Une noisette, un livre
Harry et Franz
Alexandre Najjar
Il
a arpenté les plus célèbres planchers des théâtres parisiens, il a interprété
des dizaines de rôles au cinéma, d’Arsène Lupin à Beethoven en passant par le
commissaire Maigret, il a été flic, juge (Crime et châtiment), Jean Valjean…
prisonnier aussi. Jusqu’à ce jour de 1942 où la Gestapo le jette en prison,
suite à une dénonciation prétextant des origines juives. Alors que peu de
temps avant, il avait tourné en Allemagne. Sa dernière prestation a été de jouer
la réalité et de subir les tortures de l’occupant nazi. Il s’appelait Harry
Baur.
Dans
les sinistres murs de la "forteresse" du Cherche-Midi, Harry Baur, comme beaucoup
d’autres condamnés, va faire la connaissance d’un allemand. Oui, un allemand
qui visite les détenus et essaie de redonner un peu de vie dans cet univers de
mort. Il est prêtre, il est Franz Stock.
C’est
une histoire oubliée, des personnes dont le nom et la bravoure restent dans
l’univers des effacés. Trop. Alexandre Najjar, par la voix du roman, remet en
lumière ces deux belles âmes qui sont un exemple de tolérance et d’amitié entre
les peuples, et ce, même dans l’enfer de l’inhumanité.
Par
une plume absolument magnifique, l’auteur retrace les sombres heures de
l’occupation et de la France vichysiste : les rumeurs, les dénonciations,
la torture, les exécutions au Mont-Valérien, le désarroi des prisonniers, des
condamnés. "Jugés" pour rien, pour du néant, parce que différent, parce que
la notion de race est omniprésente, parce le seul fait d’être juif (ou
soupçonné de l’être) faisait de l’humain un parasite… Et que dire du sort
réservé à ceux qui osaient défier, résister à ces lois scélérates…
Un
bel hommage à cet allemand qui luttait en silence et, comme il le pouvait, contre
le pouvoir en place dans son pays et ailleurs. Il n’a jamais accepté de se
soumettre aux théories nazies, aux exigences de ses supérieurs malgré le
danger, il avait beau être prêtre catholique, il pouvait être envoyé du jour au
lendemain dans un camp de concentration ou être fusillé. Comme ces centaines de
prisonniers assassinés au mont Valérien. Une épreuve à chaque fois pour Franz
Stock ; recueillir leurs dernières volontés, tenir entre ses mains les
lettres déchirantes d’adieu, les voir tomber l’un après l’autre devant le
peloton d’exécution. Il n’a pu en sauver que quelques
uns. A chaque fois, il notait les noms et l’emplacement des sépultures pour que
les familles puissent retrouver les corps.
L’auteur
a imaginé un journal de bord ainsi que les conversations avec Harry Baur. Comme
si la parole de l’au-delà dirigeait sa plume pour faire renaître la foi d’un
homme et l’épuisement d’un innocent. Formidable hymne à la réconciliation, à la
fraternité ; l’amour du prochain plus fort que la haine.
Harry
Baur ne survivra que quelques mois après sa libération, le traitement infligé
ayant anéanti ses fonctions vitales et psychiques. Quant à Franz Stock, il meut
d’épuisement en 1948 après avoir été nommé responsable du « séminaire des
barbelés ». Mais il reste une admirable histoire d’amitié, de compassion,
de courage dans l’univers de l’injustice des dictatures, de l’intolérance et
des guerres iniques. Un exemple de bravoure.
« Ne jamais
sous-estimer le pouvoir des mots sur le moral des êtres. »
« Les rumeurs sont
comme les virus : elles se répandent et contaminent la société tout
entière, sans qu’on puisse les circonscrire ni les éradiquer. »
Harry et Franz –
Alexandre Najjar – Editions Plon – Août 2018
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