Une noisette, un livre
Le sauvetage
Bruce Bégout
Edmund
Husserl est considéré par certains comme le plus grand philosophe apparu depuis
les Grecs. Fondateur de la « phénoménologie », déjà abordée par Kant
dans sa « Critique de la raison pure » et qui fait de l’étude du phénomène une
science, il a laissé un travail impressionnant à la postérité, ses archives
étant précieusement conservées à l’Université catholique de Louvain. Juif
converti au protestantisme, ses manuscrits ont failli être détruits à la veille
de la seconde guerre mondiale.
C’est
cette histoire de sauvetage que nous conte l’écrivain et philosophe Bruce
Bégout avec toute sa dextérité habituelle. Sa thèse avait d’ailleurs été
consacrée au philosophe allemand.
Leo
Van Breda, un jeune père franciscain part à Fribourg-en-Brisgau pour consulter
l’œuvre du philosophe allemand. Mais nous sommes en 1938. L’Allemagne vit au
rythme du nazisme, les juifs sont de plus en plus persécutés et la veuve
Husserl vit dans l’isolement le plus total. Lorsqu’il la rencontre, il décide
de sauver les manuscrits de feu son époux et c’est un long parcours, non sans
embûches, que le moine va parcourir. Le seul élément cocasse de l’histoire est
qu’il ne peut lire les écrits d’Husserl, tout ayant été rédigé en… sténo !
Si
le synopsis semble attractif, j’avoue avoir avancé un peu à reculons pour les
premières pages, mais progressivement l’intérêt est devenu grandissant que ce
soit sur le fond ou sur la forme (une forme même olympique pour l’auteur).
Si
Bruce Bégout a opté pour le genre romancé, il n’en demeure pas moins que c’est
une histoire authentique, tirée en grande partie d’un ouvrage collectif de Van
Breda. Ont été simplement ajoutés quelques personnages et des situations
fictives mais qui n’enlèvent rien à la rigueur historique, seul un peu de
piment est saupoudré.
La
forme est légère pour un sujet lourd (et pas seulement dû au poids des
manuscrits). L’humour de l’écrivain est décapant, sachant mettre des couleurs
vivantes sur le climat gris foncé cendré de cette Allemagne hitlérienne.
L’ensemble
est on ne peut plus instructif et j’ai particulièrement apprécié la narration,
l’analyse sur le sort de certains catholiques durant le III° Reich, c’est pour
ma part, un fait plutôt méconnu excepté quelques témoignages, et je découvre
que beaucoup de religieux (surtout ceux issus du petit clergé) ont été déportés
dans des camps de concentration. Effectivement, si on reprend quelques thèses,
Hitler ne voulait qu’une seule religion : la sienne ! C’est pourquoi
le moine franciscain fut suivi par un espion nazi, que l’on retrouve sous les
traits du déconcertant Lehmann…
Un
récit proche du thriller historique qui sait retracer l’ambiance méphitique de
cette période nazie où surgissaient quelques belles âmes pour sauver à la fois
des vies… et des écrits.
Le sauvetage – Bruce
Bégout – Editions Fayard – Août 2018
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