samedi 10 décembre 2016


Une noisette, un livre, une interview



"Claude. C’était ma mère"

Alain Pompidou

 

Un prénom, deux noms : Claude Pompidou née Cahour
Claude, incontournable Claude Pompidou. Avec son mari Georges, ils ne faisaient qu’un. Ont lutté la main dans la main, cœur dans le cœur lors des tempêtes immondes comme celle de l’affaire Markovic. Ont partagé un amour commun pour l’art.
Leurs fils Alain a repris la plume pour honorer sa mère et retracer un chapitre de l’histoire française. Un hommage sous forme de récit dont le ton est donné dès les premières pages avec cette très gracieuse définition d’un fils pour sa maman : "Sa vie illustre une profonde interaction entre la tête et le cœur".
Au fil des pages, à travers la vie de cette femme hors du commun, on redécouvre les riches heures du patrimoine culturel français ainsi que les méandres (évidemment moins harmonieux) de la politique . Car Claude n’aimait pas ce monde, rejetant le Palais de l’Elysée qui pour elle n’avait été qu’une tragique demeure. Quelle délicieuse promenade vous ferez, une visite personnalisée de tout ce que le 20° siècle a créé en richesses artistiques : de Nicolas de Staël à Marc Chagall, d’André Malraux à Françoise Sagan, de Pierre Boulez à Guy Béart , de Coco Chanel à Marc Bohan en passant par Aimé Maeght, Alberto Giacometti sans oublier le 7° art comme, par exemple, la généreuse Jacqueline Delubac.
A l’élégance permanente s’est mariée l’attention portée aux autres via la création de la Fondation Claude Pompidou œuvrant pour apporter soutien/réconfort aux enfants handicapés et personnes âgées.
Un livre que l’on referme avec la ferme conviction que les plus belles âmes ont cette pudeur des sentiments pour mieux approcher la sensibilité des autres.
Mais c’est son fils qui en parle le mieux. Entretien passion avec le Professeur Alain Pompidou.
1 – Alain Pompidou, en 2012 vous publiez la correspondance de votre père. Aujourd’hui vous offrez un portrait galvanisant de votre mère. Un hommage, mais est-ce aussi le désir de vouloir perpétuer la mémoire de vos parents et une partie de l’histoire française du 20° siècle ?
Surtout la mémoire de Claude Pompidou que je cherche à perpétuer. Comme vous le soulignez, j’ai écrit un ouvrage sur mon père en 2012 et, ensuite, je désirais faire de même pour ma mère. J’ai songé, au départ, à un album avec des photos illustrant son chemin de vie. Mais les éditions Flammarion m’ont appelé pour que j’apporte un témoignage sur elle. Forcément j’ai accepté de suite. J’offre aujourd’hui ce récit, avec une partie historique et une partie intimiste de ce parcours inhabituel d’une première dame résolument indépendante.
2 – Est-ce facile de s’effacer, comme vous l’avez fait, pour raconter le destin de sa mère alors que l’histoire commune est si vive ?
D’abord ce n’est pas une autobiographie et ensuite j’arrive désormais à prendre du recul (mon âge aidant) pour non seulement narrer ce parcours mais en le faisant avec plus d’indépendance. Je ne me suis pas effacé mais seulement pris de la distance.
3– Georges Pompidou disait « L’art est comme l’épée de l’archange, il faut qu’elle nous transperce » (p.87). L’art était-il le premier dénominateur commun du couple Pompidou ?
Au départ ils n’avaient pas la même formation. Ma mère était passionnée de littérature, dès l’âge de 8/10 ans elle lisait Flaubert (entre autres) et désirait faire une licence de lettres. Mais due  à la présence d’un notaire dans la famille, la condition sine qua non de son père était que sa fille fasse du droit si elle voulait étudier sur Paris.
Et un beau jour de 1933, dans un cinéma du Quartier Latin, un jeune homme la remarque et déclare "quelque chose est passé". Sur le moment Maman a cru en un incongru mais en fait c’était un brillant étudiant en lettres classiques, 1er Prix de grec au Concours Général. C’était mon père avec une vision très large sur la littérature classique. Le coup de foudre était évident et allait perdurer… Ils développeront leur amour pour la littérature en particulier et la création artistique en général. Ils avaient en commun ce don d’anticipation artistique, de voir l’art comme une provocation. Mon père avait d’ailleurs l’habitude de rappeler "L’art doit interpeller et provoquer".
4 – En 1946, Georges Pompidou devient le Secrétaire Général de la Fondation Anne de Gaulle. Il était évident pour son épouse de créer une association pour aider les personnes fragiles. Un engagement de tous les instants jusqu’à ces derniers jours ? Un évènement considérable  fait que mes parents seront fidèles et en admiration envers le Général de Gaulle : la Libération de Paris et son rôle primordial pendant la 2° guerre mondiale. En 1944, Georges Pompidou décide que c’est avec lui qu’il veut travailler et s’engager.
En 1946, le Général demande à mon père de devenir le Secrétaire Général de la Fondation Anne de Gaulle, il accepte et assurera la fonction de trésorier jusqu’au décès de Charles de Gaulle. En 1969, Georges Pompidou devient le 2° président élu de la V° République et Claude voulait travailler mais c’était impossible étant donné son statut. Elle décide de créer une association en aide aux enfants handicapés et aux personnes âgées, une expérience qu’elle avait vécue pour s’être occupée dans sa jeunesse de personnes déficientes. Elle a fondé cette entité sur le même modèle que celui de la Fondation Anne de Gaulle.
En 1974, devenue veuve, elle prend la présidence de la Fondation. Une fondation très novatrice dans le fonctionnement en faisant appel au bénévolat comme cela se pratiquait déjà aux Etats-Unis.
Jusqu’à son décès en 2007, elle s’occupera personnellement de sa Fondation (avec 14 établissements sur le territoire sans compter les nombreux relais) et c’est son amie Bernadette qui deviendra ensuite la présidente de la Fondation Claude Pompidou.
5 – Le Dr Cahour, père de Claude, était l’archétype du praticien d’autrefois. Quelle fut la réaction de votre mère le jour où elle a appris que vous alliez entrer à la Faculté de Médecine ?
J’ai toujours voulu être médecin du fait d’avoir eu des relations particulièrement intenses avec mon grand-père. Pendant les vacances, je l’accompagnais lors de ses visites (j’ouvrais et refermais les grilles des fermes) ou à l’hôpital, son image "en blanc" avec sa toque, blouse et tablier, reste encore dans mon esprit.
A ce but que je m’étais fixé, ma mère était plus que ravie : "Au moins, il ne fera pas de politique" ! Elle voulait tant m’en protéger…
6 – Et pourtant, la politique vous a interpellé ?
Elle souhaitait que je reste médecin. Mais j’avais des convictions européennes et je suis devenu député européen en écartant la « politique politicienne » et en me consacrant aux programmes de recherche et de développement technique auprès du Parlement.
7- "Ne pas être autre chose que ce que l’on est, mais l’être pleinement, honnête vis-à-vis de soi-même et des autres".(p.43) Avec une telle philosophie, personne de son entourage ne devait être étonné de l’aversion de Claude Pompidou envers la politique ?
Ma mère a énormément souffert de la politique et, d’ailleurs, elle n’était pas heureuse que je prenne le chemin des cabinets ministériels. L’affaire Markovic l’a profondément marquée, a profondément marqué mes parents. Ils ont opté pour le silence face à cette jalousie destructrice et ils ont eu raison car mon père a été élu en 1969 à près de 60%. Cependant, combien de fois j’ai entendu mon père parler de ce complot comme "la bombe Markovic".
8 – Et pourtant, elle avait une profonde admiration et amitié pour certains politiques. Lesquels en particulier ?
Oui. Tout d’abord une admiration totale pour le Général de Gaulle ainsi que pour toute sa famille. Pour mon père, Charles de Gaulle a sauvé la France.
Quant à l’amitié sincère et durable, deux couples ont été exemplaires : les Chirac et les Balladur. Edouard Balladur s’est beaucoup occupé de l’Association Georges Pompidou, devenue depuis l’Institut Pompidou. Jacques et Bernadette Chirac, tous deux très proches de ma mère en sachant que Jacques a fait le maximum pour concrétiser le projet du Centre Pompidou qui a abouti en 1977 malgré l’avis défavorable de certains représentants politiques…
9 – André Malraux, personnage haut en couleurs. Indispensable peut-être ?
Oui, absolument. Un personnage central. Dès les années 50, le couple Pompidou se lie d’amitié avec le couple Malraux. Au-delà de la politique, l’art était la préoccupation majeure d’André Malraux, comme en témoignent les fulgurantes conversations sur le sens artistique avec le Père Couturier, dominicain, artiste et théoricien de l’art. 
10 – Une impression se profile que votre mère n’aimait guère la compagnie des femmes. Cette impression est confirmée en milieu de lecture. Pas d’esprit féministe ou une accumulation de déceptions ?
Pour ma mère, les conversations avec les femmes étaient trop futiles. Claude a été une très bonne mère, une très bonne épouse. Mais les discussions avec les amis devaient aller au-delà de la vie familiale, il fallait qu’elles soient élevées vers d’autres domaines que ceux du quotidien sinon elle s’ennuyait.
Cela dit, des femmes pouvaient l’éblouir, comme, par exemple, Dominique de Ménil, collectionneuse d’art et proche du Père Couturier, ensemble elles avaient tant à partager !
11 – Claude, une amatrice d’art qui incarnait l’élégance ?
Oui, l’élégance pour l’élégance. Pas pour elle car elle n’était pas coquette. L’élégance pour la France, pour les créateurs de mode avec qui elle s’entendait très bien, pour les autres. L’élégance mais sans étiquette, parce qu’une éternelle indépendance l’entourait toujours.
12 – Beaucoup de références résonnent à titre personnel et quel plaisir de voir confirmer par écrit combien Claude Pompidou à aider l’un des plus illustres directeurs de l’Opéra National de Paris : Rolf Liebermann. Pouvez-nous en dire encore un peu plus ?
Je n’ai, hélas, jamais rencontré Rofl Liebermann. Mais je sais que ma mère a œuvré pour le faire venir de l’Opéra de Hambourg pour qu’il dirige celui de Paris, après en avoir longuement discuté avec le Ministre de la Culture de l’époque, Jacques Duhamel. Et par effet de ricochet, sont arrivés de nouveaux chorégraphes dont Maurice Béjart et Carolyn Carlson.
13 – Pour poursuivre en musique, quel est votre souvenir le plus marquant entre votre mère et Pierre Boulez ?
Pas un, mais des souvenirs. En fait les relations entre ma mère et Pierre Boulez remontent aux années 50. Quand il était étudiant, Pierre Boulez habite un modeste logement à l’Ile Saint-Louis et jouait comme pianiste… aux  Folies Bergères ! Par un heureux hasard, il rencontra le couple mythique Jean-Louis Barrault/Madeleine Renaud qui est au Théâtre Marigny. Avec l’aide de Suzanne Tézenas (connue du Tout-Paris et même au-delà) il va donner naissance au « Domaine Musical » avec une série de concerts, d’abord au Petit Marigny (l’actuelle salle Popesco), puis Salle Gaveau et enfin à l’Odéon.
En 1955, il crée « Le Marteau sans Maître » à Baden-Baden, œuvre qui marqua profondément ma mère et elle fit appel à lui pour participer des années plus tard à la préfiguration du Centre Pompidou et en même temps pour fonder l’IRCAM (Institut de Recherche et Coordination Acoustique/Musique).
Ils sont devenus très amis, une amitié s’appuyant sur la création artistique et la musique contemporaine. Bien que solitaire, il invita ma mère à Baden-Baden et dans sa maison du Lubéron pour discuter sur l’évolution artistique tout en partageant cette infinie passion musicale. Comme je le souligne dans mon livre "Une rencontre qui va transfigurer ma mère et sans dépasser la limite de la pudeur, elle se rend indispensable".
14 – Suite à une célèbre conférence de presse de Georges Pompidou, l’écrivain Paul Eluard devient une référence de sa carrière politique. Quel est l’écrivain qui pourrait être associé à la vie de Claude Pompidou ?
C’est une excellente question ! Ma mère était férue de Proust, Diderot, Saint-Simon, Giraudoux, Camus, Shakespeare… mais deux auteurs la bouleversent, l’entrainent dans un autre monde : Robert Musil et Friedrich Hölderlin.
De Musil, un titre m’interpelle particulièrement, une œuvre majeure de l’écriture musilienne "L’homme sans qualités", roman puissant et original. Un côté surréaliste, un côté avant-gardiste pour une démarche intellectuelle qui correspondait à l’esprit de ma mère.
Friedrich Hölderlin est aussi l’un des fondateurs de la littérature contemporaine. Par ses poèmes il a inspiré de nombreux compositeurs, Brahms entre autres, avec une essence anticipatrice : tragédie et poésie enveloppées d’une force constructrice de l’art moderne
15 – L’intégralité des droits d’auteur sera reversée à la Fondation Claude Pompidou, partagez vous cette idée que tant que l’on honore l’œuvre d’une personne, la lumière apportée ne s’éteint jamais ?
Tout à fait. D’où mon désir de continuer à suivre ce combat qui était dans le cœur de ma mère. J’ai souhaité verser l’intégralité des droits d’auteur à sa Fondation en prenant humblement exemple sur le Général de Gaulle qui avait donné ses droits littéraires à la Fondation Anne de Gaulle.
16 – Pour clore cet entretien, non pas un questionnaire de Proust, mais un petit quizz qui permettra aux lecteurs de mieux vous connaître.


-       Un roman : "Le rivage des Syrthes" de Julien Gracq, un roman et une évocation poétique.
-       Un personnage : Charles de Gaulle
-       Un(e) écrivain(e) : Marcel Proust
-       Une musique : Les quatuors de Ludwig van Beethoven, un monument de la musique classique que le maestro a composé à la fin de sa vie en…étant sourd !
-       Un film : "Alceste à bicyclette" de Philippe le Guay avec Fabrice Lucchini et Lambert Wilson, une balade avec Molière pour l’un des meilleurs films de ces dernières années.
-       Une peinture : "Le concert" de Nicolas de Staël, peint en 1955 à Antibes quelques jours avant de se suicider. Un tableau d’une puissance extraordinaire, tourné vers l’avenir, cet avenir qui lui faisait peur…
-       Un photographe : Man Ray, du dadaïsme au surréalisme. Un Maître.
-       Un animal : le chien
-       Un dessert : la charlotte aux poires, parce que c’est délicat
-       Une devise ou une citation : "Eviter de se mentir à soi-même"



"Claude, c’était ma mère" – Alain Pompidou – Editions Flammarion – Octobre 2016
 
 

Aucun commentaire:

  Noisette savoyarde Col rouge Catherine Charrier   Savez-vous qui étaient ceux que l’on nommait les « Cols rouges » ? Les commiss...