mardi 21 février 2017


Une noisette, une interview


Rosa Montero

"Le mélange de la réalité et de la fiction est ce qui représente le mieux le monde"


Photo © Patricia A. LLanza



Rosa Montero. Journaliste et auteure. Auteure et journaliste. Du quotidien El Pais à ses multiples romans. Son dernier né est “La chair”, un titre qui parle déjà de lui-même. Passionnée, mêlant des histoires de fiction à la réalité de la vie, l’écrivaine espagnole étonne à chacune de ses pontes, entre phrases mélancoliques et pragmatiques, des mots jonglants sur la tristesse et le bonheur et des pincées appuyées d’humour élégant.
Entretien sur l’arbre de l’écureuil pour une dégustation en chair et en os (coucou Almodovar) d’une noisette pas comme les autres.

1 – Un titre court mais qui sonne comme un appel : La chair. Comment vous est venue cette idée ?
Si tout va bien, les titres surgissent de manière naturelle, où, comme dans mon cas, lorsqu’un tiers du roman est écrit. Ils sortent du texte, m’expliquent ou parachèvent le fil conducteur du livre. Très rapidement l’accroche m’est venue et je l’ai trouvée merveilleuse, puissante, expressive dans sa sensibilité. Je fus même surprise que ce titre ne figure pas pour une vingtaine de romans. Il est parfait pour ce livre. C’est la chair qui vous emprisonne parce que nous n’avons pas choisi le corps dans lequel nous vivons. c’est la chair qui nous enferme, nous vieillit, nous tue. Mais également la chair qui nous fait frôler l’éternité et la gloire via le sexe et la passion. Et c’est la chair animale qui nous sauve d’être seulement des humains et qui nous permet d’être intensément heureux quand un rayon de soleil se dépose sur vous. Cela résume l’ensemble de mon roman, la splendeur et l’effroi de la vie.

2 – Votre roman joue sur deux faces, une légère et une autre beaucoup plus grave, comme s’il s’agissait d’un yin et d’un yang pour le lecteur ?
Mon roman parle de choses très graves, essentielles, profondes, et aussi amères. La mort et la peur de la mort, le temps qui passe, le temps qui nous unit ou nous désunit, la peur de l’échec et de en pas être aimé, la peur de la folie et de l’exclusion sociale... des thèmes effrayants. Mais je les aborde avec beaucoup d’humour pour les rendre plus supportables, divertissants et même consolateurs.

3 – Chacun des protagonistes, Soledad et Adam, ont leur propres blessures mais les deux sont à la recherche d’un soleil, un soleil qui s’appelle amour. Cependant, un soleil douloureux aussi à l’instar de la vie de beaucoup d’auteurs qui intègrent le roman.
Soledad, ma protagoniste, qui est commissaire d’expositions d’art en prépare une pour la Bibliothèque Nationale sur les écrivains maudits. Et au cours du récit, s’intercalent des histoires hallucinantes et extravagantes, toutes réelles, sauf une, de plusieurs écrivains. Soledad regarde ces histoires comme on se regarde dans un miroir, parce qu’elle aussi se sent maudite, sur le bord de l’exclusion sociale.

4 – Le sexe payant n’est pas qu’une affaire d’hommes. Cependant, par rapport au pix, pas d’égalité...
Ha, ha, la différence de prix n’est qu’une preuve supplémentaire du sexisme. Soledad en loue pas un gigolo pour coucher avec lui, elle n’a nullement l’intention de payer pour du sexe, elle veut seulement briller avec un très bel homme à ses côtés pour rendre jaloux son ex-amant. Mais la situation se complique...et je veux dire que le fait qu’il soit un prostitué n’est pas l’essentiel du roman. C’est juste un conflit qui s’ajoute à la relation.

5 – Beaucoup de pudeur dans votre récit. Parce qu’il est toujours plus captivant d’essayer d’imaginer l’intime plutôt que de le montrer, plus respectueux aussi bien que Soledad soit un personnage de fiction ?
L’érotisme, comme l’art, s’amplifie avec ce qu’il ne dit pas, ne montre pas. Une personne parait bien plus nue si elle porte une très légère pièce de tissu que rien du tout.

6 – En parallèle à votre livre, une exposition très originale est montée au centre Ayala Daimiel sur “Les rides de la vie” c’est à dire capter l’attention par la photographie des émotions du visage le long de son existence. Rosa Montero aurait-elle pu en être le commissaire ?
Je ne sais si j’aurais eu le talent pour concevoir cette exposition, magnifique à mon goût, mais qui évidemment correspond à ma sensibilité.

