Une noisette, un livre
Bicyclettres
Jean-Acier Danès
En
paraphrasant « Les cloches de Corneville », Bicyclettres est va où
les roues te poussent, petit mousse des livres ; avec le vent sur les
flots des lettres et des mots. Entre le ciel et l’onde, roulant vers l’horizon,
ton vélo est ton monde, la littérature ta maison.
Etudiant,
Jean-Acier Danès décide de passer ses vacances sur les routes de France et de
Navarre (même si le récit s’arrête plus à l’ouest au Pays-Basque), avec sa
compagne Causette, un hommage certain à l’autre Cosette, pour arpenter les
routes et les chemins sur la trace des écrivains, de Marcel Proust à Paul
Valéry, en passant par Jean-Jacques Rousseau, Marguerite Yourcenar et autres
plumes éternelles. Causette est silencieuse, seuls quelques grincements
surgissent mais elle est sa monture, son objet de tous les désirs, de tous les
rêves surtout : elle est sa bicyclette.
A
l’instar de Sylvain Tesson « Sur les chemins noirs », l’auteur nous
entraîne dans un voyage proche, celui de la France et de ses 1001 richesses, de
la Côte d’Opale au lac d’Annecy, avec la littérature comme fil conducteur.
Si
Sète est un « nom sous le silence des dieux », ce récit commence sous
leur bénédiction pour se terminer en une offrande universelle sur la liberté,
la découverte et le vagabondage littéraire.
Et si
vous avez rêvé d’un grand rendez-vous avec les auteurs classiques, un Stendhal
côtoyant un Paul Claudel, de partager l’esprit unique d’Alexandre Vialatte, de croquer une madeleine de Proust en vous remémorant
Adrien, cette mosaïque livresque et paysagère est pour vous, peut-être aussi
parce qu’elle est écrite par un jeune homme qui « lisait pour rouler et
roulait pour écrire ».
Parfois le parcours est chaotique, rude ; pour franchir les cols c’est le
mythe de Sisyphe tentant de repousser la montagne qui émerge, il semble pourtant que
l’écriture se soit inscrite sur un lit de velours tant la délicatesse filtre à
travers les pages, tout n’est qu’harmonie entre lieux bucoliques et les
réminiscences de l’aventure littéraire française.
Si
Paris ne laisse aucun souvenir de ville lumière, mais plutôt celui d’une ville
des ombres dans une description sombre et morose, il n’en est rien pour
l’ensemble du récit car « voyager c’est apprendre à sourire ».
Alors
chers lecteurs, sourions sur ces « parcelles de bonne humeur »,
sourions à cette érudition printanière, sourions à celui qui « en roulant
dans l’obscur » apprend à « voir plus clair », sourions au passé
sur les routes du présent, sourions à ces pensées inspirantes, sourions de voir
passer sur 210 pages une petite reine livresque virevoltant entre les courbes
des belles-lettres.
« On se laisse bercer par des rencontres qui font de nous le cheminot d’un rail incertain et de nos journées des pages vierges qui se remplissent si vite. »
« On est silencieux
à bicyclette. Parfois les voitures arrivent au loin ou s’annoncent au-devant,
tandis que la chaîne gratte comme un vol d’abeilles continu. On s’y surprend
très souvent à siffler, à chanter, à parler aux ombres comme lorsqu’on avait
peur du noir. Mais la nuit à bicyclette on découvre qu’on a toujours peur du
noir, le vrai. Le noir qui échappe à la lumière de sa propre cadence. Le noir
d’incertitude d’un avenir sur lequel nos actes ont une prise malhabile. Alors on
plaisante avec lui, on épouse ses formes en espérant remonter à la surface de
la nuit. (…). A force de rêveries et de patience on parvient déjà au bout,
exténué et le sourire aux lèvres, après une odyssée de quelques minces jours.
On ne rêvasse pas pourtant, on s’extirpe du réel. Ce n’est pas une moindre
tâche que de rejoindre le paradis des mots. »
Bicyclettres –
Jean-Acier Danès – Edition du Seuil – Janvier 2018-07-30
Livre reçu et lu dans le
cadre du Prix Littéraire de la Vocation 2018
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