samedi 29 août 2020

 

Une noisette, une rentrée littéraire #9
 
Les corps insurgés
Boris Bergmann

 


Quelle est la partie du corps qui facilite le plus la rencontre avec l’autre, avec les autres ? Celle qui permet le toucher, qui vous indique le chemin, la voie à suivre. Celle qui peut faire ressentir quelque chose lorsqu’elle serre, qui est la première porte du désir par la caresse. Celle aussi qui peut frapper, faire mal, faire exploser le monde en appuyant sur un détonateur. Cette partie est un tout et c’est par elle que commence le roman de Boris Bergmann : la main, celle qui a tenu la plume pour contourner chaque partie du corps en chapitre, le dernier s’élevant hors du corps : l’âme.

Lorenzo, Baptiste, Tahar. Ce sont ces trois hommes qui vont dessiner l’anatomie de leur destin. Tout les éloigne, distance et temps, et pourtant, ils ont tous quelque chose en commun : réaliser quelque chose, soit en cherchant la beauté, soit en renversant le monde, soit en donnant un sens à un bouleversement. Chacun empruntant une conjugaison particulière.

Lorenzo, troisième personne du singulier, nous plonge dans le passé, dans une Italie du dix-huitième siècle avec le pouvoir des prélats et du Vatican. Il est né dans un petit village, Bomarzo, mais suite à un acte jugé répréhensible par le seigneur des lieux, il est envoyé par le prêtre à Rome mais avec une recommandation pour un cardinal. Lorenzo a un don, il peint et de façon spectaculaire. Il va alors rechercher toute la beauté possible pour la retranscrire sur des toiles. Mais Rome le déçoit. Il se réfugie dans la prière jusqu’au jour où il rencontre une femme, une résidente d’un bordel. On ne tombe pas amoureux d’une pute, mais Lorenzo, si. Et il croit en cet amour. Jusqu’où la passion pourra-t-elle le mener ?

Baptiste, deuxième personne du singulier, est plus particulier. Né à Neuilly, habite un bel immeuble du XVI° arrondissement où rien ne lui manque. Matériellement. Car l’amour est bien absent. Dans cette famille traditionnaliste, le jeune garçon grandit et cherche d’autres repères, comme cette femme qu’il va suivre dans le V° arrondissement et où le lieu du Moineau deviendra un rassemblement pour celles et ceux qui rêvent de révolution. Il rencontre une jeune femme, électron libre et déjantée. Ils s’aiment et ensemble pensent refaire le monde à un an de mai 68. Mais quelques mois auparavant, la jeune femme est enceinte. Que va-t-il se passer à la naissance du fils ?

Tahar, première personne du singulier, est contemporain à notre époque. Il est né à Tanger, une vie qui se fond dans la société comme pour la plupart de ses concitoyens. Mais un jour son cousin Selim l’entraîne dans un acte jugé comme déshonorant pour le père qui le chasse, ne lui donnant que l’argent nécessaire pour le passeur. C’est le début de l’exil, la rencontre en Italie avec Hassan, la traversée des Alpes et enfin l’arrivée à Paris. Seul au monde. Dans un centre pour réfugiés, il fait la connaissance de Fiona, une jeune humanitaire qui va l’aider et l’aimer. Pour un temps. Ensuite, Tahar sera la proie potentielle de tous les rapaces, comment va-t-il résister ?

L’année passée à Rome à la Villa Médicis a été inspirante pour le jeune écrivain – déjà remarqué pour Nage libre – et offre un récit original teinté de philosophie. Original par la construction mais également pour la trajectoire des trois personnages, une triade que semble tout opposer et pourtant qui renferme bien des composants identiques. La partie italienne est personnellement celle que je préfère pour la référence latine et artistique mais le personnage de Tahar est certainement le plus émouvant. L’écriture est recherchée mais avant-gardiste tout en respectant le principe des belles lettres.

Quand les corps s’insurgent, les esprits émergent.

« Un tableau doit prendre source à même la vie et non pas dans les canons de la beauté officielle ».

« Il veut prouver que la lumière vient de tous les êtres, pas seulement des corps admis, des corps beaux ».

Les Corps insurgés – Boris Bergmann – Editions Calmann Levy – Août 2020 – Rentrée littéraire 2020

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