dimanche 21 avril 2024

 

Noisette romaine

L’ami du prince

Marianne Jaeglé

 


 

L’amitié aurait pu se poursuivre, ils se connaissaient, l’un avait appris à l’autre les bases de la philosophie, les bienfaits de la sagesse humaine, le respect du peuple. En vain. Néron était au-dessus de tout, au-dessus des cœurs, au-dessus des âmes, il était LUI. Le 12 avril 65, Sénèque se donnera la mort sur ordre de l’empereur ; nous sommes au premier siècle de l’empire romain au moment où une « secte » menée par un certain Christo pourrait faire vaciller Rome victime des dérives sanguinaires, hybristiques et orgiaques.

Bien plus qu’un roman historique, L’ami du prince est une narration de l’ascension au pouvoir de Domitius, futur Néron, despote absolu à la cruauté sans fin. Quelques heures avant son suicide, Sénèque écrit une longue lettre à son confident et fidèle Lucilius sur ces quinze années passées aux côtés de Néron, son élève devenu un monstre… Un testament où Sénèque écrit le bilan de sa vie, ses espérances perdues, ses erreurs mêlées de réflexions sur la réalité du pouvoir et les illusions perdues.

Un roman qui ne s’est pas écrit en un jour. Il a fallu à la romancière se jeter à corps perdu dans des heures incalculables de recherche et relire tout ce qui a été publié au sujet de Néron, de Sénèque et de ses dernières heures toujours restées un mystère puisque que le fameux discours serait perdu, et, se référer à Tacite et Montaigne. Ensuite, se fondre dans l’ambiance de l’antiquité pour décrire jusqu’au moindre détail faits et gestes de l’époque avec l’ornementation nécessaire qu’un peintre saisirait pour illustrer l’action. En cela, Marianne Jaeglé est une biographe hors-pair qui fait valser les vocables au son des mouvements et des pensées des personnages qu’elle fait renaître le temps d’un moment, le temps des moments de vie.

À cette facilité apparente – puisque la lecture s’écoule au fil des pages comme un doux murmure, malgré la dureté de certains actes – se cache une prouesse antique dans la pure tradition des belles lettres. Le choix du sujet est audacieux puisqu’il refuse les effets de mode mais prouve en même temps que cette littérature est source d’immortalité.

L’ami du prince – Marianne Jaeglé – Éditions Gallimard/Collection L’arpenteur – Mars 2024

 

 

vendredi 19 avril 2024

 

Noisette saint-amandoise

Pour

Noisette livresque

 


Il était une fois au cœur de la France, une ville entourée de petites collines qui fut le théâtre de l’un des épisodes qui a marqué le grand livre perpétuel de l’Histoire française : la fronde.

Alors, lorsque le brillant historien et maître de conférences à la Sorbonne, Xavier Le Person, publie en septembre 2023 aux éditions Fayard Le Grand Condé, un exil pour l’honneur, votre serviteur se dit que c’est l’homme qu’il faut pour la 3e édition du Salon du livre de Saint-Amand-Montrond des 13 et 14 avril 2024 (2 autres articles à venir) et que proposer en complément une visite à la forteresse de Montrond est une opportunité à saisir.

Forteresse de Montrond ©Squirelito


Pour rappel, le Salon du livre de Saint-Amand-Montrond est chapeauté – dans sa version actuelle – par la Mairie de la ville avec une organisation revenant à la directrice de la bibliothèque municipale Isabel Godin, Delphine Dalix. S’ajoute une équipe composée du nouveau directeur de la culture de la ville, Bertrand le Bars, l’adjoint chargé de la culture et du patrimoine, Raphaël Fosset ainsi qu’un comité du Prix Alain Fournier, prix littéraire géré entre la ville de Saint-Amand-Montrond et la Maison École du Grand Meaulnes à Épineuil-le-Fleuriel.

Le grand Condé, un exil pour l’honneur n’est pas une biographie classique sur Louis II de Bourbon, ce n’est ni un inventaire chronologique, ni une sempiternelle ode à un personnage. L’historien relate la rivalité avec le cardinal Mazarin et le prince du sang, puis leur amitié, relative ou tout au moins forcée ; une période assez occultée, une sorte de chaînon manquant sur les relations entre le vainqueur de Rocroi et le faiseur de paix du Traité des Pyrénées que l’auteur met en lumière.

