Une noisette, un livre
Aucune pierre ne brise
la nuit
Frédéric Couderc
1976
–1983. Général Videla. Vols de la mort. Bébés volés. Et des milliers de
« desaperecidos »…
Dans
la cruauté la plus absolue, des milliers d’opposants, des mères venant juste de
donner la vie, furent jetés en plein vol au-dessus de l’Atlantique pendant la
dictature militaire qui a sévit en Argentine. Chaque mercredi, une injection
d’anesthésique, un embarquement « sans
plus de chance qu’un papillon blessé ».
L’écrivain
et ancien grand reporter Frédéric Couderc signe un roman assourdissant sur
cette tragédie encore trop méconnue.
Par
le biais de deux personnages, Gabriel et Ariane, au départ que tout oppose, il
retrace non seulement l’horreur des bébés volés mais aussi l’incommensurable
difficulté pour les familles à retrouver une trace d’un enfant adopté, et, le
cheminement, volontairement oublié par les autorités françaises et autres, des
faiseurs de dictature.
Le
récit commence dans un musée, celui du Havre, port de l’Atlantique où se trouve
à l’opposé l’Argentine, et, la rencontre des deux protagonistes autour d’un
tableau mystérieux, signé d’un auteur bien énigmatique… Gabriel, ancien
étudiant aux Beaux-Arts, est un réfugié qui a perdu tous ceux qu’il aimait, excepté
son frère ; Ariane, épouse de diplomate, fréquentant les hautes sphères
politiques et industrielles, va soudainement plonger dans une autre réalité.
Ariane
va découvrir que sa fille Clara est probablement un bébé volé et que son mari a
menti lors de l’adoption. En parallèle, Gabriel apprend par son frère que le
corps de sa fiancée Véro a été retrouvé et qu’elle a bien été envoyée dans un
vol de la mort juste après son accouchement.
Deux
rencontres où tout va se croiser, se décroiser dans les méandres de l’ignominie
sans nom… avec heureusement une fresque amoureuse, celle de la vie qui
continue.
De
la fiction à la réalité, c’est une histoire à remonter le temps entre la France
et l’Argentine et si les personnages restent fictifs, les faits sont tous
réels, des anciens de l’OAS reconvertis en bourreaux argentins au combat des
grands-mères de la place de Mai. Des blessures qui ne se refermeront jamais,
des destins brisés après tortures du corps et de l’esprit.
Un
récit magistral qui rend hommage aux disparus, aux familles endeuillées à
jamais, argumenté par des notes et archives, ne laissant jamais de répit pour
les barbares à l’instar de ces « justes » qui traquent sans relâche
les tortionnaires encore libres et vivants, ces sinistres criminels que « seule la mort peut leur rendre une face
humaine ».
« Aucune
pierre ne brise la nuit, aucune main n’avive les cendres du bûcher de tous les
étendards » selon Borges et son « Insomnie », la noirceur
des plus profondes ténèbres empêche la lumière de revenir sur les âmes rompues
par l’infernal trio politico-religieux-financier. Déchirant.
Aucune pierre ne brise
la nuit – Frédéric Couderc – Editions Héloïse d'Ormesson – Mai 2018
1 commentaire:
Il était évident que tu serais toi aussi bouleversée et conquise par ce roman. C'est un sujet dont il faut parler, il faut lever ce voile qui ne l'enveloppe que trop.. Ta chronique est sublime , si juste et si fine !
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