Une noisette, un livre
Mauvaise passe
Clémentine Haenel
« Par
moi l’on va dans la cité des peurs ; par moi l’on va dans l’éternelle
douleur : vous qui entrez ici, laissez toute espérance ».
Cette
phrase de « La divine comédie » aux portes de l’enfer aurait pu
servir d’introduction pour ce premier roman de Clémentine Haenel, tant il y a
de diabolisme dans cette écriture dantesque !
Evidemment,
celui qui aime le très sucré, le sirupeux, une lecture comme une chanson douce,
en garde à toi ! Car un œil noir te regarde, celui de la détresse, de
l’obscur, du glauque, du désespoir ; rien d’un songe mais une danse quasi
macabre des démons qui ne cessent d’évoluer dans l’encéphale de la narratrice.
Si
on me disait que c’est Lucifer lui-même qui a tenu la plume, tout me porterait
à le croire, tellement c’est un pandémonium de violence ; au diable la
volupté, tout est noirceur et désœuvrement.
Tout
commence à cause d’un X. Un homme. Une séparation qui va provoquer une aplasie
de l’âme de la jeune femme, chaque pulsion qu’elle ressent est comme une envie
de meurtre, de sang, de sexe dégoulinant. De X on passera par différentes
lettres de l’alphabet pour terminer par celle qui peut redonner espoir, non pas
un E mais un Z.
Z
comme zébrure, du noir et blanc pour un être ayant perdu la couleur de la vie
mais qui rêve encore un peu de nuancer les gris de la cendre enfoncée dans sa
chair.
Tout
le fil du récit est confus, de l’hôpital psychiatrique aux errances sur les
toits, dans la rue, des médicaments à la recherche de la sortie du tunnel. Une
confusion comme pour mettre le lecteur en immersion dans le mal-être de la
jeune fille.
Un
livre qui fait sortir de la zone de confort. Une claque. Pas une petite baffe,
non, du brutal, du vif, pour écorcher les nerfs et montrer ce qu’est la
désintégration. Sans aucune victimisation, sans aucune pudeur, juste des
estocades comme pour transformer les pages en une catharsis. Et enfin voir des
couleurs.
« Parler
m’encombre. Sortir m’effraie. Je ne m’habille plus. Je ne me lave plus. Je
n’écris plus. Je ne fais plus de théâtre. Je ne drague plus. Je ne baise plus.
Je n’habite plus chez moi. Je ne ris plus. Je ne pleure plus. Je n’achète plus
de pizzas. Je ne vais plus boire des coups. Je ne dessine plus. Je ne prends
plus de photos. Tout dort. Je ne me maquille plus. Je n’achète plus de
vêtements. Je dors ma vie. Je ne m’intéresse plus. M’en fous du monde, du cours
des choses, de la politique, je ne travaille plus. C’est ça, c’est la
démission. »
Mauvaise passe –
Clémentine Haenel – Editions Gallimard, collection L’Arpenteur – Août 2018
Livre reçu et lu dans le
cadre du Prix Littéraire de la Vocation 2018
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