Souvenirs d'un médecin d'autrefois

lundi 27 mai 2024

 

Noisette pour une légende

 

Romain Gary ou la promesse du crépuscule

Mona Azzam

 


 

Après avoir fait revivre l’an dernier Albert Camus, la romancière et poétesse Mona Azzam redonne vie à une autre légende, Romain Gary, ces deux écrivains étant d’ailleurs fort amis et unis par la même fibre de la liberté, refusant de faire partie d’un certain sérail germanopratin.

Romain Gary était né en Lituanie (à l’époque sous l’empire russe) et y a vécu jusqu’à 1925 environ. Il ne retournera jamais sur ses terres de naissance. Ce roman le fait revenir à Vilnius, deux ans avant son suicide. Pour revoir, le lieu de sa naissance, retrouver l’image de sa mère Mina et tenter de retrouver son premier amour, Valentine. Ces retrouvailles agissent comme un kaléidoscope, la vie de Romain Kacew défile sous l’effet des cieux lituaniens et des édifices qui ont entouré son enfance. Se cherchant toujours, il reste avec une empreinte indélébile gravée au plus profond de son âme, celle de sa mère

« Les yeux maternels. Dès lors qu’ils se posent sur vous, ont cette puissance infaillible que seul l’amour est susceptible d’alimenter (…) C’est, mû par ses yeux que j’ai avancé dans la vie, affronté les épreuves. Rien ne s’est jamais dressé contre les remparts protecteurs de ses yeux. Rien n’a été en mesure d’ébranler ces remparts. Ni personne ». 

Mona Azzam ne s’engage pas dans l’écriture au hasard, elle pioche minutieusement dans toutes les archives, dans toute l’œuvre littéraire de celui pour qui elle voue une passion ; un livre n’étant pas un objet neutre : de par les phrases imprimées transpire une émotion, une révélation, une sincérité, un engagement. Le résultat dépasse tant les attentes que l’on croit surgir Romain Gary devant soi.

Par la prouesse de sa plume personnelle sans chercher à imiter qui que ce soit, la romancière met en avant toute la complexité de ce caméléon insaisissable

« On a beau changer de couleur, donner le change, jouer un rôle, des rôles. Avancer masqué, agir sous couvert d’untel ou d’un autre. Sous l’apparence du vert, du bleu, du rouge, la vérité éclate. Nue. Et, sous les divers masques revêtus, celui de Romain ou d’Émile, il y a Roman. Fruit de l’éclatement du caméléon ». 

confirmant que Romain Gary lui-même n’a jamais su réellement qui il était réellement, s’amusant à jouer les identités et à jongler entre le vrai et le faux.

Un roman subtil, élégant, si mystérieux par sa forme qu’il donne envie de replonger dans les racines littéraires de Romain Gary. Un livre de toutes les promesses.

Romain Gary ou la promesse du crépuscule – Mona Azzam – Éditions d’Avallon – Mai 2024

 

 

mardi 21 mai 2024

 

Noisette maritime

La promesse du large

Arnaud de la Grange

 


« Rien n’a plus de sang qu’un voilier qui piaffe, caracole et s’emballe (…) Il raconte le vent, les vagues, ses envies et ses refus » Tout comme un écrivain qui fait corps avec les pages sur lesquelles il trace une histoire et sait qu’il emmènera le lecteur à prendre le large, surfant sur des vagues de poésie, humant les embruns de la passion et respirant à pleins poumons le souffle d’une renaissance.

Ce roman est un corps à corps. Un corps à corps entre deux êtres qui se trouvent et réparent les blessures de l’âme et des choses ; un corps un corps avec la nature pour vibrer avec les éléments, en l’occurrence celle de l’eau et du bois pour un marin comme il en serait de la roche pour un alpiniste ; un corps à corps avec le temps pour retrouver l’éloge de la lenteur dans le dynamisme des sentiments.

Aidan n’a jamais connu ses parents emportés par l’océan le long des côtes bretonnes lorsqu’il n’avait que quelques mois. Vingt-six ans plus tard, orphelin inconsolable, il retourne sur les lieux du naufrage pour suivre la trace de ses parents et connaître les circonstances du drame : « J’avais passé vingt-six années de ma vie en compagnie de fantômes, il était temps de côtoyer les vivants ». Abhorrant la mer, l’océan, la moindre vague lui provoquant une tempête intérieure. L’accueil à son arrivée dans le petit port de pêche est distant mais il rencontre par hasard une jeune femme, Manon, passionnée d’art, restauratrice des marques du destin et éperdue de navigationAvant de partir en France, Aidan avait été pris de vertige par la toile de Turner « Le naufrage » à la galerie londonienne Tate Britain :

« Étrangement, une représentation artistique avait mis des images sur le drame de ma vie. Sans doute parce que l’art parle à l’âme plus qu’à l’intelligence (…) La force du tableau avait bousculé mon imaginaire plus que ne l’aurait fait une photo ou le simple usage de la vue. Je crois aux résonnances, à ces âmes qui se parlent au-dessus des siècles ».

