Noisette
brésilienne
Sur le fleuve Amazone, carnet de voyage
Jean-Christophe
Rufin
Heureux qui,
comme Jean-Christophe Rufin, a fait un inspirant voyage et revient avec croquis
et belles lettres pour narrer ses pérégrinations, plein de raison et
d’humanisme.
D’entrée de jeu, l’académicien prévient qu’il ne va pas raconter l’Amazonie ou se prêter à un essai géopolitique auquel il n’aurait pas toutes les cartes en main. Sa feuille de route est de naviguer dans cette immense baignoire amazonienne et saisir chaque temps qui passe par des pauses pour être en symbiose avec cet environnement entouré d’eau et de couleurs, la base de toute aquarelle.
Le romancier va embarque sur le Rio Negro à bord d’un bateau pour locaux et non d’un navire de croisière. Seul « touriste », il désire prendre le pouls du territoire, ausculter avec son âme les personnes rencontrées et observer les mouvements de vie sur ce territoire objet de moult fantasmes et légendes.
Mots et coups de pinceau pour offrir à chaque lecteur un abandon éphémère de tout ce qui l’entoure ; ne penser à rien le courant des pages faisant de nous des errants d’un voyage immobile. Pour celles et ceux que la monotonie plonge vers le sommeil, aucun risque puisque l’écrivain garde sa verve habituelle pour narrer son récit avec pointes d’humour « les militaires tenus en laisse par leur chien », saupoudrage de doux euphémismes comme « étreintes tarifées » pour tapinage ou bien encore des élans de tendresse comme avec la partie impromptue de dominos avec des réfugiés vénézuéliens. Et nous révèle pour la première fois ses talents de peintre ; l’écrivain peintre à la Kundera.
D’aucuns s’enrichiront de connaissances à la lecture de ce beau-livre – en supplément des croquis à contempler – des variations géographiques aux passagers sénégalais de la communauté mouride en passant par les pavés de caoutchouc sur le parvis de l’opéra de Manaus, les ventes acrobatiques entre ferries et pirogues, la variété ethnique de la population amérindienne : « Dans ces hamacs colorés, alignés selon un ordre rigide et trompeur, c’est toute la variété humaine de la forêt qui voyageait avec moi ».
La quiétude du long fleuve disparait à l’approche de Manaus, le gigantisme devient humain dès les faubourgs de cette ville industrielle, pionnière pour le meilleur et pour le pire de la fièvre du caoutchouc à la fin du XIX° siècle. Manaus, point de départ d’un autre aspect fluvial : la boue, cf l’aquarelle page 90 sur la rencontre des eaux entre le Rio Negro et le Rio Solimão.
Après la pollution visuelle, la pollution sonore quand le romancier aquarelliste embarque sur un ferry, toujours local mais démeduré où l’esprit de la forêt laisse la place à celui de la ville, cacophonie en prime : « Sur les bateaux monstres de l’aval, c’est le visage effrayant du Brésil qui s’exprime et anéantit toute vie autonome. La collectivité brésilienne est une puissance aveugle à laquelle nul ne résiste. Les chaînes de télévision en sont un des instruments ».
Jean-Christophe Rufin s’est fondu dans la population amazonienne pour être en symbiose total avec le peuple et l’environnement, bien loin des attractions touristiques sur des sites fabriqués par des Potemkine de tout poil. Saisir le vrai du faux, palper la réalité brésilienne. Au malaise des grandes villes industrielles se mélange celui d’une espèce de zoo humain où « être indien dans ces villages n’est plus une identité mais un métier ». L’âme de l’humaniste s’exprime encore et toujours, jusqu’aux dernières lignes pour ces, parfois, tristes tropiques.
Carnet de voyage sur l’Amazone ou l’art du regard d’un conteur du monde.
Sur le fleuve Amazone, carnet de voyage – Jean-Christophe Rufin – Éditions Calmann-Lévy – Octobre 2024
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