Une noisette, un livre
Le dernier été
Benedict Wells
Benedict
Wells est encore au cœur du romantisme allemand dans toute sa plus noble
définition : beauté et gravité. Une plume opulente pour âme tourmentée.
« Le
dernier été » est toute une saison livresque, des pages qui brillent,
d’autres se colorent, beaucoup s’endorment dans le froid pour que quelques unes
renaissent. De l’obscur, des affres, et, une éclaircie de temps à autre.
Le
rôle principal est celui de Robert Beck, professeur à Munich qui rêvait d’être
musicien professionnel mais dont l’espoir d’une carrière s’est réduit en peau
de chagrin. Il enseigne toutefois la musique à des élèves plus ou moins attentifs.
Un va retenir son attention : Rauli Kantas qui va s’avérer un petit
prodige. Originaire de Lituanie, ce qui reste de sa famille survit comme elle
peut ; toutefois le grand adolescent fait preuve d’une détermination
réelle et Monsieur Beck pense qu’il représente peut-être la chance de sa vie,
l’opportunité de prendre enfin un nouveau chemin, lui qui doute (euphémisme)
tant à l’aube de la quarantaine.
Seul
souci et il est de taille, le jeune garçon est une énigme totale :
mythomane, il ne cesse d’écrire, de griffonner sur des petits papiers jaunes et
a la faculté de disparaître et réapparaître soudainement. Tous les deux vont
parcourir une route semée de méandres et frôler le bord du précipice, le maître
traçant sa direction et son ambition dans le génie de l’élève…
Entre
temps, le lecteur fait connaissance avec Charlie, un géant afro-allemand, hypocondriaque,
ami musicien de Robert depuis des années. Il promène son désamour en rencontres
féminines d’un soir et se drogue en mélangeant les produits. Son amitié est par
contre solide comme un roc.
Seul
personnage féminin qui clôt ce quatuor : Lara. Robert la trouve jolie, pas
trop son genre mais pour la première fois il va tomber réellement amoureux et
découvrir autre chose qu’une relation charnelle éphémère. Seulement, le
pyrrhonisme rampe encore et toujours.
400
pages d’une abondance de faits, de situations, d’états d’âme, pas une seconde
pour souffler, tout est en abondance, les mots, les phrases ; les doutes
et les désespoirs ; les questions et l’imbroglio entre celui qui narre et
celui qui est raconté. La construction est celle d’un 33 tours, ces disques
vinyles qui semblent désormais avoir appartenu à une autre ère que la nôtre. Deux
faces avec un titre de chanson pour chaque chapitre, un opéra rock entre
guitare et notes rauques… La clef de toute cette gamme ne sera accessible qu’à
la fin de l’histoire.
Vaste
réflexion sur les indécisions de la vie, de cette fuite en avant pour éviter
l’avenir et ses inconnues, sur les mirages de l’alcool et de la drogue qui ne
font qu’accentuer le désarroi d’une énergie en manque d’opiniâtreté. Un
dialogue entre le réel et le songe résume probablement toute la conception du
roman et devient presque une feuille de route à accrocher sur l’arbre du
destin :
« «Vous êtes ici
parce que vous ne prenez pas de décision. Et c’est mauvais. Car si vous
n’agissez pas, la vie le fera pour vous. Et la vie prend souvent les mauvaises
décisions parce qu’elle punit les faibles et les pusillanimes. Le monde est
fait pour les audacieux, les autres se contentent de suivre le courant, la
plupart coulent (…) Vous réaliserez que c’est vous qui avez contraint la vie.
Vous n’avez qu’une chance ici-bas, vous le savez. Tout le monde connaît le
proverbe : « On n’a qu’une vie ». Alors si vous aimez cette
femme, suivez-là, où que ce soit. Et si vous aimez la musique, jouez-en,
qu’importe le succès que vous autres ou pas. Le reste viendra tout seul (…) les
gens bêtes compliquent tout. Les gens intelligents simplifient. Car le jour où
vous serez vieux, vous ne vous reprocherez certainement pas d’avoir passé trop
peu de temps au bureau. Mais vous vous reprocherez éternellement de n’avoir pas
assez aimé ou de n’avoir pas fait ce que vous vouliez vraiment. (…) ce qui
compte, ce sont les rêves et l’espoir de les réaliser. »
Le dernier été –
Benedict Wells – Traduction : Dominique Autrand – Editions Slatkine &
Cie – Août 2018
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