Souvenirs d'un médecin d'autrefois

dimanche 8 juillet 2018


Une noisette, un livre

 

Aucune pierre ne brise la nuit

Frédéric Couderc


 


1976 –1983. Général Videla. Vols de la mort. Bébés volés. Et des milliers de « desaperecidos »…
Dans la cruauté la plus absolue, des milliers d’opposants, des mères venant juste de donner la vie, furent jetés en plein vol au-dessus de l’Atlantique pendant la dictature militaire qui a sévit en Argentine. Chaque mercredi, une injection d’anesthésique, un embarquement « sans plus de chance qu’un papillon blessé ».

L’écrivain et ancien grand reporter Frédéric Couderc signe un roman assourdissant sur cette tragédie encore trop méconnue.
Par le biais de deux personnages, Gabriel et Ariane, au départ que tout oppose, il retrace non seulement l’horreur des bébés volés mais aussi l’incommensurable difficulté pour les familles à retrouver une trace d’un enfant adopté, et, le cheminement, volontairement oublié par les autorités françaises et autres, des faiseurs de dictature.

Le récit commence dans un musée, celui du Havre, port de l’Atlantique où se trouve à l’opposé l’Argentine, et, la rencontre des deux protagonistes autour d’un tableau mystérieux, signé d’un auteur bien énigmatique… Gabriel, ancien étudiant aux Beaux-Arts, est un réfugié qui a perdu tous ceux qu’il aimait, excepté son frère ; Ariane, épouse de diplomate, fréquentant les hautes sphères politiques et industrielles, va soudainement plonger dans une autre réalité.
Ariane va découvrir que sa fille Clara est probablement un bébé volé et que son mari a menti lors de l’adoption. En parallèle, Gabriel apprend par son frère que le corps de sa fiancée Véro a été retrouvé et qu’elle a bien été envoyée dans un vol de la mort juste après son accouchement.

Deux rencontres où tout va se croiser, se décroiser dans les méandres de l’ignominie sans nom… avec heureusement une fresque amoureuse, celle de la vie qui continue.

De la fiction à la réalité, c’est une histoire à remonter le temps entre la France et l’Argentine et si les personnages restent fictifs, les faits sont tous réels, des anciens de l’OAS reconvertis en bourreaux argentins au combat des grands-mères de la place de Mai. Des blessures qui ne se refermeront jamais, des destins brisés après tortures du corps et de l’esprit.

Un récit magistral qui rend hommage aux disparus, aux familles endeuillées à jamais, argumenté par des notes et archives, ne laissant jamais de répit pour les barbares à l’instar de ces « justes » qui traquent sans relâche les tortionnaires encore libres et vivants, ces sinistres criminels que « seule la mort peut leur rendre une face humaine ».

« Aucune pierre ne brise la nuit, aucune main n’avive les cendres du bûcher de tous les étendards » selon Borges et son « Insomnie », la noirceur des plus profondes ténèbres empêche la lumière de revenir sur les âmes rompues par l’infernal trio politico-religieux-financier. Déchirant.

Aucune pierre ne brise la nuit – Frédéric Couderc – Editions Héloïse d'Ormesson – Mai 2018

 

1 commentaire:

Nath a dit…

Il était évident que tu serais toi aussi bouleversée et conquise par ce roman. C'est un sujet dont il faut parler, il faut lever ce voile qui ne l'enveloppe que trop.. Ta chronique est sublime , si juste et si fine !

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