jeudi 27 août 2020

 

Une noisette, une rentrée littéraire #7
 
Presque génial
Bénédict Wells

 


Francis, pas encore vingt ans, est las de la vie : son lycée, son mobil-home dans un quartier réservé aux exclus, sa mère Katherine qu’il vient de faire interner pour la énième fois. Il ne voit guère son demi-frère Nicky qui est parti vivre avec son père Ryan. Il aimait bien son beau-père mais le temps a joué en sa défaveur. Il a peu d’amis excepté le singulier Grover, le petit geek absolu. Il se considère un loser dans toute sa personnification.

Pourtant il aurait pu être brillant, performant, être un génie ! Lors d’une nouvelle tentative de suicide, sa mère lui laisse une lettre, un longue lettre pour qu’il apprenne enfin la vérité : elle a été fécondée artificiellement dans une clinique de Los Angeles par un père choisi pour ses facultés intellectuelles et son QI hors norme ; à l’époque un programme avait été mis en place par une poignée de scientifiques pour faire naître des êtres d’exception. Eugénisme total. Et des enfants en manque de père…

Dès lors, le jeune Francis n’a plus qu’une idée en tête : partir à la recherche de son père pour enfin le rencontrer. Et en même temps, sur le chemin pour rejoindre la Californie, passer par le Nevada pour aller à Las Vegas. Là-bas, il peut devenir riche, très riche, il a une intuition… Après une discussion avec son beau-père, il finit par avoir un peu d’argent en poche et part avec son ami Grove et Anne-May, une jeune femme mystérieuse, elle aussi internée,  dont il est tombé fou amoureux après une relation charnelle sur un piano oublié dans un coin de l’hôpital.

Arrivera-t-il à retrouver son père biologique ? Comment le trio va se comporter lors de ce périple ? Vous le saurez en lisant ce dernier roman de Benedict Wells qui est presque génial…

A la fiction et au plaisir de lire du vrai roman avec des personnages excessivement cinématographiques, s’ajoute la faculté avec laquelle l’écrivain germanique écrit comme s’il venait vous raconter une histoire dans votre salon. Et forcément on écoute son écriture.

Benedict Wells sait décortiquer les sentiments de ces jeunes adultes pris dans les carcans d’une société qui est loin d’être un éden mais, aussi, comme Francis, qui attendent peut-être trop des autres, sachant pourtant que les cadeaux sont rares, que les trahisons, moqueries et superficialité sont légion. Mais c’est surtout la quête d’un fils sans père qui prend une dimension particulière, cette absence à combler par tous les moyens et pouvoir un jour regarder son géniteur et l’appeler « papa ». Quant à la science, elle peut conduire à des blessures inguérissables lorsque des docteurs Jekyll  manipulent leurs éprouvettes pour ne faire sortir que des protocoles et inventions détruisant le naturel de la vie.

A toute œuvre « wellsilienne » n’occultons pas sa marque de fabrique estampillée « romantisme ». Encore une fois, les errances du cœur et du corps tournoient, à la recherche d’un amour mettant joie et tristesse, passion et abandon. Et pour nous, lecteurs, une évasion terriblement romanesque dans ce mirage du rêve américain. Avec une plume bienveillante trempée dans une sagesse désordonnée.

« Andrew le handicapé, qui était handicapé pour de vrai et en fauteuil roulant, ce qui faisait pitié à tout le monde au bahut, mais pas pitié au point de l’accepter comme voisin à table ».

« Salut, ce n’était pas toi à la télé tout à l’heure ? demandèrent trois jeunes de leur âge qui en d’autres circonstances se seraient vraisemblablement foutus de lui, ou l’auraient bousculé. On peut faire une photo avec toi ? »

« L’essentiel c’est que tu prennes tes foutus espoirs et tes rêves sous ton bras et que tu t’y cramponnes. Tu peux crier, tu peux désespérer, tu peux te lamenter. Mais même si tu ne crois plus en toi, ne les lâche surtout pas ».

« Quand on regarde l’histoire d’une vie, un écart minuscule suffit parfois à casser l’équilibre, à tout faire basculer d’un côté ou de l’autre. Et pour finir, c’est le hasard qui décide, beaucoup plus souvent qu’on ne le pense ».

Presque génial – Benedict Wells – Traduction : Dominique Autrand – Août 2020 – Rentrée littéraire 2020

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