lundi 29 août 2022

 

Une noisette, un livre
 
Trouver refuge
Christophe Ono-Dit-Biot

 

Abbaye de Noirlac - 27 août 2022 © Squirelito

Sacha est un homme heureux. Amoureux de sa femme Mina et prêt à tout pour que leur Irène soit la plus heureuse des petites filles. Sauf que la République française a changé de visage depuis l’arrivée à l’Elysée d’Alex surnommé Papa, un identitaire pur jus. Quoique. Dans sa jeunesse, son esprit a été plus ouvert ; Sacha le connait bien, très bien même. Journaliste de son métier il va lâcher sur un plateau télé « pourtant Alex n’a pas toujours été comme ça ». Coup de tonnerre dans les allées du pouvoir qui va tenter aussitôt une intimidation pour que LE secret ne soit pas révélé. Plus qu’une seule solution pour le couple : fuir, s’exiler. Le mont Athos s’avère la destination idéale selon Mina, professeure d’histoire et spécialiste de la période byzantine. Sauf que la montagne sacrée est interdite à toute femme et à toute femelle… Comment le couple va pouvoir sortir de ce guêpier, comment protéger leur fille ? Et quel est ce terrible secret du chef de l’État ? Et si l’empyrée devenait source de lumière sur terre…

Christophe Ono-Dit-Biot a l’art d’emmener ses lecteurs au pays du soleil même quand des ombres surgissent au cours de ce périple livresque à couper le souffle. L’écrivain journaliste puise inlassablement  dans les bases de l’Antiquité, s’entoure du passé pour ériger l’avenir, n’hésite pas à lancer subtilement un coup de glaive pour décrire les errements de notre époque contemporaine – coucou le wokisme, coucou les mesures « confinement » – s’enivre de fragrances méditerranéennes pour les faire jaillir des pages au fur et à mesure de la lecture, parsème malicieusement son récit de touches sensuelles, offre un nouveau reportage sur la communauté monastique du mont Athos et – peut-être la marque de fabrique numéro 1 – offre une sublime ode au pouvoir de la transmission.

La relation de Sacha avec sa fille est plus que touchante, tellement bien décrite que d’aucuns peuvent imaginer les voir en train d’escalader le flanc de la montagne sacrée ou se jeter dans la mer pour un bain d’immortalité. Le tout sous la bienveillance des classiques, pardon des antiques, plus modernes que jamais. Personnellement, je me suis revue au même âge qu’Irène lorsqu’avec mon père nous échangions en vacances de longs discours allant de la préhistoire à la route de la soie en regardant le soleil se lever sur les neiges éternelles alpines.

N'oublions pas non plus le portrait dessiné à la fine plume de Mina, personnage probablement  la plus solaire du récit, et, dotée d’un tempérament comme si né sur Mars. La sémantique n’est jamais le fruit du hasard et ce qui parait facile a certainement nécessité un long travail de construction.

En refermant ce roman, une citation de Cicéron m’est venue à l’esprit : « L’histoire est le témoin des temps, la lumière de la vérité, la vie de la mémoire, l’institutrice de la vie, la messagère de l’antiquité ».

« Trouver refuge », une « philocalie » laïque pour continuer à croire encore au merveilleux, et, à la force insoupçonnable de l’âme humaine quand elle est auréolée d’amour et de tendresse.


« On croit les choses impossibles jusqu’à ce qu’elles se produisent »

« En apparence, ils étaient libres. Les restaurants et les cafés étaient ouverts et l’on circulait à sa guise, du moins quand on n’était pas étranger, et à condition d’avoir son ordiphone en poche. Car on devait pouvoir vous joindre à tout moment, c’était pour votre bien. L’application obligatoirement téléchargeable avait été conçue pendant la dernière vague d’épidémie. Les gens ne s’en plaignaient pas puisque c’était pour leur bien ».

« Sacha avait aussi pour mission de débloquer l’imaginaire des scénaristes quand ils séchaient. Il jouait ainsi le rôle d’un viagra dramaturgique, puisant sans se gêner dans l’Histoire où il n’y avait qu’à se servir ».

« Les monastères se succèdent. Châteaux forts de la foi ».

« Apprendre c’est aussi jouir ».

« Les parfums bientôt enveloppent l’homme et l’enfant. Ceux des buissons de myrte, enivrants comme de l’alcool. Ceux de la terre chauffée par le soleil. Ceux de la mousse encore étourdie de rosée à l’ombre des arbres. Au-dessus de leur tête, les branches tamisent la lumière et la réduisent en une poussière dorée. Dorées aussi sont les taches jaunes que font les citrons dans les feuilles vertes. C’est d’une beauté puissante et toute simple, une synthèse de tout ce que la nature recèle en ces latitudes, quand l’homme la laisse tranquille ».

Trouver refuge – Christophe Ono-Dit-Biot – Éditions Gallimard – Août 2022

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