vendredi 28 juin 2024

 

Noisette picturale

 

L’Inconnue du portrait

Camille de Peretti

 


 

Un tableau pour deux dates : Jouvencelle en 1910 et Portrait d’une dame en 1917. Quand la galerie de Ricci Oddi à Piacenza en fait l’acquisition, tous ignorent encore qu’il s’agit du même tableau remanié par l’auteur lui-même, Gustav Klimt s’il vous plait.

À partir de faits réels, l’autrice Camille de Peretti nous entraîne dans une folle romance de l’Autriche aux États-Unis en passant par l’Italie, autour d’un personnage principal : Isidore et de celle qui est à l’origine du portrait. Près d’un siècle d’histoire, de tourments, de succès, d’amour et de mystères et d’une dépression économique qui a fait la gloire d’un homme. 

Écriture dynamique, tempo régulier et une plume qui a su jouer avec la curiosité pour capter l’intention du lecteur et favoriser la prolongation de la lecture jusqu’à des heures tardives. Quelques allers-retours qui peuvent décontenancer les réfractaires aux flash-back mais ils sont, disons, légers, et permettent d’amplifier l’intrigue. Avec un personnage qui arrive progressivement et qui est certainement le plus attachant : Pearl. 

L’opportunité, une nouvelle fois, de replonger dans un autre temps, d’avoir une nouvelle approche de cette longue période et de retrouver, parfois, en nos temps modernes des similitudes de comportements. Mais l’art de ce nouveau roman sont les petites touches ajoutées à la base pour que la forme devienne colorée et excessivement agréable à lire.

Une lecture idéale pour l’été et faire évader les neurones en d’autres lieux imaginaires et récréatifs.

L’Inconnu du portrait – Camille de Peretti – Éditions Calmann-Lévy – Janvier 2024

samedi 22 juin 2024

 

Noisette thrillesque

 

Le testament Dumas

David Verdier

 


 

Dans le secteur de la Brenne, plusieurs conducteurs sont surpris en apercevant en pleine nuit une Dame Blanche surgir des buissons. Puis disparaître aussitôt. À Châteauroux, le commissaire Tharel ne s’émeut guère de ces déclarations même si les dépositions sont prises avec sérieux. Tout bascule lorsque qu’un nouveau conducteur rentre avec fracas au commissariat pour signaler qu’après quelques sauts sur la route, il a retrouvé la Dame sans vie avec un visage exprimant l’effroi. Sauf, qu’une fois sur place, le médecin légiste est formel, la femme est morte depuis près de douze heures… Le détective Kestevan est sollicité pour tenter de dénouer les nœuds de cette mort mystérieuse. Surtout que le mari de la femme assassinée a disparu depuis 1977, sans laisser aucune trace et qu’un « Colonel » peu recommandable rôde toujours dans le Berry.

Une enquête riche qui replonge le lecteur dans une énigme avec… Alexandre Dumas. Le Maître a bien séjourné dans l’Indre en 1859 et sa fille a vécu à Châteauroux quelques années. De là, l’idée pour David Verdier d’imaginer l’existence d’un manuscrit inconnu qui réveille les âmes noires des siècles plus tard. Le fidèle personnage de Paul Kestevan créé par le romancier va tenter de démêler les fils de cet intrigue contemporaine sur fond historique. Un joli clin d’œil à la transmission littéraire et, également, au rôle des librairies par l’un des protagonistes de cette nouvelle fiction policière : Pierre Rémy.

De Châteauroux à Argenton-sur-Creuse, le lecteur ne peut que se réjouir de ces nouvelles aventures dans le pur style du roman policier, celui où la langue est respectée et les effusions de sang inexistantes. Détente garantie !

Le testament Dumas – David Verdier – Éditions La Bouinotte/Collection Berry Cold case – Octobre 2023

 

 

vendredi 21 juin 2024

 

Noisette gothique

 

Le tissu de crin

Jennifer Kerner

 


Vous aimez les romans étranges mais sans choir dans le glauque ? Le tissu de crin est pour vous. Un roman quasi indéfinissable mais terriblement intrigant, grâce à cette valeur ajoutée qui est la base de la littérature : l’écriture. Originale, métaphorique, élégante, taillée sur mesure. Parfait puisque la fiction évolue dans le milieu de la mode.

