je t’avoue que le projet #JeMarcheAvecToi occupe la
plus grande partie de mes jours (et de mes nuits). Mais dans un mois,
je pars pour le Groenland pour un documentaire. Promis, je te
ramènerai une belle photo avec un badge #JeMarcheAvecToi ! En
espérant que je pourrais l’accrocher : il fait -35° là bas…
7– Comme pour chaque interview, tu ne peux pas échapper au
traditionnel questionnaire pour que les chers lecteurs de l’écureuil
puissent mieux te connaitre...
Un
roman : Le
Neveu d’Amérique, Luis Sepulveda. Pour le voyage. Pour l’amitié.
Pour le plaisir des conteurs et de ceux qui les aiment.
Un
personnage :
Corto Maltese
Un(e)
écrivain(e) :
Arthur Rimbaud. Ses poésies. Ses poèmes en prose. Sa correspondance
depuis l’Afrique.
Une
musique :
Aretha Franklin. La seule. L’unique. La reine de la Soul Music !
Un
film :
Little Miss Sunshine. Pour ces scènes jouissives où ils poussent le
bus, tous ensemble. Rien que ça suffit à me redonner la pêche
quand j’en manque !
Une
peinture :
C’est une toile de Van Gogh que j’ai vue à Amsterdam, au musée
Van Gogh. La seule fois où j’en ai vu en vrai. Je ne me souviens
plus de son titre, mais je me souviens des couleurs chatoyantes d’un
champ, comme souvent chez Vincent. Mais à mesure que l’on se
rapproche, on voit que tous les contours sont d’un noir extrêmement
sombre. Elle m’a fait comprendre que même l’angoisse la plus
dure peut se transformer en couleur…
Un
animal :
Le pingouin ! Ce n’est pas parce que l’on a de toutes
petites ailes et les pieds cloués au sol qu’on ne peut pas voler…
Une
devise/citation : "L’espérance
est un risque à courir" (Georges Bernanos)
Le blog de "L'Homme itinérant" ====> http://homme-itinerant.fr/
Le site de #JeMarcheAvecToi ====> http://www.jemarcheavectoi.fr/
Sur Youtube ====> https://www.youtube.com/c/JEMARCHEAVECTOI
Sur Youtube ====> https://www.youtube.com/c/JEMARCHEAVECTOI
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire