jeudi 3 juin 2021

 

Une noisette, un livre
 
Avant elle
Johanna Krawczyk
 


Carmen est enseignante. De par ses origines, ses parents étant des réfugiés argentins, elle s’est spécialisée dans l’Amérique Latine. Marié et mère d’une petite fille, elle est à la merci de vagabondages psychiques malgré l’aide d’un spécialiste qu’elle consulte régulièrement. Son couple est sur un fil, le tout accentué par la prise d’alcool en abondance. A onze ans, elle a été confrontée au suicide de sa mère, sans explication, soudainement sa génitrice était devenue un fantôme sans aucune réaction. Son père, décédé depuis quelques mois, était un exemple pour elle, celui d’un être intègre ayant fui le régime des colonels après avoir tenté de lutter contre la dictature et les violences. Sauf qu’un jour, une entreprise de garde-meubles l’appelle pour lui signaler que son père y louait une box et qu’elle peut récupérer ses affaires laissées. Là, un bureau avec tiroir secret, une boîte et une clé. Une clé qui va ouvrir des portes inconnues et révéler la terrible et cruelle vérité. Et si le malaise de Carmen venait tout simplement d’un héritage inconnu, un héritage violent bâti sur un parterre de mensonges…

Si les trente premières pages laissent brièvement des mouvements de vague inconnu et d’hésitations, tout se transforme en un parcours haletant et vertigineux. Les mots claquent, les phrases s’enchaînent dans tout le mystérieux des âmes ; une confrontation post-mortem qui renvoie la vraie face d’une psyché engloutie.

Déroulée dans une forme originale, l’histoire est là, sans concession. Celle de l’Argentine et de ses crimes à commencer par ceux du sanguinaire général Videla et des quatre juntes militaires : disparus, prisonniers, assassinés, volés… des chiffres étourdissants. Torture, souffrance et l’exil pour ceux qui pouvaient fuir cette succession de régimes néo-nazis. Johanna Krawczyk, par le biais des notes retrouvées du père de Carmen, dresse un tableau digne de Guernica entre le sadisme des bourreaux, les mères assassinées sitôt l’accouchement terminé, l’opération Condor et les vols de la mort. La Santa Muerte dans toute la noirceur de son pandémonium.

Ce roman c’est l’Aracar ou mieux le Viedma, sous le glacier des non-dits le gaz va exploser et répandre une lave dévastatrice sur le souvenir des braises d’un amour familial, longue fumée noire avant peut-être que l’héroïne puisse renaître de ses cendres. A compléter avec le livre de Frédéric Courderc « Aucune pierre ne brise la nuit » paru également aux éditions Héloïse d’Ormesson.

« Je m’empare du carnet numéro quatre. L’obsidienne dans mon ventre s’agite. La vérité se rapproche et je ne suis pas sûre de vouloir la connaître. J’aimerais mieux lui mettre la main devant la bouche et lui chuchoter à l’oreille, abstiens-toi, la vie restera peut-être plus douce sans toi, mais elle retire ma main et grandit, les bras tendus vers le ciel, elle se met à chanter fort, à hurler tout ce qu’elle a dû taire pendant des années. Elle se dresse devant moi, magnifique et terrifiante, dans sa robe noire des soirs de fête. L’opéra va commencer, tiens-toi prête ».

Avant elle – Johanna Krawczyk – Editions Héloïse d’Ormesson – Janvier 2021

En remerciant LECTEURS.COM et la FONDATION ORANGE pour l’envoi de ce livre

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