7 – Vous citez l’écrivaine Françoise Sagan, dans “La chair, on remarque la même force d’amour chez la femme, disons d’expérience en âge, que dans “Aimez-vous Brahms ? C’est seulement un ressenti personnel ou on peut voir la même tristesse d’un amour impossible ?
Aucune idée. Je en connais pas le livre pour avoir lu seulement le premier roman de jeunesse de Sagan. Quant à la mélancolie face à la vie et aux amours qui se défont, c’est un thème universel de la littérature (et de l’existence).

8 – La musique détient une place très importante dans votre roman, surtout l’opéra. Une mélomane passionnée vous êtes ? Est-ce qu’un air peut avoir le même parcours que la rencontre entre deux corps ?
J’aime la musique, toute la musique. Ou presque. Classique, moderne, rock, tout. Je suis cinglée d’opéra, j’ai un abonnement au real et j’y vais dès que je peux. J’ai d’ailleurs établi une liste publique sur Spotify avec les thèmes inspirés par mon roman. La liste s’appelle “La carne por Rosa Montero” et chacun peut la télécharger. 4 heures d’écoute et je crois que c’est génial. Quant au Liebestod que mes personnages écoutent pendant l’amour, c’est l’idée de Soledad. Pour ma part, je n’ai jamais essayé (rires).

9 – Par extension, rencontrer l’amour est encore plus complexe quand une personne est fragilisée, par l’âge, la maladie, le handicap ?
Pour le rencontrer, aucun doute, c’est encore plus difficile. Rencontrer l’autre qui va t’accepter. Mais pour tomber amoureux, c’est pareil...

10 – Malgré un siècle de plus en plus orienté vers la technologie, l’écriture continue à être la meilleure communication pour sensibiliser l’opinion. La meilleure méthode est de mélanger réalité et fiction comme un métissage littéraire ?
Le mélange de la réalité et de la fiction est ce qui représente le mieux le monde. La vie est une fusion des deux. Par exemple, notre mémoire est un conte. Nous croyons nous rappeler de faits objectifs, mais en réalité nous inventons et nous manipulons tout le temps nos propres souvenirs.

11 – Je sais que vous militez pour les chiens en général et les lévriers en particulier. La condition animale s’est-elle améliorée en Espagne, ou avec la crise s’est-elle détériorée ?
Avec la crise tout a empiré, forcément, il y a moins d’argent pour les associations, les refuges, etc. Néanmoins et d’une manière générale, la prise de conscience sur le sort des animaux va en augmentant.

12 – On termine par le petit questionnaire pour mieux vous connaître

  • Un roman : Lolita de Nabokov
  • Un personnage : Moby Dick
  • Une musique : La valse de Masquerade de Khatchatourian
  • Un film : La Garçonnière de Billy Wilder
  • Une peinture : Autoportrait de Rubens
  • Une photographie : celle de la galaxie, l’Oeil de Dieu
  • Un animal : Le chien
  • Un dessert : les cerises
  • Une devise ou une citation : Ni peine, ni peur

Traduction © Squirelito

* Site de Rosa Montero : http://rosamontero.es/

Interview originale en espagnol

1 – Un titulo corto pero que toca como una llamada : La carne. Como ha venido esta idea ?
Si todo va bien, los títulos emergen de manera natural, al menos en mi caso, cuando llevo como un tercio de trabajo de la novela. Salen del texto y me explican o redondean la idea del libro. En este caso también sucedió así, de pronto se me ocurrió el título y me quedé maravillada, qué poderoso, qué expresivo en su sencillez... me extrañó que no hubiera veinte novelas tituladas La carne, pero no las hay. Y es perfecto para este libro. ES la carne que nos aprisiona porque no hemos escogido el cuerpo en el que vivimos. Es la carne que nos enferma, nos envejece y nos mata, pero también la carne que nos hace rozar la eternidad y la gloria a través del sexo y lampasion. Y es la carne animal que nos rescata de ser solo humanos, y que nos permite ser intensamente felices cuando nos cae encima un rayo de sol. Todo eso es la novela, el esplendor y el terror de la vida.

2 – Su novela juega con dos lados, uno ligero y otro mas grave, como si fuera una especia de yin y de yang para el lector ?
Mi novela habla de cosas muy graves, esenciales, profundas, incluso amargas. La muerte y el miedo a la muerte, el paso del tiempo, lo que el tiempo nos hace o más bien nos deshace, el miedo al fracaso y a no ser amado, el miedo a la locura y la exclusión social.... temas todos tremendos. Pero los trata con muchísimo sentido del humor, y eso hace que resulte soportable, divertido e incluso consolador.

3 – Cada protagonista, Soledad y Adam, tiene sus propias heridas pero los dos estan a la busqueda de un sol, un sol que se llama amor. Sin embargo, un sol que duele tambien ? como ha ocurrido en la vida de muchos autores que forman parte de la novela ? 

