Une noisette, un livre
Elsa mon amour
Simonetta Greggio
« Un vrai roman est
toujours réaliste, fût-ce le plus fabuleux ! Et tant pis pour les
médiocres qui ne savent pas reconnaître sa réalité. »
Elsa Morante
Elsa
mon amour pour un amour de livre. Comme une sensation de remonter le temps,
celui que l’on connait que par la littérature et le cinéma. Quand ces deux
formes d’art se rencontrent, s’unissent, c’est comme Elsa Morante :
prodigieux.
Romancière,
poète, traductrice, Elsa Morante a été éclipsée par son époux Alberto Moravia.
Un mépris peut-être… Pourtant, sa trace est indélébile, tant pour sa
« Storia » que pour son tempérament et caractère de feu ; l’Italie
et ses belles lettres, l’Italie et ses amours tumultueuses, l’Italie dans toute
sa grandeur mais pas que celle de la « dolce vita ».
Simonetta
Greggio relate avec dextérité ce personnage hors-norme, le roman d’une vie mais
avec la réalité d’un destin. Elsa Morante c’est déjà une naissance mystérieuse,
différente. Un père géniteur qui lui donnera des frères et sœurs mais qui ne
les reconnaîtra jamais, un autre homme le fera à sa place. Avec sa mère, c’est
un peu « je t’aime moi non plus » comme ce le sera avec ses amours
successives : son mari, Alberto Moravia, et ses amants, Luchino Visconti et
Bill Morrow, entre autres. Le seul amour qui restera unique et sans faille sera
celui pour les animaux : « nos
animaux familiers sont des anges déguisés venus sur terre pour nous apprendre
la douceur. »
Elsa,
c’est aussi un portrait de femme, de femme libre qui veut vivre comme elle
l’entend et quelle que soit sa situation financière ; de pauvre elle
deviendra riche avant de terminer dans la déchéance. Elle aura connu les
privations, l’exil, le luxe, le désespoir d’une fin de vie. Mais jamais elle
reniera ses convictions.
A
travers cette figure de la littérature, c’est l’histoire d’un pays que l’on
feuillette, entre son foisonnement artistique et sa misère politique. Et
soudain penser que le passé est terriblement d’actualité… En rien un mensonge,
ni un sortilège…
Pour
paraphraser son auteure, je dirai qu’Elsa mon amour et une stellaire lecture
qui nous fait dieux… comme l’écoute d’un concerto de Mozart.
« Que reste-t-il de
l’enfance, si ce n’est une passerelle magique jetée entre les deux rivages d’une
vie, pour peu qu’on ait le courage d’imaginer qui on est, qui on veut être. Qui
on a été.»
« Qui est
normal ? Qui ne l’est pas ? Ne faisons-nous pas semblant, au fond de
nous-mêmes, de trouver le monde ordinaire, alors que nous sommes tous
parachutés d’on ne sait où vers l’inconnu, traversant quelque chose qui
s’appelle l’existence, et nous avons si peur que nous nous accrochons à la
« normalité », ce code qui est comme un fil d’eau glacé sur lequel
nous marchons un pied après l’autre tandis que, devant et derrière nous, nos
semblables sont aspirés par le vide, jusqu’à ce que notre tour arrive. »
« Depuis, j’ai
appris. Un bol réparé est plus beau qu’un bol intact. Le charme d’un objet
fêlé, plus troublant que celui d’un objet lisse et neuf. Il faut du courage
pour montrer nos fractures, pour y fondre un matériau précieux et faire de la
douleur une ligne de lumière. »
« Le hasard, c’est
un écheveau de fils invisibles à nos yeux. Il tresse nos existences à notre
insu. De temps à autre, un point carmin remonte à la surface, puis se renforce
dans les mailles de l’inconnu. »
Elsa mon amour –
Simonetta Greggio – Editions Flammarion – Août 2018
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