samedi 23 octobre 2021

 

Une noisette, un livre
 
Le dernier tribun
Gilles Martin-Chauffier



 

Cicéron. Adulé de toute part depuis la nuit des temps pour ses qualités d’orateur, son désir de justice… sauf peut-être par Marc Antoine.  A l’autre rive du Tibre, c’est l’inverse, Clodius est malmené par les historiens antiques, le tribun de la plèbe étant considéré comme violent, manipulateur et dangereux. Mais en ces temps de république à la dérive, entre César et Pompée, les ennemis sont légion.

En l’an XXI après J.C. un philosophe grec sort de terre avec sa plume de roseau pour écrire ses mémoires de l’an I, un certain Metaxas sorti de l’imaginaire du royaume de Bacchus par Gilles Martin Chauffier. Bienvenue dans un péplum livresque où les fauves ne sont pas ceux que nous croyons.

Le récit prend ses marques lors du premier Triumvirat où, comme chacun sait, Crassus, Pompée et César s’entendent à merveille… pour essayer de faire tomber l’autre dans la fosse aux lions. Pompée soutenant Cicéron, Claudius va faire appel à Metaxas, connu pour sa verve proche de la cigüe, pour qu’il lui écrive ses discours et ainsi affronter son ennemi juré par des armes aux mots tranchants, langue d’épée et lances verbales. Arrivé à Rome, le philosophe grec est pris sous l’aile de la vipérine Claudia Metella, tante de Claudius ; les combats peuvent commencer.

Une Histoire romaine qui est une superbe allégorie à notre contemporanéité, les Romains n’ayant pas eu la peine d’inventer les réseaux sociaux pour répandre injures, rumeurs, camouflets, calomnies, un mépris permanent dans une hypocrisie enrubannée ;  tout y passe et la République trépasse.

Même si parfois on frise l’indigestion, le ton reste savoureux au possible, l’écrivain jonglant avec les mots pour les lancer dans une poésie à la Catulle – si bien que les scènes les plus horribles semblent presque un enchantement – ou bien dans un humour au vitriol où les expressions baignent dans un acide caustique. Des joutes oratoires aux joutes scripturales.

« Les officiels romains commencent tous leurs discours par le même refrain. Ils sont tellement heureux d’être dans la ville de Platon plutôt qu’en Numidie ou en Narbonnaise (…) Ils n’aiment pas les réserves et prennent pour offense tout ce qui n’est pas soumission ».

« Les sottes suivent la mode, les idiotes l’exagèrent ».

« Le peuple ne déteste pas l’injustice. Il la sait inévitable. Ce qu’il ne supporte pas, c’est le mépris des élites qui se réservent tous les privilèges mais prétendent en plus incarner la vertu républicaine ».

« Ce qui heurte les pauvres, c’est le manque de respect. Ils n’en peuvent plus de cette caste malveillante qui les vole et se drape dans la morale républicaine ».

« Rome méprisait la terre entière, sauf l’Egypte. L’étiquette pharaonique datait déjà de deux mille ans quand une louve allaitait encore Romulus et Rémus. Personne ne l’avait oublié sur les bords du Tibre ».

« Dans les épreuves, le pire désarroi ne provient pas de ce que font vos ennemis mais de ce que ne font pas vos amis ».

Le dernier tribun – Gilles Martin-Chauffier – Editions Grasset – Septembre 2021

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