Une
noisette, un livre
Une
année sur la route
Samuel
Adrien

Voyager
ou ne pas voyager ? Partir ou rester ? Telles sont les questions que
se posent Samuel Adrian avec son compagnon de route Xavier. Pourtant et dans
des conditions qui sont loin d’être luxueuses, ils vont parcourir le monde
traversant l’Europe, allant au Japon depuis la Russie pour rejoindre le
continent américain du nord au sud. À pied, en voiture, en vélo, seul le cheval
manque à l’appel. De cette épopée, beaucoup de rencontres qui mettent de la
chaleur dans les froides déceptions de l’aventure, paysages et villes baignant
de plus en plus dans une uniformité confondante. On ne voit plus l’homme
tellement il se barricade dans du béton et ne s’infiltre dans cette nature qui
ne fait plus partie de lui que s’il s’est équipé de slogans publicitaires
ou d' injonctions administratives. Nonobstant, « pour voir enfin ce qu’on
a sous les yeux, il faut parfois se mettre en marche », savoir observer le
long de sa route pour devenir attentif à la beauté du monde , à la
fougère et à la rose.
Loin
de ces récits de voyage insipides qui ne donnent même pas l’envie de prendre un
baluchon, Samuel Adrien raconte sans le moindre maquillage verbal son parcours
fait de hauts et de bas – et pas seulement lors des ascensions en montagne –
avec humour et maintes réflexions à commencer par le doute de s’évader par le
truchement de Simone de Beauvoir lors d’un dialogue entre Pyrrhus et Cinéas.
En
parlant de Pyrrhus, le livre débute par des déambulations à Verdun, lieu de
mémoire et de sang, qui inspirent notre voyageur hors norme sur la notion de
héros et de patriotisme. Voyez par vous-mêmes « Verdun
portait en elle toute l’ambigüité de la guerre industrielle, où la valeur de
l’homme ne compte pour rien face à la puissance des machines. Admirable
courage, et dérisoire. Que vaut un héros de soixante-quinze kilos face à un
obus du même poids ? Homère parle des « guerres qui donnent gloire
aux hommes ». Cette guerre-là fait perdre au mot « gloire » tout
rayonnement. C’est un siècle triste et mesquin, celui où l’emploi des mots
« sacrifice », « gloire », « patrie » vous fait
passer pour grandiloquent ».
Si
les pays finissent par être uniformes, chaque rencontre avec l’autre devient
unique. Comme avec Andrés qui a travaillé six ans au Canada dans une entreprise
de production de viande où il abattait treize mille cochons par jour. Épuisé,
il rentra au Honduras. Samuel Adrian part dans de longues pensées pour
condamner ce que le consommateur refuse de voir ou d’admettre : « Andrès travaillait avec des Chinois, Des
Éthiopiens, des centre-Américains, des Ukrainiens, des Polonais, mélange
inimaginable de gens poussés par le besoin, parlant entre eux un sabir
incompréhensible. J’avais là une image réduite du capitalisme : une
main-d’œuvre pauvre et reconnaissante, trop composite pour former corps,
habituée par une longue accoutumance à ne jamais trop exiger de ses supérieurs.
Des porcs engraissés en six mois à grand renfort d’hormones, produits selon des
plans de rentabilité prévus de longue date. Des superviseurs, petits chefs
sélectionnés parmi les immigrés, ravis d’avoir gravi un échelon et d’échapper à
des conditions de travail abrutissantes. Enfin, les directeurs invisibles,
intouchables. D’un côté, des consommateurs gavés de plaisir et asservis à la
publicité. De l’autre, des bêtes de somme. On ne croit pas à la souffrance,
parce qu’on ne la voit pas. On ne la voit pas, parce qu’on la dissimule ».
Se
suivent de l’inattendu, du lourd et du léger, des discussions hors du temps,
des rencontres qui offrent à nos deux vagabonds du répit dans leurs âmes
parfois malmenées ainsi que moults cailloux sortis d’un bloc philosophe et qui
construisent épatamment le récit. Sans oublier une inénarrable poésie comme
cette dégustation d’une mangue en un fruit de l’amour.
Un
voyage extérieur pour parcourir l’intérieur de soi-même et de ceux que nous
rencontrons.
« Quand l’État a besoin de guerriers, il enivre ses
citoyens des mots de « devoir » et de « gloire ». Quand il
a besoin de consommateurs, il laisse la publicité leur pourrir le crâne. Dans
la guerre comme dans la paix, je ne vois que la misère de l’homme à l’ère des
masses, mouton toujours plus docile, vulnérable à toutes les propagandes, se
réclamant d’une Liberté dont il n’est plus capable ».
« Il n’y a pas meilleure façon de se montrer indigne des
exemples du passé que de pleurnicher sur le présent ».
« Ce qui est désarmant avec les doctrinaires, comme avec
les imbéciles » c’est qu’ils sont toujours de bonne foi ».
« Le monumental est à l’architecture ce que le culturisme
est au corps : une perversion pathologique du goût ».
« Quiconque a conscience du don immérité de la vie ne peut
en jouir tout à fait tranquillement. Il lui faut aimer et rendre un peu de ce
miracle ».
« Il n’y a pas de plus sûre façon d’assujettir un peuple
que de supprimer sa mémoire et sa langue. Un pays amnésique peut grandir, il ne
peut pas mûrir. N’ayant plus de souvenirs, il n’y a plus de présent. Il n’a
qu’un quotidien, un jour-le-jour, et tous les mirages de l’avenir, et toutes
les séductions de l’utopie ».
« Qu’il est bon de cueillir le plaisir, quand le désir est
mûr ».
« S’émerveiller d’un écureuil, c’est se réfugier dans
l’intemporel ».
Une
année sur la route – Samuel Adrian – Éditions des Équateurs – Avril 2022