Une noisette, un livre
Capitaine
Adrien Bosc
En
1940, l’Europe tombait dans les mains du nazisme. Après la
« drôle de guerre » de quelques mois, mai sonnait le
tocsin. En juin, Pétain signait à Compiègne l’Armistice ouvrant la chasse à
tout ce qui ne pensait pas hitlérien. L’exil, seule porte de sortie pour des
milliers d’opposants ou pour ceux catalogués « impur » par la
religion nazie.
C’est
ainsi que pratiquement un an plus tard, en mars 1941, l’intelligentsia
européenne se retrouve sur le port de Marseille pour embarquer sur le vapeur
Capitaine-Paul-Lemerle, 350 passagers en tout, d’André Breton à Claude
Lévi-Strauss en passant par Anne Seghers, Victor Serge, Wilfredo Lam, Germaine
Krull, Alfred Kantarowicz et une cohorte d’inconnus. Artistes, savants, juifs,
communistes, républicains espagnols, à cette longue liste des forçats de
l’histoire, manquera Walter Benjamin qui, arrivé à la frontière espagnole en
septembre 1940 dans un épuisement total, met fin à ses jours face à un horizon
fermé et sans issue.
Une
épopée trop méconnue que raconte l’écrivain Adrien Bosc avec une écriture et un
lyrisme absolument stupéfiant, oscillant entre les vagues de l’inénarrable, la
houle des pétainistes et les flots de la vaillance des exilés.
Comment
ne pas établir un parallèle avec ce que vivent actuellement des milliers de
réfugiés, fuyant des pays en guerre ou des dictatures. D’ailleurs, une
réflexion intéressante surgit de la part d’Alfred Kantarowicz, qui préférait
l’emploi du terme « émigré » plutôt que celui de
« réfugié » : « le
nom même de réfugié, d’exilé ou d’apatride ne va pas de soi, plonge celui qui
le revêt dans une condition qui l’oblige et l’enferme »
A
l’époque de la seconde guerre mondiale, on ne parlait pas de « trafic de
migrants » et pourtant la similitude des conditions d’embarquements, la
rançon à payer pour pouvoir traverser l’Atlantique, est frappante avec les
embarcations en Méditerranée et la filière des passeurs.
Quant
à l’arrivée en Martinique, elle était, malgré le climat, plutôt glaciale. Ils
quittaient Marseille et le régime de Vichy pour se retrouver enfermés dans une
léproserie à Fort-de-France au son d’un « Maréchal nous
voilà » !
Adrien
Bosc narre avec la précision d’un architecte des mots, les espoirs et les
sacrifices des passagers, partis pour échapper au pire mais avec les craintes
d’aboutir au néant. Heureusement, la plupart des exilés pourront se
reconstruire mais avec des blessures qui ne refermeront jamais ; un adieu
à ce que l’on quitte c’est mourir un peu…
Un kaléidoscope littéraire où Claude
Levi-Strauss, père de l’anthropologie structurale, rencontre André Breton, chantre
du surréalisme, où l’auteur effectue un parallèle entre César/le Rubicon et
Césaire/l’Absalon ; une toile immense pour ne pas oublier, pour remettre
en mémoire le passé perpétuel ; ressentir les vagues, basculer entre les
flots, inhaler l’embrun de l’exil. Et peut-être, donner au lecteur le goût
du courage par le récit de voyageurs involontaires.
« Les écrivains mis
à l’index par Hitler fondent des bibliothèques dans les grandes capitales du
monde ».
« Il songea à
l’exil, à ce qu’il advient de celui qui reste, à ce qui reste de celui qui
part ».
« Qu’emporte-t-on
dans l’instant ? Quand il faut, du jour au lendemain, plier bagage et laisser
son monde derrière soi sans espoir d’y revenir.
« Le sentiment du
danger est grisant à qui se sait à l’abri ».
« Il avait traversé
un océan et deux mers, il expérimentait les limites d’un monde, où l’évolution
phénoménal des techniques, l’accroissement de la vitesse et des échanges,
parallèlement et par une même logique, étranglaient les cœurs, amoindrissaient
les âmes ».
Capitaine – Adrien Bosc
– Editions Stock – Août 2018
« L’aube n’est que
le début du jour ; le crépuscule en est une répétition » Claude Lévi-Strauss
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