Une noisette, un livre
Concours pour le Paradis
Clélia Renucci
« Sans
s’inquiéter des sujets historiques, le Tintoret, à qui on laissait la bride sur
le cou, s’est emparé d’un espace de soixante-quinze pieds pour y représenter un
paradis de sa façon, composition désordonnée, dont chaque figure est assurément
belle, mais qui ressemble à une cohue vénitienne comme le Broglio ou la fête du
jeudi gras, plutôt qu’à ce monde inconnu où les affligés se reposeront de leurs
souffrances ». Ainsi, Paul de Musset parlait de l’œuvre monumentale de
Jacopo Robusti en 1855. Plus de 150 ans plus tard, l’auteure Clélia Renucci en
fait une fresque romanesque, jouant sur les ombres et lumières du Cinquencento,
la Haute Renaissance italienne.
En
décembre 1577, le palais des Doges de Venise flambe. Détruit, il sera
reconstruit, les œuvres reproduites. Mais pour le Paradis ou Le couronnement de
la Vierge, le décor de la salle du Grand conseil, est organisé un concours par la Seigneurie de
la Sérénissime. Les artistes vénitiens les plus important y participent :
Le Tintoret, Véronèse, Palma le jeune, Francesco Bassano. Contre toute attente,
ce n’est pas un vainqueur mais un duo artistique qui sera élu : Véronèse
et Bassano. Véronèse va prendre l’ascendant sur le jeune Francisco tout en vaquant
à ces vagabondages fripons. En 1588 Paolo Caliari meurt et le comité décide de
nommer un autre artiste, jugeant Bassano pas suffisamment expérimenté ; Le
Tintoret entre en scène suivi par son fils Domenico.
Voilà
pour le cadre. Restait pour Clélia Renucci à apporter des pigments romancés,
des nuances de vocables pour peindre la société du XVI° siècle de la Reine de
l’Adriatique où les affrontements politiques, artistiques ne se faisaient pas
qu’à coups de pinceau, de surprendre le lecteur par un clair-obscur historique
et plus si affinités picturales.
Divin
roman qui fait allusion au Paradis de Dante et à sa Béatrice lorsque Domenico tombe
amoureux de sa jardinière et soudainement les vers du poète florentin glissent dans
votre oreille :
« Je
pense à celle que j’adore
Mais
il faut renoncer à la chanter encor
Comme,
ayant épuisé son art dans un tableau,
Le
peintre loin de soi rejette son pinceau.
Donc
je laisse humblement celle que j’ai nommée
Au
clairon plus brillant d’une autre renommée
Et
je cours au grand but qui me tient tant au cœur ! »
D’un
concours du XVI° siècle à une lecture du XXI°, c’est un paradis terrestre qui
s’ouvre et vous transporte dans les plus hautes sphères de l’art italien d’une
beauté céleste.
« En entrant dans
la cour du Palais, dans lequel il avait pourtant souvent accompagné son père,
il remarqua pour la première fois la statue de la déesse Astrée, aux côtés des
huit allégories féminines sculptées sur le panneau frontal, à gauche de
l’escalier des Géants, construit récemment par l’architecte Sansovino. Vierge
pour Virgile, dernière divinité quittant la Terre à la fin de l’Âge d’or pour
Ovide, sa figure renvoyait à la fois à Marie et à la Justice, deux
personnifications auxquelles Venise aimait à s’associer. »
« Les larmes lui
montèrent aux yeux, il pensait à Marietta. La gorge nouée, Domenico garda le
silence. Assis côte à côte, ils admirèrent ce paradis surpeuplé en pensant à
leur grande absente. Que c’était bon de communier dans la tristesse et la
nostalgie ! Si le deuil se vit seul, il est parfois nécessaire de le
partager, et ces doux instants sont imprévisibles. Les deux peintres ne se
pressèrent pas de les laisser s’envoler et restèrent ainsi sans parler, dans
une harmonie de pensées. »
Concours pour le Paradis
– Clélia Renucci – Editions Albin Michel – Août 2018
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