mardi 21 mai 2024

 

Noisette maritime

La promesse du large

Arnaud de la Grange

 


« Rien n’a plus de sang qu’un voilier qui piaffe, caracole et s’emballe (…) Il raconte le vent, les vagues, ses envies et ses refus » Tout comme un écrivain qui fait corps avec les pages sur lesquelles il trace une histoire et sait qu’il emmènera le lecteur à prendre le large, surfant sur des vagues de poésie, humant les embruns de la passion et respirant à pleins poumons le souffle d’une renaissance.

Ce roman est un corps à corps. Un corps à corps entre deux êtres qui se trouvent et réparent les blessures de l’âme et des choses ; un corps un corps avec la nature pour vibrer avec les éléments, en l’occurrence celle de l’eau et du bois pour un marin comme il en serait de la roche pour un alpiniste ; un corps à corps avec le temps pour retrouver l’éloge de la lenteur dans le dynamisme des sentiments.

Aidan n’a jamais connu ses parents emportés par l’océan le long des côtes bretonnes lorsqu’il n’avait que quelques mois. Vingt-six ans plus tard, orphelin inconsolable, il retourne sur les lieux du naufrage pour suivre la trace de ses parents et connaître les circonstances du drame : « J’avais passé vingt-six années de ma vie en compagnie de fantômes, il était temps de côtoyer les vivants ». Abhorrant la mer, l’océan, la moindre vague lui provoquant une tempête intérieure. L’accueil à son arrivée dans le petit port de pêche est distant mais il rencontre par hasard une jeune femme, Manon, passionnée d’art, restauratrice des marques du destin et éperdue de navigationAvant de partir en France, Aidan avait été pris de vertige par la toile de Turner « Le naufrage » à la galerie londonienne Tate Britain :

« Étrangement, une représentation artistique avait mis des images sur le drame de ma vie. Sans doute parce que l’art parle à l’âme plus qu’à l’intelligence (…) La force du tableau avait bousculé mon imaginaire plus que ne l’aurait fait une photo ou le simple usage de la vue. Je crois aux résonnances, à ces âmes qui se parlent au-dessus des siècles ».

À l’instar du personnage de Manon, Arnaud de la Grange « n’aime pas les accoutrements, les âmes déguisées ». Il aime plonger dans la réalité des hommes et des femmes, confronter aussi bien ce qui est beau que ce qui l’est moins et explorer pour mieux comprendre. Nous faire entendre par cette voix silencieuse d’un livre la puissance sonore des mots.

Véritable ode à la beauté de la mer et à son univers, véritable hommage à ces gens qui affrontent cette immensité, que ce soit pour leur travail (pêche, armée, sport) ou pour leur simple plaisir de prendre le large. L’écrivain journaliste connait bien ce milieu – il a été, entre autres, officier de Marine – et a voulu lier l’eau à la fragilité humaine avec un héros peu sûr de lui et qui n’arrive pas à se construire à cause d’une absence et d’une peur incontrôlable. Cet océan qui est le responsable de la perte de ses géniteurs va être la source de sa renaissance. Cependant, pas seulement – on a besoin de son prochain : des taiseux qui vont lui montrer leur courage et, surtout, cette jeune femme éprise de liberté, cette « sorcière du vent » dont les nombreux passages qui lui sont consacrés sont certainement les plus beaux.

Tout est amour dans ce roman. L’amour des éléments, l’amour fraternel et l’amour entre deux cœurs écorchés. Sur terre et sur mer. Cet amour dans toutes ses définitions grecques, cette lumière qui permet d’effacer les ombres et de retrouver une force intérieure sont sublimés par une envolée de mots d’une beauté lyrique qui émeut. Un roman très humain qui laisse traverser cette nitescence qui faire jaillir la vie.

Ce besoin de faire des phrases chez les marins devient tout simplement transcendant…

« Le large m’a mené à mes terres intérieures. Le silence y permet d’entendre le murmure assourdi de l’âme. Longtemps j’avais goûté les joies noires. Aujourd’hui, je les veux lumineuses, des joies victorieuses. Le chemin sera long mais j’ai la direction ».

« Regardant devant elle, Manon parlait à voix basse mais à flot continu, avec une fièvre chauffée par sa passion. Elle me contait son admiration pour les maîtres verriers, ces passeurs de lumière. Ils étaient pour elle des magiciens jouant avec la matière et les rayons du soleil ».

« Manon désarçonne autant qu’elle séduit. Elle est indéchiffrable, ce qui déplaît toujours à ceux qui n’aiment pas le mystère des êtres (…) Avec elle, je découvre que la fantaisie peut faire jaillir autant de vérités que les démonstrations sérieuses ».

« Un concert à Saint-Julien-le-Pauvre a levé en moi une émotion particulière. Le seuil franchi, je me suis tout de suite senti bien sous ces voûtes ombreuses. Les dimensions modestes de l’église, sa solidité médiévale et le rite grec-melkite catholique auquel elle est dédiée se marient pour en faire un lieu hors du temps en plein Quartier latin. Ce soir-là, on donnait la Messa di Gloria de Puccini. Le Kyrie me plongea dans un état d’émotion qui me tient encore aujourd’hui à chaque fois que je l’écoute. Je découvrais que la musique peut ouvrir les mêmes portes que la mer ».

La promesse du large – Arnaud de la Grange – Éditions Gallimard – Mars 2024

 

 

 

 

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