mardi 8 octobre 2019


Une noisette, un livre


 L’œil du paon

Lilia Hassaine




Sur une île croate, en mer Adriatique à moins d’un millier de kilomètres de la Grèce, un paon se meurt, de manière impériale comme son nom : Titus. Son trépas est inexplicable comme ceux d’autres paons de l’île, peut-être une forme de peste…malgré l’absence totale d’une quelconque infection.

Le gardien de l’île, Adonis, un très vieil homme semble en désarroi à regarder le corps sans vie de celui qui fut le souverain de cette terre maudite. En effet, selon la légende, des moines bénédictins furent jadis chassés de cet éden par un général de l’armée napoléonienne et trois aristocrates avides de beauté et de richesses. Avant de partir, les moines jetèrent la malédiction à l’image d’un Rigoletto désespéré…

Adonis a une fille, Héra, fruit de ses amours avec feu une superbe Juliette. Inquiet et voulant la protéger, il exige qu’elle parte à Paris chez sa tante Agathe, la sœur de Juliette. Ce qu’elle fait. Arrivée dans la capitale française, elle s’installe chez sa tante et son oncle, un couple énigmatique et parents d’un petit Hugo qui va trouver en Héra une aile protectrice. Mais de curieux personnages rodent : Gabriel, l’instituteur pas forcément aussi angélique qu’il le parait, un couple de pharmaciens et surtout un opticien dont le regard intrigue. Héra va devenir photographe. Est-ce que son œil remplacera ceux de la queue du paon… ? Ou bien son âme va-t-elle se transformer en une roue incontrôlable dans cette ambiance de plaisirs urbains et de superficialité.  

Lilia Hassaine signe un premier roman absolument éblouissant avec une maîtrise du temps et de l’espace, du fond et de la forme. Un conte cruel qui tient en haleine jusqu’au dernier souffle de la plume, plume qui glisse au fil des pages, ou plutôt, au fil des saisons à l’image d’Adonis et de son Aphrodite de Juliette.

L’œil du paon c’est un regard objectif sur la vanité, l’orgueil des êtres qui n’aiment que pour être valorisés, qui intègrent une société que pour briller en oubliant de regarder autour d’eux, qui paraissent ce qu’ils ne sont pas, qui dissimulent et s’exposent en même temps, quitte à se brûler les ailes. L’œil du paon est donc un cri, mais un cri en forme de chant. De chant du cygne.

Subtilement, entre les envolées d’Hera dans l’errance de ses rencontres, l’auteure glisse quelques coups de bec sur la vacuité du monde de l’entre-soi, de la téléréalité ou émissions assimilées (la télé tire-larmes), sur la manie de faire parler sur tout dès qu’une célébrité fait bondir les taux d’audience, sur les ombres des alcôves…j’en passe et des meilleurs.

Il y a parfois avec certaines fictions des fins qui laissent le lecteur sur sa faim. Là, rien ne se termine en queue de poisson, le paon nous offre, une dernière fois, toute la majesté de sa roue. Et ce, sans aucun orgueil dans le texte. Juste quelques notes sur la partition des nocturnes humaines.

Une tragédie grecque sous forme de conte mythologique du XXI° siècle. Fantastiquement réelle, réellement fantastique.

« Il aura fallu que j’arrive en ville pour me sentir seule ».

« Elle ignorait que le bonheur pouvait faire verser des larmes à ceux qui savent qu’il est éphémère ».

« Absorbé par cet univers enchanté, personne ne prête attention au banc juste devant la boutique. Un banc auquel on a ajouté un accoudoir central, pour éviter que les sans-abris ne s’allongent dessus. Le monde merveilleux reste ainsi préservé de toute pollution visuelle ».

« On ne doute jamais autant que lorsqu’on met son cœur en jeu ».

« Et entrera en piste, sans même prendre la peine de retirer son pantalon et ses chaussures. Sans se soucier des pleurs étouffés dans l’oreiller. Parce qu’il y a quelques heures, ils étaient invités à un vernissage, avec des petits fours qu’ils attrapaient du bout des doigts, des bonnes manières, et ce petit air précieux et délicat qui cache à merveille les cris non autorisés des épouses profanées ».

« Sur les plateaux de télévision, elle était invitée à s’exprimer sur tous les sujets : la ville, la jeunesse, la cigarette, la sexualité. Un jour elle fut même conviée à débattre du prix de l’essence, en raison de sa photo de la station-service ».

L’œil du paon – Lilia Hassaine – Editions Gallimard / Collection Blanche – Octobre 2019











Aucun commentaire:

  Noisette romaine L’ami du prince Marianne Jaeglé     L’amitié aurait pu se poursuivre, ils se connaissaient, l’un avait appris à...