Ida est une anti-héroïne. Loin d’être sympathique, elle incarne la froideur, la domination, l’insensibilité. Première d’atelier chez un couturier de luxe, elle ne laisse aucune liberté à ses collègues et son travail n’est pas que millimétré pour tailler les tissus. Sa vie intime est à son image : glaciale. Un époux, un enfant qu’elle a abandonné et qu’elle avait qualifié de « En-trop » ; les bébés n’étant pas son domaine, cf son expérience de baby-sitter… Regrettant sa jeunesse et n’acceptant pas les marques du temps, elle voudrait continuer à séduire. Non aimer, séduire.

Tout bascule lorsqu’arrive le nouveau mannequin cabine, Jean. Beau, énigmatique, jeune. Elle n’a d’yeux que pour lui, à en perdre la tête. Lui, semble plutôt sourire pour une autre couturière, plus jeune. Mais Jean cache d’énormes blessures et le harcèlement dont il ne peut nier l’existence va raviver un passé.

Étrange, bizarre et sensuel. Dérangeant aussi mais sans créer de malaise. Difficile de définir, d’expliquer sans révéler l’intrigue. Ce tissu de crin n’est-il pas le miroir d’une société peuplée de personnes qui se cherchent, se cachent tout en s’exposant, refusent de vieillir à cause du regard des autres, dissimulent leurs faiblesses, leurs blessures de peur de devenir une proie ; une société où se côtoient les dominants et les dominés, les dominants profitant de leur statut pour assouvir leur pouvoir et leurs… désirs. Antagonismes de toute part : le tissu, sensé être doux, peut devenir agressif. Et déchirer celui qui va le toucher sans le vouloir.

Le tissu de crin – Jennifer Kerner – Éditions Mercure de France – Février 2024

 

 

 

jeudi 20 juin 2024

 

Triade noisettée : Amitié, pouvoir et trahison

 

L’affaire Chanteclerc

Robert Namias

 


Ils étaient quatre copains. Issus de milieux différents, chacun va quitter La Rochelle pour des carrières fulgurantes : Charles, acteur en haut de l’affiche ; Benoît, ministre tourniquet ; Olivier, grand reporter ; Rodolphe, écrivain à succès. Des dents à rayer le parquet mais l’amitié tente de résister. Jusqu’au jour où Olivier est retrouvé mort dans son appartement… officiellement de mort naturelle mais au 36 on sait que c’est un assassinat. Le trio d’amis restant s’étiole, surgissent brutalement les ombres qui vont noircir de plus en plus les relations. En haut du sommet, un chef d’État avec quelques belles casseroles à son pedigree et un divisionnaire prêt à tout pour sauver sa confortable vie.

Un thriller politique écrit par une plume de maître, riche en actions et sans compassion aucun pour ces affamés de pouvoir qui vendent leur âme au premier Méphisto venu. L’intrigue est rondement menée, aucun risque de lassitude au fil des pages. Évidemment, tout ressemblance avec des personnes serait une pure coïncidence mais l’ancien journaliste a suffisamment fréquenté les coulisses du pouvoir pour désormais prendre la liberté de décrire l’univers politico-médiatique avec son lot de secrets, de bassesses et de manipulations en tout genre.

Un roman puissant qui tire sa force sur à la fois l’analyse de la perversité du système et la psychologie des personnages : maintenir la célébrité a un prix. Avec un #MeToo en invité surprise.

Moult références – anciennes ou actuelles – font revivre ou vivre la fameuse Françafrique et autres errements de la politique française auxquelles s’ajoutent de croustillantes descriptions sur l’ambiance judiciaire – je ne sais où Robert Namias a trouvé l’inspiration pour le rôle de Barnier mais le résultat est épatant – et pour adoucir, de délicieux passages sur le macadam parisien, la Provence et la Picardie ; pourquoi pas en écoutant l’une des plus célèbres symphonies de Brahms.

Bluffant !

L’affaire Chanteclerc – Robert Namias – Éditions de l’Observatoire – Avril 2024

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

mercredi 19 juin 2024

 

Noisette en mémoire

 

Dans la fraternité de mes frères

Mona Azzam

 


« J’ai rêvé d’un monde de soleil dans la fraternité de mes frères » Léopold Sédar Senghor

Hélas, le monde est aussi tempête et des êtres aiment dominer les autres pour les rendre prisonniers dans leur pouvoir d’anéantissement. L’esclavage remonte à la nuit des temps et malgré son abolition, il demeure encore vivant sur terre. Pourtant l’un des biens les plus précieux de l’homme est la liberté durant son passage éphémère dans notre univers. Ne plus bâtir de porte sans retour.