Louis II de Bourbon, cousin de Louis XIV, mènera une fronde contre Mazarin après avoir été au service des armées royales. De cette rébellion, découlera la fin de la forteresse défensive de Montrond en 1652 et sera partiellement démantelée. Le Grand Condé s’allie avec le pire ennemi de la France, l’Espagne de Philippe IV. Il remportera moult victoires aux Pays-Bas espagnols jusqu’en 1654 où, à Stenay, la France gagne et c’est l’un des premiers succès pour le jeune roi Louis XIV. Progressivement, le Grand Condé va être réhabilité et en novembre 1659, la signature du Traité des Pyrénées est une paix rétablie entre les deux royaumes mais également entre Mazarin et Condé.

Au-delà de cette histoire de heurts et de réconciliations, Xavier Le Person démontre les prémices de la diplomatie et des manœuvres politiques qui perdurent encore ; ce document est un délice pour tout fin gourmet d’histoire ; il a nécessité des années de recherche et surtout des centaines d’heures pour décrypter lettres manuscrites et documents d’époque, non seulement les déchiffrer mais remettre le sens de ces écrits dans le contexte. Un travail de fourmi pour le plus grand plaisir des cigales livrovores.

Arrivée à la forteresse - Xavier Le Person - Pierre -Allart - Inés Becuau
© Squirelito


Avant la rencontre à la bibliothèque, Xavier Le Person a pu arpenter les vestiges de la forteresse de Montrond avec une visite menée par le médiateur du patrimoine de la ville de Saint-Amand-Montrond, Pierre Allart en compagnie de la directrice du site, Inés Becuau. Outre le magnifique panorama sur le saint-amandois qu’offre cette forteresse, elle est aussi une véritable encyclopédie pour comprendre l’évolution de l’architecture militaire du XIII° au XVII° siècle. Après sa destruction par les Anglais, Charles d’Albret mène une campagne de reconstruction, puis le duc de Sully améliore l’ensemble lors de son rachat en 1606 en faisant un lieu de résidence et en l’embellissant considérablement. Après avoir renforcé le système défensif, il cède en 1621 le domaine à Henri II de Bourbon, le père du Grand Condé. Montrond devient une forteresse redoutable sous les ordres de l’intendant Jean Sarrazin qui, au passage, a enseigné les mathématiques au jeune prince de Condé. Sarrazin en fera un exemple de fortification bastionnée, la seule, en, plus, qui existe dans le centre de la France. Souterrains stratégiques, plusieurs niveaux défensifs… aucun étonnement que cette forteresse est résistée près d’un an aux forces royales ! Forteresse démantelée, château abandonné en 1735 puis utilisé comme carrière de pierres par les habitants de Saint-Amand-Montrond. Retransformé en parc en 1834, le site va être remis à jour en 1970 grâce à une association, le C.H.A.S.A.

Aujourd’hui, des visites guidées et libres sont organisées d’avril à septembre. Renseignements au 06 78 89 91 83

Le grand Condé, un exil pour l’honneur – Xavier Le Person – Éditions Fayard- Septembre 2023

Présentation de la maquette 
© Squirelito





Sur les marches de l'histoire
© Squirelito




Promenons-nous
© Squirelito

 

 

Sous le soleil exactement
© Squirelito






Rencontre Bibliothèque Isabel Godin
Ghislaine Antoine - Xavier Le Person
© Martine d'Aligny

mercredi 10 avril 2024

 

Noisette spectrale

 

Fantômes Yokai

Philippe Charlier

 


Philippe Charlier est l’homme qui, en fouillant les ténèbres, fait jaillir la lumière.

Sépultures, ossuaires, trépas mystérieux… aucun secret ne lui résiste. Il dialogue avec les morts, les fait ressusciter en leur offrant ses soins d’outre-tombe. Chez lui, les cadavres sont exquis. Le surnaturel est l’un de ses domaines au royaume des terriens car il veut réconcilier la vie et la mort ; explorer les dernières demeures est un respect pour entretenir le vivant.

Le Docteur Philippe Charlier est aussi celui qui autopsie les fantômes, ces ectoplasmes qui déjà hantaient les vivants 3500 avant J.C. D’ailleurs, pour l’anthropologue, les fantômes sont salutaires, ils permettent « la paix des vivants et celle des morts ».

