Souvenirs d'un médecin d'autrefois

vendredi 24 août 2018


Une noisette, un livre


 Capitaine

Adrien Bosc




En 1940, l’Europe tombait dans les mains du nazisme. Après la « drôle de guerre » de quelques mois, mai sonnait le tocsin. En juin, Pétain signait à Compiègne l’Armistice ouvrant la chasse à tout ce qui ne pensait pas hitlérien. L’exil, seule porte de sortie pour des milliers d’opposants ou pour ceux catalogués « impur » par la religion nazie.
C’est ainsi que pratiquement un an plus tard, en mars 1941, l’intelligentsia européenne se retrouve sur le port de Marseille pour embarquer sur le vapeur Capitaine-Paul-Lemerle, 350 passagers en tout, d’André Breton à Claude Lévi-Strauss en passant par Anne Seghers, Victor Serge, Wilfredo Lam, Germaine Krull, Alfred Kantarowicz et une cohorte d’inconnus. Artistes, savants, juifs, communistes, républicains espagnols, à cette longue liste des forçats de l’histoire, manquera Walter Benjamin qui, arrivé à la frontière espagnole en septembre 1940 dans un épuisement total, met fin à ses jours face à un horizon fermé et sans issue.

Une épopée trop méconnue que raconte l’écrivain Adrien Bosc avec une écriture et un lyrisme absolument stupéfiant, oscillant entre les vagues de l’inénarrable, la houle des pétainistes et les flots de la vaillance des exilés.

Comment ne pas établir un parallèle avec ce que vivent actuellement des milliers de réfugiés, fuyant des pays en guerre ou des dictatures. D’ailleurs, une réflexion intéressante surgit de la part d’Alfred Kantarowicz, qui préférait l’emploi du terme « émigré » plutôt que celui de « réfugié » : « le nom même de réfugié, d’exilé ou d’apatride ne va pas de soi, plonge celui qui le revêt dans une condition qui l’oblige et l’enferme »
A l’époque de la seconde guerre mondiale, on ne parlait pas de « trafic de migrants » et pourtant la similitude des conditions d’embarquements, la rançon à payer pour pouvoir traverser l’Atlantique, est frappante avec les embarcations en Méditerranée et la filière des passeurs.

Quant à l’arrivée en Martinique, elle était, malgré le climat, plutôt glaciale. Ils quittaient Marseille et le régime de Vichy pour se retrouver enfermés dans une léproserie à Fort-de-France au son d’un « Maréchal nous voilà » !

Adrien Bosc narre avec la précision d’un architecte des mots, les espoirs et les sacrifices des passagers, partis pour échapper au pire mais avec les craintes d’aboutir au néant. Heureusement, la plupart des exilés pourront se reconstruire mais avec des blessures qui ne refermeront jamais ; un adieu à ce que l’on quitte c’est mourir un peu…
Un kaléidoscope littéraire où Claude Levi-Strauss, père de l’anthropologie structurale, rencontre André Breton, chantre du surréalisme, où l’auteur effectue un parallèle entre César/le Rubicon et Césaire/l’Absalon ; une toile immense pour ne pas oublier, pour remettre en mémoire le passé perpétuel ; ressentir les vagues, basculer entre les flots, inhaler l’embrun de l’exil. Et peut-être, donner au lecteur le goût du courage par le récit de voyageurs involontaires.

« Les écrivains mis à l’index par Hitler fondent des bibliothèques dans les grandes capitales du monde ».

« Il songea à l’exil, à ce qu’il advient de celui qui reste, à ce qui reste de celui qui part ».

« Qu’emporte-t-on dans l’instant ? Quand il faut, du jour au lendemain, plier bagage et laisser son monde derrière soi sans espoir d’y revenir.
« Le sentiment du danger est grisant à qui se sait à l’abri ».

« Il avait traversé un océan et deux mers, il expérimentait les limites d’un monde, où l’évolution phénoménal des techniques, l’accroissement de la vitesse et des échanges, parallèlement et par une même logique, étranglaient les cœurs, amoindrissaient les âmes ».

Capitaine – Adrien Bosc – Editions Stock – Août 2018

« L’aube n’est que le début du jour ; le crépuscule en est une répétition » Claude Lévi-Strauss


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