Justement, cette porte sans retour. Un mur de pierre, une ouverture sur l’océan qui sera une fermeture sur la vie pour des milliers d’esclaves qui partaient de l’île de Gorée pour l’Europe ou l’Amérique après avoir été capturés à travers le continent africain. Mona Azzam rend hommage à ces victimes de la brutalité humaine par ce nouveau roman en mettant en scène un enfant italien qui trouve un trésor dans les eaux méditerranéennes : des rouleaux de papier contenant le témoignage manuscrit d’un esclave de l’île de Gorée. Seulement, il manque des rouleaux. Devenu archéologue, il continue sa recherche et arrive au Sénégal où il rencontre le père du directeur du musée de la Maison des esclaves…

Par la voix d’Acilio ou d’autres personnages, l’écrivaine fait résonner celles qui se sont tues.

Autant comme la laideur peut envahir le monde, autant comme la poésie et la beauté peuvent se poser avec délicatesse pour caresser les âmes meurtries par la sauvagerie humaine. Ce roman est sublime : pour le côté imaginaire, pour la force de l’hommage à ces milliers d’esclaves, pour le souvenir, pour les scènes finales qui vous font encore croire à l’humanité.

Plus on lit Mona Azzam, plus on peut définir la romancière comme une autrice humaniste qui transforme son cœur en encrier pour déverser sur les pages une myriade de mots aux couleurs de la vie et de la paix.

Dans la fraternité de mes frères – Mona Azzam – Éditions Balzac – Mai 2024

 

lundi 17 juin 2024

 

Noisette montagnarde 

Escarpées

Marlène Mauris

 

« Si on ne croit pas en la poésie, alors la vie ne sert à rien »

 


Les montagnes ne sont pas les seules à être vertigineuses, certaines plumes le sont aussi.

Henri et Annette ont trois filles et évoluent dans cet espace de roches, de cimes, de pentes au fil des quatre saisons. La primo-romancière Marlène Mauris, invite le lecteur à passer une année à leurs côtés dans cette tranquillité toute relative. Un drame va bouleverser cette famille tiraillée par les silences, les non-dits et l’amour qui a du mal à s’exprimer. L’arrivée d’une jeune Française va semer encore davantage de doutes mais aussi laisser quelques sentiments transpirer : sa botte secrète, l’amour de l’art.

Écriture exquise pour narrer le quotidien de cette famille du Valais, loin de l’image de carte postale des Alpes, même si les plus belles envolées poétiques sont les descriptions de cet environnement grandiose. Cependant, la dureté des existences, l’âpreté des relations déchirent les êtres qui se referment sur leurs paradoxes.

Un texte excessivement touchant qui souligne en parallèle l’importance de la transmission, que s’ouvrir aux autres et montrer davantage ses joies et ses peines seraient les meilleurs antidotes pour adoucir les chocs de la vie. Sans oublier, l’essentiel : les relations humaines et l’humilité de la nature.

Noisette sur le livre, les illustrations de Pierre-Yves Gabioul qui reflètent parfaitement cette fiction aux multiples métaphores : la neige, les arbres, les ravins, le vol des oiseaux. Qui mieux que la nature pour paraphraser les mamelles des existences abreuvées simultanément par la beauté, l’évasion et les dangers !

Un premier roman parfaitement maîtrisé, proche d’une symphonie pastorale mêlant tendresse, humour et réalité.

« Feodora entreprend ses rangements et nettoyages quotidiens. Elle commence à s’habituer à ce foyer, ses recoins et ses araignées qu’il est interdit de déloger, toutes garantes qu’elles sont de la qualité sanitaire du lieu. Cette maison ne ressemble en rien à celles qu’elle a habitées jusque-là. Tout semble animé, vivant et symbiotique. Le bois craque et respire, la pierre du toit pèse de tout son poids, et le sol vibre au rythme des pas qui la franchissent matin, midi et soir. La bâtisse vit son existence propre, sa mémoire imprime tous les souvenirs de ceux qui la traversent dans le tissu lourd des rideaux et dans la densité morne du madrier ».

Escarpées – Marlène Mauris – Éditions Favre – Mars 2024

  Les derniers sur la liste Gregory Cingal   Si Stéphane Hessel reste dans toutes les mémoires, le sont beaucoup moins ses deux autres...