Souvenirs d'un médecin d'autrefois

jeudi 21 novembre 2024

 

Noisette intime

Le silence des ogres

Sandrine Roudeix

 


"Il y a des romans qui sont comme des forêts. On les regarde de loin. On y pense. On parcourt un bout de chemin pour les atteindre. Et puis on s'arrête. Un tas de ronces nous barre le passage. Le tronc à vif des arbres nous toise. Les aiguilles des pins craquent sous nos pas comme un tapis de verre, comme un terrain miné, comme un piège. Les branches nous fouettent le visage. Les racines se déploient en un tas de petits serpents venimeux. Les araignées grouillent. Les massifs d'ortie menacent. Les corbeaux guettent. On fait demi-tour."

L’écrivaine Sandrine Roudeix donne le ton dès le deuxième chapitre : elle nous invite à prendre un chemin abrupt, parsemé de pierres avec plus d’épines que de roses. Mais le lecteur ne fera pas demi-tour, bien au contraire. Dans les racines d’autofiction et sous la canopée livresque des allées s'ouvrent, des petites graines se déploient, grâce au meilleur fertilisant de la littérature : l'écriture.

Le père de Sandrine n’est pas inconnu mais il n’a jamais voulu la reconnaître. Elle ne savait rien de lui, l’histoire avec sa mère a été plus qu’éphémère, « une conception dans les cendres de l’histoire ». Le destin fait qu’un jour elle retrouve sa trace, renoue avec lui pour qu’à nouveau – après un petit début de route ensemble – ils se séparent. Deuxième chute, deuxième blessure, deuxième abandon. Vingt ans plus tard, lors d’une séance de dédicace, un inconnu prononce le nom de son père. Troisième chute. Tenter de panser les cicatrices par un jeu de pistes dans sa mémoire et par l’écriture ; en parallèle ses séances avec le psychiatre, souvent déconcertantes.

Sandrine c’est l’histoire d’une femme qui veut s’affirmer dans une forêt vierge de filiation paternel. Sandrine c’est une histoire qui interpelle, qui émeut, qui rassemble. Sandrine c’est une écrivaine qui trace l’encre des mots selon l’intensité de la douleur, du manque, des ombres… pour attraper un morceau de soleil dans son espérance de femme adulte.

Ce roman est un terreau où jaillissent les mots, les métaphores. Un exemple. Loin du romanesque mais au cœur de l'humain. Sensible, authentique. Poétique.

Le Silence des ogres – Sandrine Roudeix – Éditions Calmann Lévy - Août 2024

mardi 12 novembre 2024

 

Noisette onirique

Ma vie avec Gérard de Nerval

Olivier Weber

 


Le grand reporter et écrivain nous convie à un voyage en « Nervalie ». D’aucuns auraient pu songer qu’il nous inviterait en « Kesselie » ou en « Garylie » mais c’est avec ce « souffleur de vers » que l’invitation prend forme puisque la poésie de Gérard de Nerval a accompagné Olivier Weber depuis son enfance pour lui permettre de s’évader de l’orphelinat où les punitions avaient remplacé les rêves. Véritable boussole pour ses futurs déplacements en Orient, en Afghanistan, par monts et par vaux, Gérard de Nerval a été son maître et, parfois, son double dans la mélancolie des vagabondages.

Gérard de Nerval ne le quitte pas, même en traversant les frontières clandestinement, un recueil dans la poche en guise de visa. Comme une bonne étoile la poésie va servir de pare-chocs contre la mitraille, être un morceau de paradis dans certaines descentes en enfer, la voix d’un fantôme pour le guider dans les ruines de l’humanité. La poésie de Nerval versus les idéologies sanglantes. Pour Olivier Weber « la poésie apprend à espérer » tandis que « l’idéologie apprend à mentir », un viatique contre un fardeau.

La lecture de ce texte pourrait être vertigineuse puisque l’idée de ce livre est née dans l’esprit d’Olivier Weber lorsqu’il escaladait les pentes du glacier du Lhotse dans l’Himalaya, prendre de la hauteur pour souffler la démarche nervalienne. Bien plus qu’un hommage à celui qui sombrera dans la folie, c’est une déclamation d’une vie éternelle sur les pentes de l’existence humaine, rendre vivant ce qui ne l’est plus pour en tirer une force intérieure.

Le parcours de Gérard de Nerval s’apparente à une psyché pour l’écrivain, et, chacun pourra y puiser des forces, être des Sisyphe sur les parois du monde pour diffuser la poésie, la beauté, sur les duretés et laideurs ambiantes.

« La poésie nervalienne élève et apaise. Et c’est tout ce que l’on demande à un poète voyageur, qui nous emmène soigner nos affres dans des édens désirés, fussent-ils chimériques ».

« Le séjour viennois s’étend, contrairement au sentiment amoureux. Nerval est usé par une sorte de double jeu, cette distanciation qu’il a avec le monde diplomatique, cette volonté de faire semblant. Il se rend compte qu’il n’est pas du sérail. Aux grands sensibles, la patrie n’est pas toujours reconnaissante, la diplomatie encore moins. Le protocole et le rang sont intraitables. On ne pardonne guère à ceux qui n’ont pas le sang bleu, même s’il s’agit du rejeton d’un médecin des Armées impériales dont la mère est morte en campagne ».

« Comme Romain Gary au siècle suivant, il est trop à l’étroit dans son existence pour ne vivre qu’une seule vie ».

