Une noisette, un livre
Moronga
Horacio Castellanos Moya
Tous
les chemins mènent à Rome… ou à Chicago !
Deux
portraits se succèdent dans une histoire brutale pour cette société où tous les
coups sont permis ; José Zeledon, ex-guérillero et Erasmo Aragon,
professeur d’espagnol sont tous les deux salvadoriens, ont émigré vers les
Etats-Unis mais rien n’est simple quand le destin s’est acharné et que les
marques de violence sont des tatouages indélébiles dans le cerveau des écorchés.
La
première partie est comme un journal de bord, celui de José Zeledon, identité
reconstituée après avoir été lieutenant guerillero. Arrivé aux Etats-Unis
depuis plusieurs années, son récit commence à Merlow City, son nouveau lieu de
résidence, où il trouve un emploi comme chauffeur de bus scolaire grâce à un
contact avec un ancien « compañero ». Puis, au fil des rencontres, il
fait des extras comme chauffeur de taxi et à l’université pour contrôler les
échanges faits en espagnol. C’est là qu’il découvre l’existence d’un professeur
originaire du Salvador, Erasmo Aragon, qui enquête sur l’assassinat du poète
Roque Dalton. Entre-temps, il reprend contact avec « le vieux » qui
travaille toujours dans l’illégalité sur Chicago, en particulier autour des
armes et parle à son vieux copain de l’existence d’un certain Moronga…
La
deuxième partie est celle du récit du professeur Erasmo Aragon durant son court
séjour à Washington pour aller consulter les archives de la CIA et tenter de
découvrir la vérité sur la mort brutale du poète. Il loge dans une location
Airbnb, accueilli par le propriétaire qui a adopté deux enfants dont une
adolescente guatémaltèque au comportement terriblement agressif. Souffrant du
délit de la persécution, obsédé par le sexe et toutes ses pratiques, il est
sans cesse en perpétuel cheminement entre ses craintes et les velléités de sa
« moronga ».
« Moronga »
est un roman déconcertant sur la face cachée de l’âme humaine, ce côté obscur,
violent, qui va entraîner chacun des narrateurs dans une course contre lui-même,
une épopée moderne de Charybde en Scylla, catalysée par la gigantesque fracture
entre les deux Amériques,
l’anglo-saxonne et la latine. En transparence, apparait toute l’opacité des
dérives sécuritaires, des actions menées par les Etats-Unis envers le Mexique
et l’Amérique Centrale, l’esprit procédurier,
le pouvoir de l’argent et les fantasmes sexuels, comme, par exemple,
l’économie européenne qui pourrait, peut-être, dépendre de la qualité du
massage prostatique…
L’écriture
est rude, sans fioritures, crue, en particulier lorsque le professeur se
raconte ; mais lorsqu’un être est aussi convulsif, aussi parano, aussi
obnubilé (tant que ses neurones doivent avoir l’aspect phallique), on ne peut
s’attendre à ce qu’il s’exprime en alexandrins ou dans le style de Pierre de
Ronsard…
Une
fiction noire mettant en lumière toutes les ombres de l’humanité souterraine
qui gît dans trop de corps révoltés.
« Je ne sais pas si
c’est le cas pour tout le monde mais, moi, chaque fois que je prends une
initiative, je passe assez rapidement de l’enthousiasme du début au
découragement, sans étapes intermédiaires j’oscille d’un extrême à l’autre, et
ce que je commence avec une intense énergie se dégonfle d’un simple battement
de paupière, le doute permanent s’installe ».
Moronga – Horacio
Castellanos Moya – Traduction : René Solis – Editions Métailié – Août 2018
« Ceux qui sont
revenus de justesse.
Ceux qui ont eu un peu
de chance.
Les éternels
sans-papiers,
Bons à tout faire, tout
vendre, tout manger.
Les premiers à sortir la
lame,
Les tristes, les plus
tristes du monde,
Mes compatriotes,
Mes frères. »
Roque Dalton
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