Dans ce nouveau et magnifique ouvrage, le médecin légiste continue d’emprunter les chemins fantomatiques, cette fois au Japon avec les Yokai (créatures hybrides surnaturelles). Nous retrouvons ces représentations dans moult estampes, certaines signées par l’un des plus grands maîtres en la matière : Katsushika Hokusai (1760 – 1849).

Pourtant Philippe Charlier a un esprit on ne peut plus cartésien mais il convoque les fantômes, ce monde complexe entre les morts et les vivants. Ils peuvent provenir d’un amour impossible mais devient « réalité » dans l’au-delà. Ces individus, d’apparence monstrueuse, reviennent pour hanter le monde des vivants en demandant justice ou réclamant quelque amour. Les femmes sont beaucoup plus nombreuses à se mouvoir en fantômes que les hommes, elles subissent bien plus de violences et viennent donc cicatriser les injustices…

L’histoire de ces âmes sans repos remontent à la nuit des temps mais leurs « images » sont assez récentes : Okyo Maruyama (1733 – 1795) ouvre les portes du surnaturel en grandeur nature parce qu’il est confronté au Yurei (esprit évanescent) de la femme de sa vie

Tour à tour, nous faisons connaissance avec les revenants, avec Okitu, Otsuyu (un fantôme sexuel), Ubume (morte lors de son accouchement et qui porte seule la responsabilité de l’enfant mort-né avec le poids de la culpabilité), le fameux No et l’espoir de l’amour divin, Oiwa (la femme trompée par son mari), les fantômes des champs de bataille…

On apprend donc dans ce très beau livre que les mangas n’ont rien inventé, elles sont l’illustration même de la transmission de la culture japonaise.

« La mort, partout la mort » écrit Philippe Charlier comme s’il allait entonner l’air des cartes de Carmen. Mais non, c’est tout autre chose. Loin d’être lugubre, ce livre nous oriente le regard vers une autre vision et pas forcément fugitive. Le sieur Charrier nous explique simplement « que ce monde est bien trop complexe pour croire que nos yeux peuvent tout voir et nos sens tout percevoir ».

Fantômes Yokai – Philippe Charlier – Éditions Hazam – Mars 2024

mardi 9 avril 2024

 

Farce aux petites noisettes

La vie des choses

Marc Agron

 


Claude Sautet filmait les choses de la vie. Marc Agron écrit sur la vie des choses. Alors, sont-ce les choses qui font la vie ou bien les choses qui en ont une ? Est-ce l’homme qui finit par prendre la vie des choses à force de leur donner un pouvoir au-delà de l’imaginable ?

Revenons au sujet du roman. Yann Mendelec a été un écrivain reconnu et glorifié. Hélas, son dernier roman est un échec et, peu importe ses précédents succès, il est banni de la société littéraire à commencer par son éditeur. Ne reculant devant aucun défi, il écrit à nouveau dans un style complétement différent, très contemporain, l’antithèse de ses précédents opus. Louis Van Berg, son éditeur, redevenu légèrement plus à l’écoute – il flaire un bestseller – lui propose un pacte diabolique : changer d’identité pour être un auteur vierge de tout. Yann accepte, il devient Norga Abraham. Une odyssée commence, jusqu’où la mènera-t-il ?

Ce roman est bien plus qu’un roman. C’est une envolée livresque où s’est glissée, subtilement, une farce contemporaine sur la notoriété en général et sur celle du monde littéraire en particulier.

Marc Agron mélange les genres, il passe avec une aisance de funambule du conte au thriller en maniant le verbe comme un prestidigitateur. Résultat, le lecteur s’amuse. Beaucoup, de Paris à New York. Car le double va franchir l’Atlantique pour affiner son personnage en laissant son épouse comme une Pénélope attendant le retour de son tendre et cher. En toute logique puisque l’écrivain recherche le temps de la littérature pour donner du courage à son Norga Abraham et inciter le lecteur à relire quelques classiques.

Romain Gary créait des doubles pour fuir la célébrité ; le Yann Mendelec de Marc Agron se transforme pour la retrouver… tout en étant obligé de se cacher. Oxymore psychologique total au royaume où un livre prend le pouvoir sur son géniteur.

Vous l’avez compris, ce livre est une perle à aller pêcher en librairie sans tarder pour rejoindre les aventures rocambolesques d’un écrivain naviguant entre fantaisies et divins mensonges.

