Une noisette, un livre
Sauver les meubles
Céline Zufferey
Pas
de préliminaires, on pénètre directement dans le vif du sujet avec tout ce que
répand en semblants et faux-semblants une entreprise avec ses salariés
robotisés, numérotés. On ne connait pas le nom du narrateur, on sait juste
qu’il est un individu de sexe masculin. Photographe non reconnu, ses besoins
financiers l’obligent à accepter un poste dans une entreprise de meubles pour
mettre en boîte des scènes de vie familiale. Meubler les choses…
Il
découvre un univers qui n’est pas le sien, un univers trop aseptisé où personne
ne sait qui est qui, seuls quelques prénoms surgissent, les autres s’évaporant.
Notre
homme anonyme rencontre Nathalie, un mannequin pour mettre de l’ambiance sur
ces photos fabriquées, retouchées, relookées, numérisées, des photos sans
chambre noire même si certaines représentent l’atmosphère cosy d’une chambre à
coucher.
Lors
d’une fête d’entreprise où les salariés sont invités à se déguiser en meubles,
Monsieur X fait la connaissance de Christophe, un testeur de résistance, qui
l’entraîne dans la conception d’un site avec des gifs pornographiques. Tout
s’emboîte, se chevauche devant des corps qui s’expriment dans tous les sens
pour un public en mal de dialogues et de contacts réels. Le narrateur finit par
superposer toutes ces images qu’il flashe, dans une réflexion sans fin ni
but. Avec le sentiment d’avoir la solitude comme seule compagnie.
Par
le biais de l’humour et du ton décalé, Céline Zufferey brosse un tableau d’une
société faite de clichés, d’apparence, de virtuel, de fantasmes ; éphémère
univers où l’on intègre l’humain dans un kit d’ameublement pour respecter les
codes du superficiel. La jeune auteure ouvre des portes, des fenêtres pour
provoquer le lecteur, pour le faire réagir face à la surconsommation, face au
tout jetable ; des décors en carton-pâte pour alimenter la tendance du
moment mais aussi insipides que les tentatives de dialogues lors des
conversations virtuelles à travers un écran, le fruit de la vacuité cérébrale
et sexuelle.
Céline
Zufferey fait preuve d’esprit créatif et d’audace avec une plume légère,
soulevant juste ce qu’il faut pour ne pas tomber dans l’excès. Un ton cinglant,
caustique, alternant chapitres longs et chapitres courts, jonglant sans cesse
sur le présent et le post-présent. Délicieux. Mention spéciale pour avoir su se
glisser avec tant de brio dans la peau d’un personnage masculin, qui plus est
« verre ébréché ».
Alors,
est-il encore temps de sauver les meubles ? De briser les codes et ne plus
enfermer les humains dans des tiroirs, ne plus les aplatir comme des
carpettes ? Est-il possible de faire table rase sur
l’uniformité ? L’écrivaine donne en
tout cas une bonne dose de mobilier livresque en nous mettant en garde contre les
réactions et gestes inutiles, comme celui de Mister Design (alias
Sergueï-le-Styliste) donnant des claques sur un coussin pour en modifier
l’aspect. Mieux vaudrait un bon coup de pied au c.. pour ébranler ce théâtre
peuplé de chimères…
« On fabrique du
rire comme on fabrique de la neige. »
« Après qu’elle
m’eut parlé de ses trompes, eût-il été d’usage que je l’entretienne de mes
bourses ? Je ne suis pas familier des coutumes de la haute société. »
« Introduire de
l’étrange pour faire éclater la norme. Créer autre chose c’est prendre le
pouvoir, résister. »
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