Une noisette, un livre
Nage libre
Boris Bergmann
S’il
fallait décrire ce roman par une seule lettre ce serait celle du A. A comme
Alchimie et Amitié.
Alchimie,
pour cette transformation du personnage principal, Issa, qui par miracle va
renaître, va transmuter ses cendres en lumière.
Amitié,
parce que c’est le seul et unique socle
qui permettra de changer le destin, une communion sincère entre Issa et Elie,
tous les deux car l’amitié ne se vit pas en groupe, c’est « un animal qui
paît à deux » comme l’a souligné Plutarque.
A
cette alchimie fraternelle, s’ajoute un élément catalyseur : celui du
« premier enfant de la nature » le Nommo chez les Dogons ou Noun chez
les Peuls, cette source de création, ce génie qui est l’eau et qui permettra à
Issa de plonger dans une autre vie.
Paris,
XIX° arrondissement, direction le nord est de la ville dans les HLM, dans la
« Zone » des oubliés de tout, où chacun tente de vivre avec des codes
de survie. Issa, seul avec sa mère vivent là. Sa génitrice fait des ménages,
travaille dur et se réfugie dans sa religion. Le père est absent, d’une autre
origine malienne que la mère ce qui fait d’Issa un métissé, un impur ; subit
brimades et coups des élèves, de ceux qui font la loi dans les cages d’escalier
et autres lieux de trafic. Il n’a qu’un seul ami, Elie, un jeune homme qui
semble terriblement à l’aise, a un sourire ravageur, veut devenir acteur ;
son ambiance de vie est guère enviable entre une mère soumise, un père absent
et un beau-père très violent. Il est juif mais n’ayant peur de rien, personne
n’ose l’agresser. Le duo amical est mal vu mais c’est Issa qui prend tout pendant
qu’Elie le protège, jusqu’au jour où il le force à rebondir en allant s’entraîner
à la piscine, une piscine qui lui rappelle tant de mauvais souvenirs et objet
de tous les dénigrements, les corps se mettant presque à nu.
Mais
justement ce sont ces corps qui se dévoilent, c’est cette eau qui sculpte les
corps, ces mouvements aquatiques avec parfois un sens érotique qui vont
éveiller les sens d’Issa et accepter d’être différent, de ne plus se soumettre
aux apparences, de retrouver une identité. Avec l’aide d’Elie.
Incroyable
récit d’un être touchant le mur mais qui va opérer un virage pour repartir de
l’autre côté grâce à une culbute magistrale aussi belle que les ailes d’un
papillon…
Boris
Bergmann offre des mouvements divers, brasse sur les clichés, constate
amèrement la vie réelle des cités oubliées, interpelle sur la superficialité
des écrans, montre le pouvoir d’un cerveau sur l’enfermement, plonge dans les
souffrances de l’exil, du déracinement, de « l’apatridie », ondule
sur la découverte de l’amour et de la sexualité et peint un superbe ballet
aquatique sur l’amitié.
Que
d’odeurs dans ce roman, tantôt nauséabondes, tantôt envoutantes ; que de
force donnée, on pourrait presque en faire un manuel de survie, là où on
apprend à obtenir une « licence de mépris avec mention » ; que
de sensualité lorsqu’Issa découvre son corps, ses désirs, les caresses touchant
aussi bien la peau que l’âme pour un bain jouissif de volupté.
Le
tout est amplifié par une écriture sobre, directe, oscillant entre la brutalité
des conditions de l’existence et la poésie des sentiments des deux
protagonistes. S’ajoutent les attendrissants passages sur la vieillesse et judicieuses
réflexions sur la religion, sur le monothéisme versus le polythéisme, les
croyances, les préceptes : on songe à l’Antiquité, celle où les Grecs
avaient choisi de répandre leur religion non pas par des prédicateurs mais par des
poètes…
L’eau,
source de vie, fleuve des destins, symbole de rencontres essentielles, jaillit
dans « Nage libre », l’histoire dune métamorphose dans le bassin de
l’amitié.
« Si seulement il
avait su se transformer en buisson comme les esprits maliens habitent les
écorces d’arbre de toute leur volonté. Mais en France, les esprits maliens
n’ont pas de papiers, la préfecture les a reconduits à la frontière. Et les
mythes de l’enfance, eux aussi, sont en exil. »
« Issa préfère la
compagnie muette des petits vieux. Sans un mot, ils dérivent. La piscine n’est
pas un lieu d’effort pour eux, mais de relâchement. Issa aime les
admirer : voir le plaisir éclore quand leur peau ridée, cornée, pleine de
tâches et de fêlures, touche l’eau, gonfle d’un coup, retrouve une souplesse
oubliée. Leur sourire s’élargit. Ils pataugent dans du lait, de la crème.
Parfois, même, ils ne nagent pas, ils demeurent verticaux. Et ils marchent. Ils
marchent pour brûler au ralenti. »
« Issa reconnaît
parmi eux Mamad’ qui mène le groupe. Le mot a dû se répandre concernant son
activité secrète, plus illicite que la leur car elle apporte à Isa un plaisir
qu’ils ne peuvent pas comprendre – un plaisir de corps nu, de l’eau et de
l’âme. Plaisir sale. En plus, Issa partage ce plaisir avec Elie : amitié
prohibée, association défendue. Ça pèse dans le procès-verbal. »
« Collés sous
l’eau, on ne sait plus qui est Issa et qui est Elle. Ils se mélangent,
bannissent les différences. Ils ressemblent aux poissons qui pour augmenter les
chances de se reproduire changent de sexe à tout de rôle – prennent du plaisir
par hermaphrodisme successif. Pas de problème de genre chez les poissons. Ils
se pénètrent par des câlins. Chaque baiser est une caresse de nageoire. »
Nage libre – Boris
Bergmann – Editions Calmann-Lévy -
Janvier 2018
Prix Littéraire de la Vocation 2018
Prix Littéraire de la Vocation 2018
Livre reçu et lu dans le
cadre du Prix Littéraire de la Vocation 2018
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