samedi 27 juin 2020

Une noisette, un livre

 

Une année folle

Sylvie Yvert

 

En cette année 2020 lire un récit qui s’intitule « Une année folle » est « un plaisir de fin gourmet » – droits d’auteur à Monsieur Courteline s’il vous plait – et un beau kaléidoscope où impressions du passé et du présent se mélangent pour ce grand palimpseste où s’écrit, se réécrit l’histoire.

Sylvie Yvert, tel un aigle impérial a déployé des ailes livresques sur les Cent-Jours pour, non seulement retracer une route napoléonienne, mais pour laisser des passages sur deux protagonistes trop oubliés, Charles de Labédoyère et Antoine de Lavalette, qui ont permis à l’empereur de retrouver le chemin du pouvoir. Hélas, pour chacun, ce sera le chant du cygne.

Ce récit raconté par une plume intrépide n’est en aucun cas un cours d’histoire même s’il permet de se remémorer certains faits royaux entre Louis XVIII et Napoléon. En 1814 Napoléon est exilé sur l’île d’Elbe après une défaite militaire où les maréchaux forcent l’empereur à abdiquer. Le jour où il quitte Fontainebleau, Louis XVIII, frère de Louis XVI, est à Paris pour instaurer la Restauration.

Dans l’entourage de Bonaparte, deux vaillants conquérants n’abandonnent pas l’empereur et le protégeront lorsqu’il décide de revenir en métropole en mars 1815 : Charles et Antoine. L’un et l’autre ne fuyant jamais le danger vont à nouveau s’engager sincèrement ; honnêtes, francs, ayant un sens de l’honneur ils sont loin d’être ces hommes de cour changeants de veste à chaque nouvelle scène de la comédie de la politique. Hélas, en juillet 1815, Waterloo est le dernier acte de la tragique pièce, Louis XVIII revient, Bonaparte est déporté à St-Hélène, Charles et Antoine sont arrêtés, le premier sera fusillé, le second sauvé in extremis par son épouse.

Deux siècles séparent les faits et ce récit. Pourtant, à l’instar des paroles du prince Salina, il semblerait que tout change mais que tout reste tel quel : injustice, fourberie, trahison, vengeance, jalousie, mensonge, déni, flagornerie…

Un récit haletant où le lecteur à l’impression de chevaucher cette page d’une histoire française chargée d’oxymores. 350 pages pour 100 jours, période aussi incroyable que réelle, et par-dessus tout intemporelle. Le meilleur a côtoyé le pire, les esprits les plus nobles rencontrent les âmes les plus noires, les hommes de courage ne gagnent pas forcément face aux courtisans professionnels et où l’extrémisme montre toute sa dangerosité : les ultras blancs qui ont survécu à la Terreur ne sont guère plus défendables que les ultras révolutionnaires et ainsi les traites sont ceux qui sortent victorieux au détriment des féaux doublement victimes.

J’accorde toujours une attention particulière aux écrivains qui mettent en lumière des personnages de l’ombre, qui font revivre pendant quelques heures ces figures trop ensevelies dans les crépuscules de l’oubli. Car Charles de Labédoyère et Antoine de Lavalette méritent un tableau d’honneur au chapitre des héros pour la liberté ! Sans omettre les deux personnes qui sont les plus attachantes de cette tragédie du XIX° siècle, Georgine de Chastellux et Emilie de Beauharnais, les épouses respectives de Charles et Antoine qui ont défendu leurs maris avec une énergie et un courage inénarrables. Et pourtant Syvie Yvert y parvient, avec tant d’authenticité que le lecteur ressent de la peine pour cet amour brisé par l’infamie des hommes.

Une fresque d’une grande richesse tant pour la narration que le style sans omettre les longs passages entre le napoléonien Stendhal et le royaliste Chateaubriand. Car l’histoire française est aussi une histoire littéraire. Qui parait immuable. Et immarcescible.

« Aux Tuileries, une odeur poudrée remplace l’odeur de la poudre. A cette époque, plus personne ou presque n’est républicain. Débute alors un ballet du pouvoir unique dans l’histoire, où la France, ne sachant plus à quel saint se vouer, change fréquemment de cavalier, porte tantôt l’aigle ou l’abeille à la boutonnière, tantôt le lys ou le ruban blanc. Se joue donc, quinze mois durant, une pièce de boulevard où les portes s’ouvrent et se ferment, où l’on prend les mêmes, dans un ordre différent à chaque acte, pour reproduire une mise en scène identique, réglée par une chorégraphie similaire ».

« Instrumentalisant les rumeurs paysannes et la crédulité des foules, il manie ces mots repoussoirs pour galvaniser son auditoire avec une parfaite mauvaise foi ».

« La fille aînée de la peur, la lâcheté ».

« Et l’opinion publique ? Comme toujours, elle se range derrière le plus fort ».

« Les élites, toujours promptes à courtiser le puissant du jour, font preuve d’un dévouement « à perdre haleine », spécialement les girouettes patentées qui protestent de leur inviolable fidélité ! »

Une année folle – Sylvie Yvert – Editions Héloïse d’Ormesson (février 2019) Editions Pocket (février 2020)


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