Une noisette, un livre
Ça raconte Sarah
Pauline Delabroy-Allard
Ce
ne sont pas des mots, ce sont des notes. Ce ne sont pas des phrases mais des
portées, « Ça raconte Sarah, est toute l’âme du violon, l’amour et sa
caisse de résonnance, ses vibrations, un archet cambré qui caresse les cordes
de la passion
C’est
un opéra en deux actes avec un prologue comme une scène finale. Une tragédie
digne des splendeurs de l’Antiquité, drame éternel de l’amour, de la passion,
de la mort.
Ça
raconte Sarah est l’histoire d’une jeune maman professeure qui, un soir de
décembre, rencontre lors d’une soirée, une femme violoniste pas comme les
autres. Elle est déconcertante de vie, d’allégresse ; elle est différente.
Leurs regards se croisent, elles se retrouvent autour d’un café, se revoient
lors d’un concert. Elles deviennent amies. Ni l’une ni l’autre n’ont connu
l’amour avec une femme et pourtant va naître entre elles une passion saphique,
à la fois tumultueuse et impétueuse. Le premier acte est par définition
l’ivresse absolue entre érotisme envoutant et envolées lyriques. Su fond de Beethoven,
Mendelssohn, Schubert ; partition livresque absolue.
Mais,
la maladie va s’abattre sur la « Dame aux magnolias » et de là, c’est
une folie progressive qui s’installe pour l’âme qui se retrouve perdue sans ce
sourire, sans ce corps, sans cette musique. Une fuite vers l’Italie compose le
deuxième acte jusqu’à la scène finale, à la fois grandiose et si intimiste.
C’est
un roman qui va au-delà de l’amour, il transperce comme une ligne sacrée
qu’aurait dessinée, non pas l’épée de l’archange, mais la lyre d’Eros dans une
essence subtile de volupté. Mais c’est aussi, une œuvre romantique, entre les
tourments de la passion, les vertiges incontrôlables, la vésanie comme
triomphatrice.
S
comme Sarah, que la narratrice associe au S du soufre, cet élément associé au
feu, qui brûle et qui fait suffoquer. Ce soufre qui est dans le corps ce que le
soleil est à l’univers. Il est lumière mais peut se consumer et tuer.
S
comme Sarah, c’est aussi celui du souffle. Le lecteur le retient pour mieux
s’immiscer dans cet ouragan de femme, de la brise au zéphyr.
Souffle de la plume qu’a tenu Pauline Delabroy-Allard, pour sa créativité
inspirée par le rythme des mots et la forme originale d’une histoire qui aurait
pu être banale mais qui est devenue exaltante.
S
comme Sarah et S comme spiccato, des mouvements lents mais qui d’un seul coup
peuvent prendre de la vitesse, peuvent se fondre dans une forme scripturale à
l’image de l’héroïne : allegro, doloroso, fortissimo, vivace…lagrimoso.
Mais toujours ad libitum !
Un
roman écrit à « l’encre vénitienne ». Vissi d’arte, vissi d’amore.
« La latence, c’est
le temps qu’il y a entre deux grands moments importants. »
« Elle est surprise
de l’obsession que je nourris immédiatement pour cet octuor, de mon désir de
l’écouter toujours en boucle s’il le faut, d’en écouter tous les
enregistrements existants. Elle ne sait pas que la voir jouer le quatrième
mouvement a été une des plus belles choses de ma vie. Elle ignore tout de mes
paumes fiévreuses, de mon pouls qui palpite, des voix cotonneuses. Et d’un
coup, le silence, la lumière vive, sur scène, la lumière crue, cruelle. Le
moment suspendu, dans le noir d’un coup, dans le silence d’un coup. Et rien. Pendant
quelques instants, rien. Sauf mon pouls qui palpite. Et puis elle entre, sur
scène. Tous, autour de moi, tous ils applaudissent. Je n’entends rien. Je la
regarde. Sa robe longue. L’éclat de ses boucles d’oreilles. La lueur de ses
incisives. Mon vampire. So violon. Son chignon. Son air lointain. Mon souffle
destitué. La partition qu’elle ouvre (…) Ce n’est plus son violon, c’est elle
qui chante. Je voudrais que ça dure cent ans, comme dans les contes, que ça ne
cesse jamais (…) Ce sont les dernières mesures, elle se dresse, elle se cabre,
elle devient titan. Tout vibre, tout explose. Avec ses seins orgueilleux, elle
parade et elle triomphe. Elle a l’allure de ceux qui se mettent en chemin. Elle
s’en va t-en-guerre. Ne sait quand reviendra. »
Ça raconte Sarah –
Pauline Delabroy-Allard – Editions de Minuit – Septembre 2018
Livre lu et reçu dans le
cadre du Prix Littéraire de la Vocation 2018
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