mercredi 29 août 2018


Une noisette, un livre
 

Concours pour le Paradis

Clélia Renucci


« Sans s’inquiéter des sujets historiques, le Tintoret, à qui on laissait la bride sur le cou, s’est emparé d’un espace de soixante-quinze pieds pour y représenter un paradis de sa façon, composition désordonnée, dont chaque figure est assurément belle, mais qui ressemble à une cohue vénitienne comme le Broglio ou la fête du jeudi gras, plutôt qu’à ce monde inconnu où les affligés se reposeront de leurs souffrances ». Ainsi, Paul de Musset parlait de l’œuvre monumentale de Jacopo Robusti en 1855. Plus de 150 ans plus tard, l’auteure Clélia Renucci en fait une fresque romanesque, jouant sur les ombres et lumières du Cinquencento, la Haute Renaissance italienne.

En décembre 1577, le palais des Doges de Venise flambe. Détruit, il sera reconstruit, les œuvres reproduites. Mais pour le Paradis ou Le couronnement de la Vierge, le décor de la salle du Grand conseil,  est organisé un concours par la Seigneurie de la Sérénissime. Les artistes vénitiens les plus important y participent : Le Tintoret, Véronèse, Palma le jeune, Francesco Bassano. Contre toute attente, ce n’est pas un vainqueur mais un duo artistique qui sera élu : Véronèse et Bassano. Véronèse va prendre l’ascendant sur le jeune Francisco tout en vaquant à ces vagabondages fripons. En 1588 Paolo Caliari meurt et le comité décide de nommer un autre artiste, jugeant Bassano pas suffisamment expérimenté ; Le Tintoret entre en scène suivi par son fils Domenico.

Voilà pour le cadre. Restait pour Clélia Renucci à apporter des pigments romancés, des nuances de vocables pour peindre la société du XVI° siècle de la Reine de l’Adriatique où les affrontements politiques, artistiques ne se faisaient pas qu’à coups de pinceau, de surprendre le lecteur par un clair-obscur historique et plus si affinités picturales.

Divin roman qui fait allusion au Paradis de Dante et à sa Béatrice lorsque Domenico tombe amoureux de sa jardinière et soudainement  les vers du poète florentin glissent dans votre oreille :
« Je pense à celle que j’adore
Mais il faut renoncer à la chanter encor
Comme, ayant épuisé son art dans un tableau,
Le peintre loin de soi rejette son pinceau.
Donc je laisse humblement celle que j’ai nommée
Au clairon plus brillant d’une autre renommée
Et je cours au grand but qui me tient tant au cœur ! »

D’un concours du XVI° siècle à une lecture du XXI°, c’est un paradis terrestre qui s’ouvre et vous transporte dans les plus hautes sphères de l’art italien d’une beauté céleste.

« En entrant dans la cour du Palais, dans lequel il avait pourtant souvent accompagné son père, il remarqua pour la première fois la statue de la déesse Astrée, aux côtés des huit allégories féminines sculptées sur le panneau frontal, à gauche de l’escalier des Géants, construit récemment par l’architecte Sansovino. Vierge pour Virgile, dernière divinité quittant la Terre à la fin de l’Âge d’or pour Ovide, sa figure renvoyait à la fois à Marie et à la Justice, deux personnifications auxquelles Venise aimait à s’associer. »

« Les larmes lui montèrent aux yeux, il pensait à Marietta. La gorge nouée, Domenico garda le silence. Assis côte à côte, ils admirèrent ce paradis surpeuplé en pensant à leur grande absente. Que c’était bon de communier dans la tristesse et la nostalgie ! Si le deuil se vit seul, il est parfois nécessaire de le partager, et ces doux instants sont imprévisibles. Les deux peintres ne se pressèrent pas de les laisser s’envoler et restèrent ainsi sans parler, dans une harmonie de pensées. »

Concours pour le Paradis – Clélia Renucci – Editions Albin Michel – Août 2018



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