Une noisette, un livre
Les nougats
Paul Béhergé
Gourmandise
quand tu nous tiens ! Ouvrir un livre qui a pour titre « Les
nougats », est un plaisir de fin gourmet, s’imaginer que les pages sont
caramélisées, les lignes dansant sur des noisettes. Tentation, tentation…
Bing !
On redescend de son arbre, car tout commence comme dans une confiserie où on
aurait glissé un éléphant, ex-vendeur en porcelaine reconverti en spectre
fantôme… Voyez le genre… On assiste soudainement à un match de foot où le
gardien de but, vêtu d’un imperméable (on ne sait jamais, parfois les coups
pleuvent) se concentre sur les cailloux de la pelouse (des galets sur une
pelouse ça tombe forcément à pic) tout en fouillant dans ses poches à la recherche
de ses nougats chéris… ce n’est pas tous les jours qu’on aura la chance
d’être spectateur d'une telle compétition d’anthologie !
Mais
revenons à la source du roman, en essayant d’être aussi limpide que l’eau
claire, même si la situation est un tantinet opaque. Deux protagonistes :
Paul Montès et Olivier Labrousse ou Olivier Labrousse et Paul Montès, l’un
voulant dépasser l’autre, mais l’autre étant toujours sur ses pas, genre
fox-trot néo-amical mais avec paso doble sanguinaire en deux temps trois
mouvements. Ils ne sont pas frères et n’ont pas d’amis ; l’un veut devenir
l’ami de l’autre mais l’autre n’a qu’une idée en tête : devenir célèbre. Un
remix de Caïn et Abel version XXI° siècle avec le nougat et un manuscrit qui
vont être aussi collants l’un que l’autre. Ajoutons que Paul est aussi maladroit
qu’Olivier est brutal, qu’Olivier est aussi intelligent qu’un paquet de
biscottes vide et Paul doté d’un génie qui dépasse les raisons.
Voilà
pour les présentations. Pour le contenant, c’est une odyssée contenue entre
Rambouillet et Manhattan avec quelques arrêts parisiens intra-muros ;
l’histoire de ce loser (Paul) face à un énergumène (Olivier), ce dernier reculant
devant aucun stratège pour lui piquer le manuscrit qui le conduira vers le
succès. On s'interroge si le récit ne va pas se terminer façon air de la
folie de Lucia di Lammermoor (Fuggita ia son da’ tuoi nemeci/Un gelo mi
serpeggia nel sen/Trema ogni fibre/Vacilla il piè… and son on) mais non, je
vous laisse (et sans collier) la découvrir… à se demander même si l’auteur n’en
fait pas un peu de trop…
Votre
serviteur n’a pu s’empêcher de faire une comparaison avec une autre histoire de
vol de manuscrit, tout aussi croustillante, celle de William Kotzwinkle
« L’ours est un écrivain comme les autres » mais en lieu et place du
miel et de la crème fouettée, ce sont les nougats qui obtiennent une haie d’honneur. Par le chemin de la farce
corrosive c’est tout une démonstration de la superficialité d’une société, du
narcissisme exacerbé, une féroce critique du monde « bien pensant »,
de l’aptitude de juger les gens sans les connaître ou que soudainement, une intelligentsia
pompeuse porte aux nues un individu et le glorifie même dans ses errances
incompréhensibles (cf la scène de conférence à Manhattan !).
Pour
alléger le tout, Paul Béhergé ajoute quelques tranches finement découpées de
psychanalyse en offrant (n’hésitez pas c’est gratuit) des cours peu
conventionnels sur l’amitié avec comme référence, s’il vous plait, Platon et
Socrate. Reste à savoir si Paul suit l’un des proverbes d’Aristote
« Amicus Olivier, sed magis amica veritas »… car le voleur deviendra
plus célèbre que le volé…
« Je
sais que si je le voulais, je pourrai toujours, bien sûr, mais je ne le fais
pas. Du reste, ça ne sert à rien de sucer, de frotter indéfiniment des cailloux
plats dans ses mains, ça ne mène à rien. Cela procure beaucoup de plaisir,
certes, mais le monde est-il fait pour le plaisir ? J’ai seulement gardé
cette habitude de guetter les petites masses qui peuplent le sol aux alentours
de la chaussée et, quand j’en vois un de très beau, je le mets dans ma poche
fissa. »
Les nougats – Paul
Béhergé – Editions Buchet Chastel – Août 2018-08-04
Livre reçu et lu dans le
cadre du Prix Littéraire de la Vocation 2018
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