Soledad, mi protagonista, que es comisaría de exposiciones de arte, está preparando en efecto una exposición para la Biblioteca Nacional sobre escritores malditos. Y en la trama se van intercalando las historias alucinantes y estrambóticas, aunque reales (solo hay una inventada) de un montón de escritores, Soledad se mira en esas historias como quien se mira en un espejo, porque ella también se siente maldita, también se siente al borde de la exclusión social,

4 – El sexo pagado no es solo una cosa de hombres ? Sin embargo, en cuando a los precios, no hay igualdad...
Jajaja, la diferencia de precio no es más que una pequeña muestra del sexismo. Soledad no quiere contratar a un gigolo para acostarse con él, no tiene ninguna intención de pagar por sexo, ella sólo quiere lucir a un guapísimo a su lado para dar celos a un ex amante. Pero luego la situación se complica... quiero decir que el hecho de que sea un prostituto no es lo esencial de la novela. Solo añade un conflicto más a la relación.

5 – Hay mucho pudor en su relato. Porqué es siempre mas cautivador intentar imaginar el intimo que mostrarlo, mas respectuoso tambien aunque Soledad es un personaje de ficcion ?
El erotismo, como el arte, se potencian con lo que callan, con lo que no muestran. Una persona parece más desnuda si lleva una pequeñísima pieza de ropa que si no lleva nada.

6- En paralelo a su libro, hay una exposicion muy especial en el centro Ayala Daimiel sobre “las arrugas de la vida” o sea captar la atencion por la fotografia de las emociones del rostro al largo de la existencia. Rosa Montero hubiera podido ser el comisario ?
No sé si hubiera tenido el talento de idear esa exposición, que me parece hermosa, pero desde luego está muy cerca de mi sensibilidad.


7 – Usted cita la escritora francesa Françoise Sagan. Con « La carne » se ve la misma fuerza del amor en la mujer, digamos de experiencia por la edad, que en « Aimez-vous Brahms ? Es solo una sensacion personal o se puede ver la misma tristeza de un amor imposible ?
Pues ni idea. No he leído el libro. Solo leí la primera novela de juventud de Sagan hace mil años. En cuanto a la melancolía ante la vida y los amores que se van, es un tema universal de la literatura (y de la existencia)

8 – La musica tiene un gran importancia en su novela, y sobre todo la opera. Es una aficionada ? Y un aria puede tener el mismo camino que el encuentro entre dos cuerpos ?
Me encanta la música, toda la música. O casi toda. Clásica y moderna, rock e independiente, todo. La ópera me chifla, tengo abono en el Real y voy todo lo que puedo. Por cierto que he hecho una lista abierta en Spotify con temas inspirados por La carne. La lista se llama La carne por Rosa Montero y la puede descargar todo el mundo. Dura cuatro horas y creo que me ha quedado genial. En cuanto a que mis personajes usan el aria Liebestod para hacer el amor, es cosa de Soledad. Yo no lo he probado jajaja

9 – Por extensio, encontrar el amor es aun mas complejo cuando uno esta debiltado, por la edad, por enfermedad, por minusvalidez ?
Encontrarlo, seguro que es más difícil. Es decir, encontrar a otro que te acepte. Pero enamorarte te enamoras igual.

10 – A pesar de un siglo cada vez mas orientado en tecnologia, la escritura sigue el mejor poder de comunicacion y para sensibilizar a la gente. El mejor camino es mezclar realidad y ficcion como un mestizare literario ?
Para mí esa mezcla de la realidad y la ficción es la mejor representación del mundo. La vida es una fusión de ambas cosas. Por ejemplo, nuestra memoria es un cuento. Creemos que recordamos hechos objetivos, pero en realidad nos inventamos y manipulamos y ficcionamos nuestros recuerdos todo el rato.


11 – Sé que milita a favor de los perros en general y de los galgos en particular. Se ha mejorado la condicion animal en España, o con la crisis ha empeorado ?
Con la crisis ha empeorado todo concretamente, claro, hay menos dinero para las asociaciones, para los albergues animLes etcétera. Pero en general va aumentando la conciencia animalista en la sociedad.

12 – Por fin, un pequeño cuestionario para concocerle mejor ;-)

  • Una novela : Lolita de nabokov
  • Un personaje : Moby Dick
  • Una musica : Vals de Masquerade de Katchaturian
  • Una pelicula : El apartamento de Billy Wilder
  • Una pintura : El ultimo autorretrato de Rubens
  • Una fotografia : La de la galaxia El ojo de Dios
  • Un animal : El perro
  • Un postre : Picotas
  • Un lema o una cita : Ni pena ni miedo





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