À l’instar du personnage de Manon, Arnaud de la Grange « n’aime pas les accoutrements, les âmes déguisées ». Il aime plonger dans la réalité des hommes et des femmes, confronter aussi bien ce qui est beau que ce qui l’est moins et explorer pour mieux comprendre. Nous faire entendre par cette voix silencieuse d’un livre la puissance sonore des mots.

Véritable ode à la beauté de la mer et à son univers, véritable hommage à ces gens qui affrontent cette immensité, que ce soit pour leur travail (pêche, armée, sport) ou pour leur simple plaisir de prendre le large. L’écrivain journaliste connait bien ce milieu – il a été, entre autres, officier de Marine – et a voulu lier l’eau à la fragilité humaine avec un héros peu sûr de lui et qui n’arrive pas à se construire à cause d’une absence et d’une peur incontrôlable. Cet océan qui est le responsable de la perte de ses géniteurs va être la source de sa renaissance. Cependant, pas seulement – on a besoin de son prochain : des taiseux qui vont lui montrer leur courage et, surtout, cette jeune femme éprise de liberté, cette « sorcière du vent » dont les nombreux passages qui lui sont consacrés sont certainement les plus beaux.

Tout est amour dans ce roman. L’amour des éléments, l’amour fraternel et l’amour entre deux cœurs écorchés. Sur terre et sur mer. Cet amour dans toutes ses définitions grecques, cette lumière qui permet d’effacer les ombres et de retrouver une force intérieure sont sublimés par une envolée de mots d’une beauté lyrique qui émeut. Un roman très humain qui laisse traverser cette nitescence qui faire jaillir la vie.

Ce besoin de faire des phrases chez les marins devient tout simplement transcendant…

« Le large m’a mené à mes terres intérieures. Le silence y permet d’entendre le murmure assourdi de l’âme. Longtemps j’avais goûté les joies noires. Aujourd’hui, je les veux lumineuses, des joies victorieuses. Le chemin sera long mais j’ai la direction ».

« Regardant devant elle, Manon parlait à voix basse mais à flot continu, avec une fièvre chauffée par sa passion. Elle me contait son admiration pour les maîtres verriers, ces passeurs de lumière. Ils étaient pour elle des magiciens jouant avec la matière et les rayons du soleil ».

« Manon désarçonne autant qu’elle séduit. Elle est indéchiffrable, ce qui déplaît toujours à ceux qui n’aiment pas le mystère des êtres (…) Avec elle, je découvre que la fantaisie peut faire jaillir autant de vérités que les démonstrations sérieuses ».

« Un concert à Saint-Julien-le-Pauvre a levé en moi une émotion particulière. Le seuil franchi, je me suis tout de suite senti bien sous ces voûtes ombreuses. Les dimensions modestes de l’église, sa solidité médiévale et le rite grec-melkite catholique auquel elle est dédiée se marient pour en faire un lieu hors du temps en plein Quartier latin. Ce soir-là, on donnait la Messa di Gloria de Puccini. Le Kyrie me plongea dans un état d’émotion qui me tient encore aujourd’hui à chaque fois que je l’écoute. Je découvrais que la musique peut ouvrir les mêmes portes que la mer ».

La promesse du large – Arnaud de la Grange – Éditions Gallimard – Mars 2024

 

 

 

 

vendredi 3 mai 2024

 

Cocktail de noisettes

Le barman du Ritz

Philippe Collin

 


Depuis 1898, l’hôtel Ritz honore la luxueuse Place Vendôme de sa présence. Créé à la place des hôtels particuliers de Gramont et Cozat, César Ritz a fait de ce palace un théâtre permanent. Pendant la première guerre mondiale, l’hôtel avait été en partie transformé par la Croix-Rouge en hôpital militaire. En 1921, un nouvel espace est ouvert, le Café parisien qui deviendra le refuge des américains de renom en mal de prohibition dont Ernest Hemingway ou F. Scott Fitzgerald (Une de ses nouvelles porte le nom du célèbre établissement). Dès l’ouverture, un barman, ayant fait ses preuves outre-Atlantique, est engagé : le 6 avril, à l’âge de trente-sept ans ; Franck Meier devient l’incontournable personnage de cet antre parisien. Tous ignorent que cet Autrichien est d’origine juive mais l'occupant allemand a un doute…

Pendant la seconde guerre mondiale, l’hôtel Ritz devient l’antichambre de la Luftwaffe mais reste une sorte de territoire neutre par l’origine suisse des propriétaires, à cette période, dirigé par la veuve Ritz, Marie-Louise qui ne se gêne pas pour amadouer ses nouveaux locataires d’outre-Rhin. Le Ritz devient une plaque tournante de la collaboration mais est aussi un lieu où certains essaient de sauver des juifs et des résistants. Parmi ceux qui font bonne figure tout en glissant de faux-papiers se trouve Franck Meier qui, d’ailleurs, réceptionnait des messages codés pour l’opération Walkyrie. Autre figure incontournable Blanche Auzello née Rubinstein.

