Une noisette, un livre
L’évangile selon Youri
Tobie Nathan
Il
était une fois une jolie fable avec des étoiles plein les yeux parce qu’un
petit magicien tourne dans un livre ouvert, celui où les pages s’envolent,
brillent, parlent, bougent, remuent, papillonnent. On aurait presque peur que
d’un seul coup elles partent, où que l’encre s’efface.
Ce
petit prestidigitateur des âmes s’appelle Youri. Il est roumain, fruit d’un
amour adolescent entre un juif et une gitane. Il n’a jamais connu son père et
quittera ses forêts natales avec sa mère lorsque le grand-père maternel passera
de vie à trépas. Ils arrivent tous les deux en France, bientôt sa mère Moïra
décèdera aussi, après avoir raconté son épopée et l’histoire de sa grossesse.
Accueilli
dans un centre d’ethnopsychiatrie au cœur de Paris dans le quartier des
Pyramides, comme si on amenait le lecteur dans un premier pas vers une divinité
égyptienne, c’est Elie, en retraite active pour ne pas sombrer, qui
« adoptera » l’enfant, surpris par ce petit bonhomme étrange, au
regard perçant, à la chevelure indomptable et à ses facultés de tout voir, de
tout prévoir. Ce psy pas comme les autres et, disons, désabusé, va aller de
surprises en surprises avec cet être hors du commun, tant, qu’il se pourrait
que Youri soit un nouveau dieu, un dieu à l’Antique, capable de se transformer
et de guider les gens, comme une célèbre déesse aux yeux pers…
Mais
Elie n’est pas le seul à être subjugué par cet énigmatique personnage, il y a
aussi Samuel, le fripier insolite, le poète du quartier Mouffetard et ses vers
qui ruissellent, le « Old-new-Sex » qui a supprimé la notion de
chasteté du dictionnaire, Sabrina et sa famille déracinée, l’étrange Avril qui
communique par la pensée avec Youri, et, sans oublier un Président de la République
(toute ressemblance avec des personnes ayant existé…).
Par
le biais d’un divin conte, Tobie Nathan manie délicatesse, magie et vérité ; une
triade, non pas capitoline, mais pourquoi pas « yourine », qui permet
de transcrire le travail de ceux qui tentent d’apporter de l’aide à tous ces
naufragés, ces déracinés de l’existence, ces blessés du destin. D’un mineur
étranger sans papiers, on découvre un prodige des souffles de vie, et
effectivement, « il faut prendre
garde aux étrangers ; parmi eux se cachent des êtres d’exception ».
A
côté de l’histoire, une brillante écriture illumine le récit, celle où domine
la poésie « la poésie, voyez-vous,
est l’espace où les mots agissent sur le monde. Du grec poiêsis, qui signifie agir » ; celle où les
sentiments prennent un chemin vieux comme le monde mais qui peut guérir de
tout : l’amour. Autour de tout son éventail de synergies.
« Pendant deux ans,
ils se sont aimés d’un érotisme sans puberté. Ils se suivaient, comme ombre et
lumière. »
« Les gens
changent, leurs habitudes, leurs objets aussi. Mais les lieux diffusent les
mêmes magnétismes au travers des temps, les mêmes flux, les mêmes angoisses,
les mêmes apaisements, c’est pourquoi il faut chercher plus profondément,
jusqu’au noyau du monde. »
« Les âmes
s’attirent comme des aimants, invisible fluidité des rencontres au-delà des
temps, des langues et des pays. Les âmes s’engendrent de ces rencontres, se
multiplient de ce scintillement qui les féconde. Les âmes jamais ne sommeillent,
qui s’élèvent à chacun de leurs accouplements, qui, une fois assemblées,
s’élèvent encore, jusqu’au soleil. »
« Quelque chose en
moi m’assure que le destin expédie des signes qu’il faut saisir. Je suis comme
ça. Au fur et à mesure du temps, j’ai appris à ne pas contrarier ma
nature. »
L’évangile selon Youri –
Tobie Nathan – Editions Stock – Août 2018
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire