lundi 13 janvier 2020


Une noisette, un livre


 Madame S

Sylvie Lausberg




16 février 1899. Dans le tourment de l’affaire Dreyfus, un autre scandale frôle l’Etat Français : le Président Félix Faure meurt d’épectase, officiellement d’apoplexie, au Palais de l’Elysée. C’est le fameux épisode de la « pompe funèbre » qui est resté dans les esprits et qui a fait, sans jeu de mots, de nombreuses gorges chaudes. Mais on ne connait pas ou très peu la véritable vie de sa maîtresse, Marguerite Steinheil née Japy.

L’historienne Sylvie Lausberg mène des recherches depuis près de vingt ans sur cette femme et propose un ouvrage stupéfiant en décortiquant la destinée digne d’un roman de pur fiction et qui pourtant n’est que la réalité historique.

Marguerite, dite Meg était née en avril 1869 dans une famille bourgeoise et les premières années de sa vie ont été paisibles avec un père qui adorait sa fille mais l’enfermant dans un carcan surprotecteur au fur et à mesure que la jeune fille grandissait. C’est ainsi qu’elle n’a pu épouser celui qu’elle aimait et finit pas accepter de devenir l’épouse d’Adolphe Steinheil, peintre de son état. Un mariage éloigné de l’amour même si l’affection avait pris quelques marques. Marguerite désire être une femme émancipée et pose sans ambages ses conditions de liberté auprès de son mari. Dès que les hommes accédaient à un certain statut, ils multipliaient les liaisons avec la bénédiction de la société, une femme, elle, dès qu’elle désirait aussi jouir de son corps comme elle l’entendait était aussitôt considérée comme une catin. Pourtant, Marguerite Steinheil, salonnière de renom était loin d’être la putain de la République.

Dans « Madame S », si l’affaire Félix Faure est racontée avec un intérêt certain et démonte quelques idées trop reçues, le récit prend une tournure captivante lorsqu’est abordé le deuxième chapitre essentiel, celui où Meg est accusée d’un double meurtre, ceux de son mari et de sa mère en 1908. C’est le début d’une chute avec l’incarcération à la prison de Saint-Lazare, puis le procès. Puis, vint l’acquittement. Elle quitte la France pour l’Angleterre où elle épousera en secondes noces un lord anglais. Mais sa vie rocambolesque ne s’arrêtera pas là vu qu’un enlèvement au Maroc aura lieu des années plus tard.

Une des grandes découvertes dans ce livre est celui d’un fil conducteur qui a orchestré les rebondissements du parcours de Marguerite, celle qui admirait et chantait Gounod, fut victime d’un air bien mystérieux des bijoux, celui d’un collier offert par Félix Faure. Rien d’un vaudeville mais sexe, mensonges et politique seront les acteurs principaux d’une vie et surtout d’un procès qui défrayera la chronique au début du vingtième siècle.

L’historienne démêle ainsi progressivement tous les fils de la justice, de la politique, des arrangements entre amis, de la jalousie et cette histoire fait ressurgir l’ambiance de l’époque où l’affaire Dreyfus divise une société baignée dans les affres de l’antisémitisme.
Une belle occasion pour se remémorer les personnages de l’époque, à commencer par Georges Clémenceau et Aristide Briand qui fut un Badinter avant l’heure en défendant l’abrogation, en vain, de la peine de mort, et se dire, une fois encore, que le fameux « c’était mieux avant » est une ineptie totale. Les médias d’aujourd’hui n’ont rien à envier de ceux d’il y a plus de cent ans où les journalistes prenaient position, soit pour la partie civile, soit pour la victime et allaient bien au-delà de la narration des faits et de leur travail. La vox populi s’en donnait à cœur joie en criant « à mort la putain » ; aujourd’hui ce serait sur les réseaux sociaux mais en ignorant toujours ce que contiennent les dossiers d’instruction.

Un portrait d’une femme avant-gardiste qui méritait d’être écrit. Et qui mérite d’être lu.

« La France antirépublicaine et antidreyfusarde ne s’avoue pas vaincue. Comte et baron sont emmenés au poste et vite relâchés. Mais l’affaire fait scandale. S’attendant à être acclamé, le comte de Dion a la désagréable surprise de se voir critiqué par le très écouté Pierre Giffard, fondateur du premier journal consacré à la bicyclette, Le Vélo. Albert de Dion, propriétaire de son concurrent L’Auto, ne décolère pas devant l’attaque virulente de Giffard et n’aura de cesse de s’en venger. En 1903, il créera la plus grande épreuve cycliste jamais organisée. D’une certaine manière, le Tour de France est né de l’affaire Dreyfus ».

« Meg, appuyée au mur de sa cellule, revisite sans cesse l’histoire, cherche les failles, revoit son argumentation, tente de trouver ce qui pourrait influencer le jury en sa faveur. Elle espère que, l’heure venue, l’un ou l’autre de ses amis influents pèsera de son poids pour infléchir le bras de la justice. Mais elle sait aussi qu’elle se retrouvera seule devant la cour d’assises, et que la partie sera serrée ».

« Acquittée elle n’en reste pas moins coupable. Peut-être pas des crimes, mais d’être ce qu’elle est : une femme qui aime la vie, l’amour et le sexe. Et cela, ça ne pardonne pas ».

Madame S – Sylvie Lausberg – Editions Slatkine & Cie – Octobre 2019

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