Une noisette, un livre
De l’inconvénient d’être russe
Diana Filippova
Voilà
un livre fort intéressant et pas seulement par rapport à l’actualité. Diana
Filippova dresse un constat à la fois sur la condition des Russes en France –
certains exilés depuis des décennies ou descendants de ces familles partis lors
de la Révolution ou fuyant les polgroms – et sur la Russie elle-même et de son
aïeule l’URSS. La guerre en Ukraine a provoqué la rédaction de ce livre car le
conflit la ramenait à ce qu’elle ne voulait plus être : russe.
Arrivée en France lorsqu’elle était encore enfant, elle a connu le déracinement, les difficultés d’être étranger en France, les brimades mais aussi les encouragements, la liberté. De ce récit intime en découle une vision générale sur la Russie et les difficultés de l’exil. À travers de nombreuses anecdotes et de références littéraires, ce constat est édifiant puisqu’il va bien au-delà du sujet, l’extrait sur la peur en est un parfait exemple :
« La peur ancrée rend caduque toute possibilité de révolte.
Les opposants le savent bien, eux qui dirigent leur slogan droit contre elle.
Elle agit sur le corps des femmes, des enfants et des hommes avec une
redoutable efficacité. Une fois qu’elle est là, elle ne demande que peu
d’entretien. De tous les instruments de répression, elle présente le meilleur
rapport coût-efficacité. Sa puissance est décuplée quand elle vient surprendre
les gens dans la sécurité apparente de leur foyer. Il suffit de l’avoir connue
une fois pour qu’elle exerce pour toujours son emprise débilitante ».
Sur le plan personnel, ce témoignage est fort et met en avant qu’il est impossible de déconstruire une identité. Diana Filippova avait un sentiment de honte par rapport à cette violence et à son pays dévasté. Elle avait honte d’être russe. Pourtant, c’était la mauvaise réaction. Il ne faut rien renier et s’affirmer.
« La littérature jaillit d’un ailleurs lointain, elle court à travers les contrées étrangères, villes et campagnes, châteaux et dortoirs, elle bouillonne d’une eau lavée de mille peuples et traditions ; battue par les mains des mères, effervescente encore du babil des enfants, bue et recrachée par des gorges viciées et pures, oisives et travailleuses, elle entraîne avec elle pierres, branches et feuillages d’une autre terre que la nôtre, d’autres vies que la vôtre ».
De l’inconvénient d’être russe – Diana Filippova – Éditions Albin Michel – Août 2023
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