C’est cette histoire que nous narre avec brio Philippe Collin en y ajoutant quelques personnages nés de son invention. Et quelle narration ! Dynamique, précise avec cet art de manier le verbe et la verve pour rendre le plus vivant possible ce pan de l’histoire française qui transcrit l’ambiance de la France sous le III° Reich. Dans ce palace resté accessible au public, le seul – sous couvert de propagande – le bar est une diapositive de cette France occupée où circulaient dans un même périmètre les espions, les résistants, les collabos, les courtisanes…, il a été le théâtre d’un jeu du chat et la souris sous les arcades de toutes les ruses pour réussir à s’en sortir.

Le barman du Ritz ou le destin social de Franck Meier sous les ors d’un palace parisien et des flammes de l’enfer nazi.

🍸Au roman, s’ajoute la publication – toujours chez Albin Michel et pour la première fois en langue française – de L’art du Cocktail écrit par Franck Meier lui-même où il révèle son talent de la mixologie. Richement illustré.

Le barman du Ritz – Philippe Collin – Éditions Albin Michel – Avril 2024

L’art du Cocktail – Franck Meier – Traduction : Céline Da Viken Le Gal – Préface : Philippe Collin – Illustrations : Delius

jeudi 2 mai 2024

 

Noisette sanglante


Le rouge et le blanc

Harold Cobert

 


Russie, 1914 - Deux frères et une sœur de lait. Amis normalement pour la vie. Sauf si les soubresauts d’un pays ne sont que les prémices d’un tremblement politique à la puissance incalculable sur l’échelle du temps.

Alexeï et Ivan sont nés dans une famille d’aristocrates russes dont l’éducation est orientée sur le devoir et une rigidité patriarcale, et, où les sentiments sont aléatoires. Alexeï est en faveur d’un renouveau démocratique sous les couleurs libérales. Ivan ne jure que par la révolution sous la bannière marxiste. Natalia, la sœur de lait, est la fille de la gouvernante et de l’administrateur des terres, rapidement elle va rejoindre Ivan dans son combat anarchiste puisqu’il sonne, au départ, humaniste.

Mais les évènements tournent progressivement au drame, tout va basculer pour la fratrie qui va se déchirer sous les couleurs rouges et blanches.

À travers pratiquement un siècle d’histoire - jusqu'à la chute du mur de Berlin -  incluant deux guerres mondiales, Harold Cobert produit une fresque historique sur la Russie, absolument stupéfiante, portée par une narration précise – parfois trop car âmes sensibles s’abstenir – et une écriture qui emporte le lecteur à travers un pays dont le nom résonne comme une tragédie perpétuelle malgré une richesse et une culture extraordinaires.

Si le roman semble à première vue historique, rapidement il prend également des allures géopolitiques et c’est là d’où il tire toute sa force. Les enjeux d’une guerre, d’une révolution – on le sait – sont multiples mais les décortiquer via la fiction permet de s’immiscer dans la psychologie des êtres qui s’engagent pour une cause, noble au départ, mais qui se transforme en ogresse. Les camps sibériens existaient sous les tsars, ils ont perduré sous l’empire soviétique. À Berlin le drapeau nazi a été remplacé en partie par la faucille et le marteau avec des exactions de toute part. Rouge ou blanc, la barbarie laissait des traces vermeilles dans la neige russe puis soviétique. L’intransigeance entraîne l’intransigeance, la violence appelle la violence, la manipulation devient une balle de ping-pong, les crimes profitent aux crimes, l’inhumanité conduit à la folie des hommes ; l’extrémisme de toute part est une violation de la condition humaine.

Un grand roman, très dur mais qui est le reflet d’un monde ayant existé et qui, hélas, existe encore, un monde où les guerres volent la paix, où la confiance est une denrée rare et les trahisons courantes, où la rage du pouvoir fait vendre les âmes pour banaliser la mort et se moquer des vies.

Le rouge et le blanc – Harold Cobert – Éditions Les Escales – Mars 2024

  Noisette enquêtrice Les fantômes de Versailles Jacques Forgeas   Vous aimez les romans historiques ? Nous sommes en 1673 sous le r...