mardi 14 décembre 2021

 

Une noisette, un livre
 
Le Silence des dieux
Yahia Belaskri

 


Comment peut-on sortir de l’humanité ? En répondant à la violence par la violence, à l’extrémisme par l’extrémisme, à l’obscurantisme par l’obscurantisme. Yahia Belaskri signe une fable sur les risques de l’engrenage des mensonges, des rumeurs, du complot menant inéluctablement au crime. Un conte, certes, mais qui renvoie à ce que l’écrivain algérien a connu dans son pays, à ce qu’endurent encore des millions de personnes face à l’intolérance religieuse, ethnique et à toutes les dérives sectaires. Inspiré d’un fait réel survenu en Amérique du Sud, Yahia Belaskri a créé une œuvre aussi sublime que tragique. Avec ce que la poésie peut apporter comme espérance.

La Source des Chèvres, c’est le nom d’un petit village aux portes du désert. Tout va pour le mieux pour le meilleur du monde malgré la rusticité des lieux. Une  unique route en terre est la seule sortie possible, un jour sans que l’on sache pourquoi elle est bloquée par des militaires sans scrupule. Alors que tous les habitants semblaient vivre dans la fraternité et qu’il faudrait unir les forces face au terrible enfermement, les luttes pour prendre le pouvoir vont se terminer en crimes, le Faune ayant décidé de diriger le village avec la bénédiction d’un mystérieux marabout plus proche des incantations libidineuses que spirituelles. Seul Ziani, celui qui est surnommé le fou, a des paroles de sagesse mettant en garde contre la brutalité et la diversion qui s’installe. Un vent de révolte contre l’obscurantisme va s’élever, il viendra des femmes, de Zohra, Badra, Setti… toutes, en s’émancipant, vont faire renaître la liberté. Et l’espoir dans la fraternité.

Enveloppé d’une poésie d’une délicatesse subtile ce roman est à lire à genoux ! Par ces multiples métaphores qui résonnent à haute volée, par cette allégorie de la tolérance, par cette dénonciation de la destruction au détriment de la fraternité, Yahi Belaskri signe une œuvre mirifique qui laissera peu d’yeux secs lorsque lecture se terminera. Un concerto de mots qui bat crescendo avec un final en apothéose sur le désert, l’humanité, la vie.

« Ceux qui n’ont pas goûté à la morsure de la vie ne savent pas de quoi ils parlent. Ils se disent experts et sont prompts à livrer leur opinion, mais ils se trompent sur tout. Pour eux, le désert est vide. Erreur et égarement ! Le désert sans limites héberge des populations diverses, animales, végétales, humaines. Il est vivant. Chaque dune, chaque pierre, chaque grain de sable racontent l’histoire des hommes, leur infortune et leurs espérances. C’est un pays où sans cesse chacun est confronté à sa présence fragile, à l’incertitude qui caractérise le mystère de la vie, à la mort et à l’infinie résurgence des éléments. Le silence est peuplé de bruits imperceptibles à l’oreille insensible. Le sable parle. Il s’exprime dans toutes les langues, celle des profondeurs de la terre et des astres, celle des tempêtes, celle des hommes aussi. Il faut écouter le murmure des cristaux. Et quand le vent s’invite, le sable fredonne, il chante parfois. Sa mélodie est  message, elle change d’une saison à l’autre. Les hommes du désert savent écouter et adaptent leur vie aux voix qui leur parviennent ».

« Vous ne connaissez pas la bienveillance, encore moins la tendresse parce que vous n’en êtes pas capables. Engoncés dans vos misérables certitudes alors que le monde est mystère et la vie miracle, vous avez donné libre cours sans retenue ni mesure à la cruauté insondable qui vous dévorait. Vous appartenez au clan des assassins. Aujourd’hui je suis vivant et nul n’est mort à ma place. Ce sont vos mains qui ont tué. Je n’ai pris la place de personne, vous êtes les usurpateurs. Je me tiens debout dans le vent, et vous dans le brouillard de la haine. Je souhaite emprunter les chemins de la vie, ceux qui mènent à la rencontre. Vous êtes pétrifiés dans la claustration et l’oubli. J’ai été nourri au sein de la fraternité. Vous l’avez été à la fontaine du ressentiment. J’ai attendu de longues années avant de pouvoir exprimer ma colère. Je vous le dis : vous avez accepté d’être des meurtriers, je suis de ceux qui s’y refusent résolument. Je ne demande rien, ni vengeance ni justice, je me détourne de votre voie qui mène à la ruine ».

« Je refuse l’assignation et ne réponds à aucune injonction. Je suis de nulle part et de tous les lieux où des femmes et des hommes s’évertuent à faire reculer la peur et enrayer le crime, de tous endroits où se réinvente la bonté humaine. C’est là ma demeure, mon unique demeure ».

Le Silence des dieux – Yahia Belaskri – Editions Zulma – Octobre 2021

Lu grâce à lecteurs.com, à Françoise Fernandes et à la Fondation Orange

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