La vie des choses – Marc Agron – Éditions La Veilleuse – Avril 2024

 

 

 

 

 

vendredi 29 mars 2024

 

Noisette savoyarde


Col rouge

Catherine Charrier

 


Savez-vous qui étaient ceux que l’on nommait les « Cols rouges » ? Les commissionnaires de l’Hôtel Drouot qui ont œuvré de 1860 – date à laquelle la Savoie fut rattachée à la France sous Napoléon III – à 2010, leur épopée s’est achevée lors d’un procès pour diverses fraudes mais qui depuis des lustres faisaient partie de l’organisation : la yape, une pratique qui autorisait les manutentionnaires à soustraire quelques objets lors du débarras des appartements. Particularité et non des moindres, ces cols rouges – 110 en tout – avaient la même origine, la Savoie, et la charge se transmettrait de génération en génération.

C’est cette histoire que raconte Catherine Charrier dans une fresque familiale aux six générations, depuis François et Berthe jusqu’à Paul, le narrateur de l’histoire aux côtés de son ex-fiancée Marie.

En 1861, François épouse Berthe dans sa Savoie natale, tous les deux issus du monde agricole. François met tous ses espoirs dans un nouveau poste à Paris et part seul dans la capitale préférant attendre quelques mois de salaire et un logement décent pour accueillir sa chère et tendre épouse. Berthe le rejoindra lors d’un long et surtout abominable périple : trois hommes vont abuser d’elle lors d’un arrêt de l’hippomobile. Elle gardera en tête l’aspect du poignard et le nom de ses violeurs. Tentée de ne rien dévoiler à son mari, au risque de rompre leur union – au XIX° siècle la loi phallique est de mise – elle révèle néanmoins à François ce qui lui est arrivé. Il va la protéger même quand elle met au monde son premier enfant qui est le fruit du viol.

Un pur roman mais qui permet au lecteur de plonger dans un monde inconnu, de mettre en lumière ces travailleurs de l’ombre sur le marché de l’art et des antiquités, de dessiner un tableau de toute une époque avec ses fastes, ses tragédies et de porter une analyse sur la condition féminine et la lente émancipation des femmes au fil des décennies. Car si moult personnages sillonnent ce livre, celui de Berthe reste central. Noisette sur le sommet, le retour des protagonistes dans leur région d’origine offre une vue régulière sur les paysages de Savoie et sur l’évolution des mœurs et coutumes.

Captivant et rondement mené !

Col rouge – Catherine Charrier – Éditions Calmann-Lévy – Février 2024

 

 

mardi 26 mars 2024

 

Noisette imaginaire 

Le pays de Rêve

David Diop


Quelque part en Afrique une très belle jeune fille vit avec sa grand-mère dans des baraquements de bric et de broc. Feu ses parents lui ont donné le prénom de Rêve. Vêtues d’habits pulvérulents, elles glanent comme elles peuvent quelques aliments dans la décharge proche pour subsister. La grand-mère prend garde à enlaidir sa petite-fille pour qu’elle ne tombe pas dans les sales mains des soldats désœuvrés au pays du dictateur le Grand désœuvré. Deux anneaux d’or vont affaiblir l’entente entre les deux femmes. Jusqu’au jour…

Un conte très court mais intense. Intense en poésie, intense en métaphores, intense en émotion. Une allégorie tout en délicatesse sur l’exil : la tragédie des guerres, des viols, de la famine qui conduit au désir de tout quitter pour tenter une vie sous des meilleurs auspices. Mais que migrer a un prix.

Un conte hypnotique qui met en lumière les êtres humains qui luttent tout en espérant.

Un conte initiatique pour petits et grands sur la misère et l’injustice du monde qui porte au sommet la vaillance des êtres qui se battent pour survivre et tenter, un jour, de vivre.

