Une noisette, un livre
Réelle
Guillaume Sire
L’écran.
Cadran lumineux mais qui peut projeter des ombres désastreuses car tout ce qui
brille n’est pas or, surtout dans ce monde impitoyable de l’univers cathodique
en général et de la téléréalité en particulier.
La
famille Tapiro habite une ville de province sans rien de particulier dans la
vie. Un couple sans histoire avec deux enfants, Kevin et Johanna. La vie dans
l’appartement tourne autour de la télévision, rarement éteinte. Jeune
adolescente, Johanna rêve. Rêve d’une autre vie, plus confortable et surtout
rêve de devenir célèbre et côtoyer les people, dont Ophélie Winter pour qui la
jeune fille a une admiration absolue. En même temps, elle rêve de découvrir
l’amour, d’être aimée. Les premières expériences tant sur la recherche de la
gloire que de l’amour ne sont pas une réussite, mais elle persiste et finira
par obtenir le Graal (ou ce qu’elle suppose l’être) : une émission de
téléréalité calquée sur le phénomène « Big brother ». Le luxe s’offre
à elle avec toutes ses illusions. Dans le loft, elle entame une relation avec
un autre candidat qui semble plutôt éloigné du concept vu son côté romantique
et sa passion pour le Moyen Âge. Tout semble aller dans le meilleur des
mondes : elle laisse de côté son amie de toujours, participe à des
réceptions, rencontre Ophélie Winter en qui elle croit une amitié sincère et
durable. La poudre est jetée en quantité dans les yeux de la désormais jeune
femme. Mais, des ombres commencent à contourner les faisceaux lumineux, à
commencer par l’attitude de l’animateur Lastrada pour qui programme rime avec
scandale et vulgarité… évidemment toute ressemblance avec des personnages existants
ou ayant existé est purement fortuite…
Si
le sujet sur la soif de devenir célèbre a déjà été traité dans d’autres
ouvrages et romans (on pense de suite à « Génération spontanée (1) et,
plus récemment, « La fin des idoles (2) »), le style du récit est
assez original avec une vision très nette sur l’adolescence et ses aspirations.
Avec ce que peut produire comme ondes plus ou moins néfastes la presse people
et le clinquant des émissions ultra scénarisées.
Guillaume
Sire dresse un tableau sans concession des mirages qui foisonnent et des pactes
artificiels des Méphisto des temps modernes, ces chimères qui flirtent dans le
cerveau de la jeunesse rêvant à quitter leur situation banale et leur mal-être
quotidien, mal-être accentué par la machine à fabriquer des illusions… Avec en
prime, cette habitude, cette nécessité viscérale de vouloir devenir populaire.
Vaste
constat aussi de l’amour sans amour, de l’envie sans sentiments. Un livre
proche du pamphlet sur le tout superficiel, sur la fausse amitié, sur le profit
personnel, sur l’audace et l’opportunisme cannibale et qui au fil de la lecture
devient presque un manuel pour savoir raison garder. Et ainsi éviter d’être
projeté volontairement dans l’hadès de l’escalade méphitique de la téléréalité.
« Cette ambiance de
trahison augmenta l’intensité de la relation d’Edouard et Johanna. Ils avaient
du mal à se séparer, même pour une minute. Tout était fort entre eux et
insatisfaisant. Ils sentaient que le jeu qui les avait unis aurait tout aussi
bien pu les séparer, et que leur histoire était comme une quinte flush au
poker, un coup gagnant, mais rare, qui vous fera perdre la partie si vous ne
comptez que sur lui. »
Réelle – Guillaume Sire
– Editions de L’observatoire – Août 2018
(1) Génération spontanée – Christophe
Ono-Dit-Biot – Editions Pocket
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