samedi 10 avril 2021

 

Une noisette, un livre
 
D’amour et de guerre
Akli Tadjer

 


En 1939 sur les terres kabyles la vie est dure. L’Algérie est toujours un département français où l’occupant est maître, aidé par des natifs prêts à tout pour obtenir un certain pouvoir et recevoir les honneurs. Le jeune Adam lui reste attaché à ses racines et de par sa situation n’a jamais pu être scolarisé. Pourtant, il le fils d’un homme qui a combattu dans l’armée française et mort suite à ses blessures. Toutefois, le jeune homme est instruit, il écoutait les cours de l’instituteur sous les fenêtres de l’école et le sieur Grandjean, un colon bienveillant, s’en était aperçu et s’était pris d’affection pour le jeune garçon, une réelle amitié qui aura une suite bouleversante quelques années plus tard. Malgré une tante acariâtre et l’accumulation de très mauvais souvenirs, Adam est rempli d’espoir parce qu’il est amoureux. Fou amoureux de Zina et ensemble ils imaginent un avenir radieux, main dans la main, cœur contre cœur. Seulement en métropole, les bruits de bottes résonnent, la mobilisation est en marche. Pour tout le monde, colonisés compris. Adam refuse de servir la France et s’enfuie avec Zina dans la montagne pour sceller leur union. Une nuit d’amour et le lendemain matin il est rattrapé par les autorités françaises et sbires locaux. Il embarque comme « prisonnier déserteur » sur la Méditerranée puis se retrouve près de la ligne Maginot à attendre l’ennemi avec des « collègues » venant des autres colonies ou d’Algérie… on a beau combattre sous le même drapeau, on ne mélange pas les sangs pouvant être impurs. La suite ira de Charybde en Scylla dans cette France qu’il ne connait pas, à combattre un ennemi qu’il ignore et à atterrir dans un Paris occupé. Comment Adam arrivera-t-il à survivre ? Pourra-t-il retrouver celle pour qui il tient un petit carnet rouge ?

Un roman qui vous prend aux tripes ! Poignant, déchirant, pathétique mais tout de même pétri d’humanité grâce à cet hommage aux oubliés de l’histoire, ces hommes enrôlés de force dans une guerre qui n’était pas la leur. Déjà que la guerre est une absurdité ! Sans aucune haine Akli Tadjer remonte une histoire tragique entre deux nations de chaque côté de la Méditerranée, ne donnant aucune leçon anticolonialiste mais décortiquant tout le processus infâme de l’emprise d’un peuple sur un autre avec la parallèle de la France colonisatrice et l’invasion allemande en 1940. Comment ne pas réagir à cette aberration et cette opprobre de demander à une nation d’aller aider à combattre un occupant quand elle est, elle-même, occupée depuis des décennies !

La valeur de ce roman est également historique, l’écrivain relatant des faits trop méconnus ou évaporés de la mémoire collective. Sur l’ensemble des conditions désastreuses des soldats venus d’autres mondes pour la France mais aussi sur quelques figures comme celle du fondateur de la Mosquée de Paris, Kaddour Benghabrit et qui sauva des centaines de juifs - remis en lumière également par le journaliste Mohammed Assaouï dans « L’Etoile jaune et le Croissant » en 2012.

Dans l’enfer de la guerre et de l’ignominie humaine, de la violence et de la puanteur, cette fiction est d’une humanité absolue, remettant un peu de cœur dans des pierres ensanglantées. Fiction, certes, mais trop vraie pour ne pas avoir été vécue et racontée dans la famille du romancier.

« Moi, lorsque je pensais à la France, je ne voyais que le bon visage de M. Grandjean et la jambe purulente de mon père. Le meilleur et le pire de l’humanité ».

« La guerre ne tue pas que les rêves. Elle tue les hommes, les femmes et les rires des enfants. Les survivants ne sont plus que des ombres ».

D’amour et de guerre – Akli Tadjer – Editions Les Escales – Mars 2021

 

 

 

 

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