📙Le pays de Rêve – David Diop – Éditions Rageot – Mars 2024

🐾En remerciant Babelio pour sa Masse Critique Spéciale

dimanche 10 mars 2024

 

Noisette historique


La Nuit des ombres 

(Les marais de Bourges)

Édouard Brasey

 


Zoé et Jacques s’aiment. Ils n’ont pas encore vingt ans et l’avenir est devant eux. Sauf que la percée de Sedan est proche : nous sommes en mai 40. Un mois environ plus tard, le Bourges de Jacques est en zone occupée, le Saint-Florent-sur-Cher de Zoé est en zone libre, la ligne de démarcation traversant le Cher jusqu’au 11 novembre 1942. Zoé hait aussitôt l’ennemi, Jacques est plus modéré. Les deux vont travailler pour l’Allemagne nazie : Zoé pour une usine d’armement, Jacques à la Kommandantur où il est chargé de trier le courrier. Très rapidement Zoé devient Cosette. Jacques hésite à s’engager dans la résistance. Au milieu du chaos, un homme continue de croquer les trains et les monuments de la ville malgré le dénuement le plus total : pauvre mais libre il restera. C’est un artiste, il s’appelle Marcel Bascoulard.

Autant le dire tout de suite, ce roman est monumental, à l’image de la superbe couverture représentant la cathédrale de Bourges dessinée par… Marcel Bascoulard, un double hommage lui est donc rendu dans ce livre.

Les deux qualités principales de ce roman sont d’avoir su habilement incorporer des personnages de fiction avec des personnes ayant existé – certaines avec un nom modifié, d’autres non – comme le bienveillant franciscain Alfred Stanke, employé de la Wehrmacht et l’odieux monstre Pierre-Mary Paoli au service de la sécurité SS, et, de raconter avec une exactitude confondante la réalité sous l’occupation. En lisant ce roman, j’avais l’impression d’entendre la voix de ma mère me racontant ce qu’elle avait vécu : la ligne de démarcation, les collabos, les résistants, les tickets et le rationnement, les habits et les semelles de bois, les cartes pré-écrites, les fouilles, les profiteurs, les rumeurs de déportation, la haine du juif et cette milice française parfois encore pire que l’ennemi (et encore, elle avait fait l’exode et connu les bombardements de 44).

Vous l’aurez compris, un roman très fort et qui mérite une critique bien plus fournie que « lecture agréable » ou « qui se lit facilement’. Car c’est tout un pan de la société française pendant la seconde guerre mondiale qui est décrit, avec ses âmes vaillantes et ses âmes morbides. De cette histoire française découle une histoire locale au cœur même de la France avec ses héros et ses traitres. La narration de l’exécrable Paoli est telle qu’elle donne envie d’aller cracher sur sa tombe (si tombe il y a) et, à côté, l'engagement total de la résistance où chacun était conscient du danger et des possibles trahisons. La guerre, les conflits faisant surgir le pire comme le meilleur de ce que renferme l'humain. 

Pour éclairer un peu cette noirceur, Édouard Brasey apporte de la poésie pour décrire Bourges et ses environs, nomme chaque chapitre par un air populaire de l’époque, et, termine sur une note – plutôt des vocables – qui  provoque l’esquisse d’un sourire sur les lèvres. Sans oublier, la référence au plus illustre des Berruyers : Jacques Cœur, père du « À cœur vaillant, rien d’impossible ».

Les hasards ne sont parfois que des futurs rendez-vous car joli clin d’œil indirect pour Bourges 2028 : « Lassé de la superficialité des salons littéraires parisiens, ne tenant pas pour autant à s’enterrer dans une lointaine province, il avait estimé que Bourges était un excellent compromis. Une ville à taille humaine, assez proche de la capitale, avec suffisamment d’animations pour y mener une vie sociale agréable ».

La Nuit des ombres – Les marais de Bourges – Édouard Brasey – Éditions La Bouinotte – Février 2024

vendredi 1 mars 2024

 

Noisette aventureuse 

D’or et de jungle

Jean-Christophe Rufin

 

Jean-Christophe Rufin descendant le célèbre escalier du premier siège des Éditions Calmann-Lévy
le 6 février 2024

L’or s’avère plutôt noir et la jungle n’est pas uniquement peuplée d’êtres simiesques ; leurs descendants « Homo erectus » se chargeant d’ériger des compétitions machiavéliques depuis qu’ils sont devenus soi-disant « sapiens ».

La distribution de cette aventure livresque est emmenée par deux personnages principaux : Flora et Ronald. Flora garde en elle une admiration sans faille pour son grand-père mercenaire. Elle suit ses traces, peu importe le danger et les échecs. Sauf que son destin aurait été tout autre si elle n’avait croisé au large des Galàpagos un requin baleine… Sa nouvelle mission sera de participer à un coup d’état nouvelle génération pour offrir un beau produit clef en main au patron d’une entreprise numérique en Californie. Le concepteur 2.0 est un certain Ronald qui a pour devise : tous les coups sont permis.

