lundi 26 avril 2021

 

Une noisette, un livre
 
La mer Noire dans les Grands Lacs
Annie Lulu

 


Le titre annonce déjà quelque chose d’immense : deux points géographiques pour une histoire de double identité, une quête vers des origines volées, une chasse pour aller chercher ses racines dans une terre maintes fois kidnappée.

Nili Makasi est née en Roumanie au moment de la révolution roumaine dans un pays qui a connu des dictateurs d’horizons différents depuis la le début de la Seconde guerre mondiale, de Ion Antonescu à Nicolae Ceausescu, d’une mère roumaine et d’un père congolais. Un père qu’elle ne connaît pas portant pourtant son nom. Qui est-il ? Pourquoi sa mère refuse de lui en parler ? Pourquoi ce silence ?  Elle se sent proche de son géniteur, elle la métisse victime de réflexions racistes et humiliantes. Elle voudrait le rencontrer, le connaître ; fuir en même temps ce pays qu’elle abhorre et quitter cette mère autoritaire sans amour. Après un bref passage à Paris en tant qu’étudiante, elle s’envole à Kinshasa ayant réussi à obtenir des informations sur son père, hélas assassiné. Là-bas, elle semble renaître mais elle va se heurter encore à la haine, à la guerre. Enceinte et proche de l’accouchement, elle raconte à l’enfant qu’elle porte. Pour qu’il sache tout, lui qui aussi ne pourra connaître son père. A la différence que dès sa venue au monde il saura tout.

Même si quelques bémols sont apparus au son de la lecture – des états d’âme un peu en longueur et par contre un trop bref passage sur la figure du Docteur Denis Mukwege, une histoire de la Roumanie pas assez développée pour éviter des amalgames – ce premier roman sans doute largement autobiographique, est une prouesse littéraire et une magnifique tribune contre l’intolérance dans les ténèbres du racisme et de l’exploitation humaine. Dans toute la fatalité des destins ! Quitter la Roumanie gangrénée par des décennies de dictature pour se retrouver dans un pays déchiré par les traces colonisatrices, les exploiteurs des temps modernes et les rivalités ethniques favorisées par la corruption des dirigeants de là et d’ailleurs.

Un récit très émouvant, dur, crépusculaire mais avec toute la force de la narratrice pour transmettre à l’enfant qu’elle porte, tout l’amour de son défunt père (et grand-père) et l’histoire des gènes semblant porter une malédiction dans l’absurdité des guerres, de la violence, du mépris envers celui qui est différent. Des phrases glissées par une plume cathartique pour panser les plaies de l’âme dans le pandémonium de ceux qui l’ont perdue.

« Mon fils, je ne saurais te décrire ce que c’est qu’aimer, peut-être que ce n’est rien, mais je t’ai dit déjà au commencement fragile de cette palabre entre nous que tôt ou tard tu verras, toi aussi, combien c’est bon. J’observe l’eau du lac et je me retrouve en toi. C’est dans l’allongement froissé de la première morsure que tu as fait surface, quand ton père s’est couché sur la moiteur de ma liberté, avant qu’il disparaisse, et mon amour est triste. Mon amour, c’est un grand corps de femme soutenant la voûte du monde, paré de bijoux rayonnant au zénith de tous mes souvenirs, saturé par la bruine ruisselante de n’avoir pas pu, de n’avoir pas eu le temps de déployer ce corps plus loin, vers l’espace infini qu’il voulait dévaler comme au jour de la création ».

La mer Noire dans les Grands Lacs – Annie Lulu – Editions Julliard – Janvier 2021-04-25

Roman figurant dans les 21 sélectionnés pour le Prix Orange 2021, avec mes remerciements pour lecteurs.com pour cette lecture. 

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