Souvenirs d'un médecin d'autrefois

jeudi 30 août 2018


Une noisette, un livre


 Mauvaise passe

Clémentine Haenel 


« Par moi l’on va dans la cité des peurs ; par moi l’on va dans l’éternelle douleur : vous qui entrez ici, laissez toute espérance ».
Cette phrase de « La divine comédie » aux portes de l’enfer aurait pu servir d’introduction pour ce premier roman de Clémentine Haenel, tant il y a de diabolisme dans cette écriture dantesque !

Evidemment, celui qui aime le très sucré, le sirupeux, une lecture comme une chanson douce, en garde à toi ! Car un œil noir te regarde, celui de la détresse, de l’obscur, du glauque, du désespoir ; rien d’un songe mais une danse quasi macabre des démons qui ne cessent d’évoluer dans l’encéphale de la narratrice.
Si on me disait que c’est Lucifer lui-même qui a tenu la plume, tout me porterait à le croire, tellement c’est un pandémonium de violence ; au diable la volupté, tout est noirceur et désœuvrement.

Tout commence à cause d’un X. Un homme. Une séparation qui va provoquer une aplasie de l’âme de la jeune femme, chaque pulsion qu’elle ressent est comme une envie de meurtre, de sang, de sexe dégoulinant. De X on passera par différentes lettres de l’alphabet pour terminer par celle qui peut redonner espoir, non pas un E mais un Z.
Z comme zébrure, du noir et blanc pour un être ayant perdu la couleur de la vie mais qui rêve encore un peu de nuancer les gris de la cendre enfoncée dans sa chair.
Tout le fil du récit est confus, de l’hôpital psychiatrique aux errances sur les toits, dans la rue, des médicaments à la recherche de la sortie du tunnel. Une confusion comme pour mettre le lecteur en immersion dans le mal-être de la jeune fille.

Un livre qui fait sortir de la zone de confort. Une claque. Pas une petite baffe, non, du brutal, du vif, pour écorcher les nerfs et montrer ce qu’est la désintégration. Sans aucune victimisation, sans aucune pudeur, juste des estocades comme pour transformer les pages en une catharsis. Et enfin voir des couleurs.

« Parler m’encombre. Sortir m’effraie. Je ne m’habille plus. Je ne me lave plus. Je n’écris plus. Je ne fais plus de théâtre. Je ne drague plus. Je ne baise plus. Je n’habite plus chez moi. Je ne ris plus. Je ne pleure plus. Je n’achète plus de pizzas. Je ne vais plus boire des coups. Je ne dessine plus. Je ne prends plus de photos. Tout dort. Je ne me maquille plus. Je n’achète plus de vêtements. Je dors ma vie. Je ne m’intéresse plus. M’en fous du monde, du cours des choses, de la politique, je ne travaille plus. C’est ça, c’est la démission. »

Mauvaise passe – Clémentine Haenel – Editions Gallimard, collection L’Arpenteur – Août 2018

Livre reçu et lu dans le cadre du Prix Littéraire de la Vocation 2018



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