Pour décor, le sultanat de Brunei : petit par la taille, immense par la richesse avec tranquillité politique garantie malgré quelques soubresauts de temps à autre, mais, sans conséquence aucune. Le pays idéal selon les analyses du professeur de géopolitique Delachaux qui a pris l’occasion aux cheveux lorsque Ronald lui a proposé une collaboration.

Faisant référence à Malaparte, Jean-Christophe Rufin offre un roman d’anticipation où un coup d’état ne vient plus d’une force armée mais d’un pouvoir technologique ; bienvenue à l’ère 2.0 des Gafam ! Et le lecteur y croit. Tout est minuté, calculé : un talent d’horloger au service des belles lettres, un Dumas du XXI° siècle qui vous emporte dans une aventure avec moult rebondissements tout en décortiquant la géopolitique et les comportements humains. Captivant mais effrayant aussi.

« L’aéroport de Singapour ressemble à ce que pourrait devenir l’humanité, si une catastrophe la contraignait à se réfugier dans un colossal abri souterrain. Tous les types physiques s’y croisent, perdus dans d’immenses couloirs éclairés au néon (…) Des centaines de boutiques hors taxes vendent plus cher qu’ailleurs des produits inutiles. Les différents secteurs de la fourmilière sont reliés par des trains intérieurs. Avec un flegme qui frise le désespoir, des employés chinois renseignent les égarés, sans leur offrir d’autres perspectives que de marcher encore et encore dans des décors toujours semblables ».

L’Académicien est un écrivain double, il se fond dans la palette d’un peintre, il se glisse dans la partition d’un musicien : descriptions colorées, précises qui vous transportent dans d’autres lieux inconnus devenant presque familiers, et , un tempo qui va crescendo en utilisant un rythme sémantique qui va se terminer en un final explosif ! Tant, qu’il pourrait passer devant vous un éléphant en train de danser le fox-trot sur le Thriller de Mikael Jackson que vous vous en ficheriez comme de votre première corde à sauter !

Malgré le sujet grave, la légèreté est de mise et c’est ce petit plus qui caractérise l’œuvre de Jean-Christophe Rufin en général et de ce roman en particulier. Que de panache, même pour la description d’un bipède : « Ronald avait vécu son enfance parmi les animaux et c’étaient eux qui lui servaient de référence pour juger les humains. Il avait toujours associé Marwin à une espèce d’écureuil, avec son petit visage pincé, son nez perpétuellement frémissant, ses incisives écartées et une grosse touffe de poils d’un brun roux rabattue sur le front ».

D’or et de jungle – Jean-Christophe Rufin – Éditions Calmann-Lévy – Février 2024

 

 

mercredi 28 février 2024

 

Noisette montagnarde

Hors saison

Basile Mulciba

 


 

Il n’y a plus de saison ! Très kitsch comme introduction, je l’avoue. Mais le dérèglement climatique fait que les hivers sont nettement moins rudes ces dernières décennies et que l’enneigement est problématique pour les stations de sport d’hiver – même si le désastre est d’abord d’ordre environnemental.

Hans, qui dirige un vieil hôtel familial, en fait le triste constat. Les clients se font de plus en plus rares et son entreprise est à la peine. Néanmoins, il décide d’embaucher quelques saisonniers dont Yann, un jeune étudiant en médecine passablement désœuvré et qui espère trouver quelque chose en partant sur les hauteurs.

L’absence de réelles occupations lui permet de partir randonner, d’humer un autre environnement, de se dévêtir du poids des inquiétudes et de partager quelques moments festifs avec ses collègues. Aussi taiseux que Hans, les deux hommes vont s’apprendre à se connaître et lorsque les employés vont devoir quitter l’établissement, faute de réservations, Yann décide de rester.

Un roman d’apprentissage aux notes poétiques où Basile Mulciba joue avec les métaphores et une lenteur délicieusement reposante. Mais la première qualité de cette histoire est sans doute la simplicité qui l’environne. La vie dans cet hôtel est assez rudimentaire mais une force indescriptible fait qu’une certaine délivrance du monde suffocant se libère : cette force est la nature pour qui sait la regarder, se fondre en elle. Les mêmes conditions de vie dans une ambiance de béton provoquent le désarroi.

Enneigement vôtre, 

Hors saison – Basile Mulciba – Éditions Gallimard – Août 2023

vendredi 23 février 2024

 

Noisette corse

Sève

Olivier Gallien

 


Ghjulia n’aime pas la Corse, seul le macadam parisien et son travail chez un éditeur trouvent grâce à ses yeux. Mauvais souvenirs de cette Corse après le divorce de ses parents, puis plus récemment, le suicide de son frère Antoine près du puits de la demeure familiale des Mondoloni. Ghjulia est la dernière héritière de cette lignée. Pourtant, elle y retourne malgré les appréhensions, elle sait qu’elle sera bien accueillie par son cousin Jean, un être foutraque au bon cœur. En arrivant elle fait connaissance de Julie, une jeune fille, espiègle et rigolote. Les deux femmes s’entendent très rapidement malgré leur différence d’âge. Julie semble en savoir beaucoup sur son cousin et sur cette ambiance lourde rodant autour de la propriété. Le danger gronde et la violence va éclater de toute part.

Un roman court et intense qu’il est difficile de lâcher en cours de route, un roman qui commence très doucement, une « drôle d’intrigue » où rien ne semble jamais jaillir quand d’un seul coup tout explose. La sève des choses cachées va ramper pour tous les personnages mis en dichotomie dans un huis clos haletant au milieu de cette garrigue corse où seules les feuilles et fleurs de caféier semblent imperturbables.... Violent et pourtant étrangement poétique.

Sève – Olivier Gallien – Éditions Robert Laffont – Janvier 2024

lundi 19 février 2024

 

Noisette cinématographique

 

Poussière blonde

Tatiana de Rosnay

 


 

À l’annonce de la démolition de l’hôtel Mapes, Pauline replonge dans ses souvenirs. Née en France, elle est partie dès l’enfance vivre dans le Nevada suite au remariage de sa mère avec un soldat américain juste après la seconde guerre mondiale.

Passionnée par les grands espaces et les mustangs elle rêve de devenir vétérinaire ; elle est déjà très engagée auprès des chevaux sauvages avec son amie Billie-Pearl. Hélas, elle se retrouve très jeune fille-mère et n’a pas d’autre choix que de travailler pour subvenir à ses besoins. Engagée comme femme de chambre au prestigieux Mapes Hôtel dans la ville de Reno, elle est trop souvent cantonnée au nettoyage des toilettes jusqu’au jour où elle remplace au pied levé une collègue pour s’occuper de la suite 614. Alors qu’elle pense que tout est vide, surgit une femme nue et hagarde : Marylin Monroe ! L’actrice est en tournage pour Les Désaxés et au bord de la rupture avec le réalisateur du film, son mari Arthur Miller. Progressivement, les deux femmes sympathisent.

Quel roman ! Quel régal livresque ! Une rencontre entre deux femmes que tout oppose, en apparence, et qui fait partie de ces hasards qui ne sont que des rendez-vous avec le destin. Pauline, dotée d’une force qu’elle ignore va gagner la confiance de l’actrice en sachant écarter tout orgueil et en veillant à garder une discrétion absolue alors que les rumeurs et ragots ne cessent de circuler à chaque étage de l’hôtel. De son côté, la star va trouver un apaisement avec cette jeune femme discrète et n’hésitera pas à lui apporter son aide et de précieux conseils : dans la vie il faut savoir s’imposer et ne pas hésiter à tenir tête, voire à sortir ses griffes en douceur.

Le portrait de Marylin Monroe est touchant au possible, apparaît la fragilité de cette femme, entraînée dans un tourbillon de paillettes, qui s’égare par l’alcool et l’abus des anxiolytiques mais qui conserve un vrai cœur contrairement à certains vautours…

En parallèle, Tatiana de Rosnay nous emporte par magie dans le désert du Nevada au milieu des hordes de chevaux et des vaillantes personnes s’occupant du sort des mustangs pour ces animaux, synonymes de liberté, puissent continuer à galoper dans cette immensité. Noisette sur la chevauchée, la délicieuse métaphore avec Commander… Je ne vous en dis pas plus !

Poussière blonde – Tatiana de Rosnay – Éditions Albin Michel – Février 2024

 

 

  Noisette romaine L’ami du prince Marianne Jaeglé     L’amitié aurait pu se poursuivre, ils se connaissaient, l’un avait appris à...