Ma vie avec Gérard de Nerval – Olivier Weber – Éditions Gallimard – Septembre 2024

vendredi 8 novembre 2024

 

Noisette journalistique

Loin de chez moi

Maryse Burgot

 


 

Maryse Burgot est devenue au fil de ses reportages une figure incontournable de France Télévisions et du 20 heures de France 2 : au journal télévisé, bien souvent munie d’un gilet pare-balles elle apparaît en direct de zones de conflits. Mais son travail ne s’arrête pas là, elle fut correspondante à Londres, puis à Washington, avant de repartir par monts et par vaux pour faire entendre la voix du monde. Rien, au départ, ne prédestinait cette jeune femme à être sur tous les fronts : fille de paysans, elle a gravi les échelons par sa force, sa ténacité, son approche sensible, sa prudence et son envie de faire parler les victimes des ténèbres de la géopolitique. Mais pas que.

C’est un document exceptionnel que nous livre la journaliste pour raconter ses trente dernières années derrière ou devant la caméra, un témoignage qui rappelle combien ses reportages sont minutieusement préparés, non sans risques. Mais derrière la journaliste, il y a aussi une femme et une mère qui parlent. Mère et reporter, elle concilie les deux malgré les jugements qui, parfois, lui sont portés : pourtant « les hommes ne sont pas jugés de la même façon, personne ne leur reproche « d’abandonner » femme et enfants ». Mais rien n’arrête la correspondante de guerre.

Pour la première fois, elle narre sa condition d’otage aux Philippines en 2000 mais ne s’attarde guère, elle a plus « utile » à poser sur le papier : son premier grand reportage en Inde, ses tribulations au Kosovo avec feu le JRI Gilles Jacquier – à qui elle rend un vibrant hommage – ses années anglaises et américaines, ses nombreux déplacements au Moyen-Orient, en Ukraine, en Afghanistan… sans oublier les ravages de la colère de la planète en Haïti ou le tsunami de janvier 2005 dans plusieurs pays d’Asie du Sud-Est, la crise du Covid jusqu’à ses derniers déplacements pour le conflit israélo-palestinien.

Avec une objectivité redoutable, elle monte - avec une équipe limitée - ses reportages, allant vers les autres avec une extrême empathie sans jamais se plaindre des conditions périlleuses dans lesquelles elle se retrouve, elle sait que rapidement elle pourra retrouver les siens et son confort. Montrer la détresse, l’absurdité des guerres, le courage des victimes ou de leurs proches est son seul but.

« Loin de chez moi » permet également de se remémorer des faits passés et de retrouver une histoire de la géopolitique dans une version brute, celle des gens de terrain ! Révélateur est le passage de ses années en France pour couvrir l’Élysée, « la politique intérieure et ses conventions, ce n’est pas pour Maryse Burgot », elle préfère « les espaces sans limites du reportage sociétal, en zone de guerre ou pas ». À lire de toute urgence…

Loin de chez moi – Maryse Burgot – Éditions Fayard – Octobre 2024

 

 

dimanche 3 novembre 2024

 

Noisette orfévrée

La reine du labyrinthe

Camille Pascal

 


L’affaire du collier de la reine racontée comme jamais ! Dans la pure lignée du roman historique, Camille Pascal se livre à l’art de faire jouer mots et personnages, le tout saupoudré d’un humour irrésistible. Sans rien inventer.

Si Marie-Antoinette n’a été aucunement responsable du vol du collier, elle a été néanmoins au cœur d’une affaire d’État précipitant le début de la Révolution française. Accusée de mener grand train, la reine se retrouve confrontée aux machinations politiques et judiciaires qui vont renverser la monarchie.

Pourtant, l’affaire est juste un jeu de dupes avec pour origine une intrigante, Jeanne de La Motte. Mariée au comte de la Motte issue de la petite noblesse et sans un sou en poche, Jeanne réussit à prouver qu’elle descendait de la grande lignée des Valois par un aïeul bâtard royal d’Henri II. Par sa protectrice, Madame de Boulainvilliers, puis avec l’argent de ses amants, dont celui du cardinal de Rohan, elle s’infiltre à Versailles, tentant – toujours en vain – d’approcher la reine. Loin d’être découragée, elle propage, avec brio, la rumeur qu’elle a les faveurs de Marie-Antoinette et assure au cardinal – détesté de la reine- qu’il va bientôt intégrer un ministère. Son plan machiavélique fonctionnant à merveille, elle va franchir un étage supérieur lorsqu’elle rencontre le bijoutier Charles Boehmer, créateur d’un collier, aussi somptueux que ridicule, que Louis XVI refuse d’acquérir pour cause de caisses vides. Une occasion en or pour que Jeanne et son mari Nicolas s’enrichissent sur le dos du cardinal.

En toute logique, le roman est concentré sur le personnage haut en couleur de Jeanne de La Motte-Valois, oscillant entre la galanterie et la coterie grâce à ses dons de séductrice, manipulatrice et d’oratrice, retranscris sous la plume du romancier avec grand style, l’ombre d’Alexandre Dumas se faufilant avec délectation. Les truculents dialogues ne proviennent pourtant d’aucune imagination, ils sont le fruit d’une recherche minutieuse, Camille Pascal ayant exhumé des écrits oubliés.

Roman historique mais terriblement contemporain, tant l’auteur décortique les passions humaines de l’appât du gain, de la course à l’égo et au paraître et qu’une emprise par les sens peut se révéler fatale.

La reine du labyrinthe – Camille Pascal – Éditions Robert Laffont – Août 2024

  Noisette enquêtrice Les fantômes de Versailles Jacques Forgeas   Vous aimez les romans historiques ? Nous sommes en 1673 sous le r...