Souvenirs d'un médecin d'autrefois

jeudi 6 septembre 2018


Une noisette, un livre


 Ça raconte Sarah

Pauline Delabroy-Allard




Ce ne sont pas des mots, ce sont des notes. Ce ne sont pas des phrases mais des portées, « Ça raconte Sarah, est toute l’âme du violon, l’amour et sa caisse de résonnance, ses vibrations, un archet cambré qui caresse les cordes de la passion
C’est un opéra en deux actes avec un prologue comme une scène finale. Une tragédie digne des splendeurs de l’Antiquité, drame éternel de l’amour, de la passion, de la mort.

Ça raconte Sarah est l’histoire d’une jeune maman professeure qui, un soir de décembre, rencontre lors d’une soirée, une femme violoniste pas comme les autres. Elle est déconcertante de vie, d’allégresse ; elle est différente. Leurs regards se croisent, elles se retrouvent autour d’un café, se revoient lors d’un concert. Elles deviennent amies. Ni l’une ni l’autre n’ont connu l’amour avec une femme et pourtant va naître entre elles une passion saphique, à la fois tumultueuse et impétueuse. Le premier acte est par définition l’ivresse absolue entre érotisme envoutant et envolées lyriques. Su fond de Beethoven, Mendelssohn, Schubert ; partition livresque absolue.
Mais, la maladie va s’abattre sur la « Dame aux magnolias » et de là, c’est une folie progressive qui s’installe pour l’âme qui se retrouve perdue sans ce sourire, sans ce corps, sans cette musique. Une fuite vers l’Italie compose le deuxième acte jusqu’à la scène finale, à la fois grandiose et si intimiste.

C’est un roman qui va au-delà de l’amour, il transperce comme une ligne sacrée qu’aurait dessinée, non pas l’épée de l’archange, mais la lyre d’Eros dans une essence subtile de volupté. Mais c’est aussi, une œuvre romantique, entre les tourments de la passion, les vertiges incontrôlables, la vésanie comme triomphatrice.

S comme Sarah, que la narratrice associe au S du soufre, cet élément associé au feu, qui brûle et qui fait suffoquer. Ce soufre qui est dans le corps ce que le soleil est à l’univers. Il est lumière mais peut se consumer et tuer.
S comme Sarah, c’est aussi celui du souffle. Le lecteur le retient pour mieux s’immiscer dans cet ouragan de femme, de la brise au zéphyr. Souffle de la plume qu’a tenu Pauline Delabroy-Allard, pour sa créativité inspirée par le rythme des mots et la forme originale d’une histoire qui aurait pu être banale mais qui est devenue exaltante.
S comme Sarah et S comme spiccato, des mouvements lents mais qui d’un seul coup peuvent prendre de la vitesse, peuvent se fondre dans une forme scripturale à l’image de l’héroïne : allegro, doloroso, fortissimo, vivace…lagrimoso. Mais toujours ad libitum !

Un roman écrit à « l’encre vénitienne ». Vissi d’arte, vissi d’amore.

« La latence, c’est le temps qu’il y a entre deux grands moments importants. »

« Elle est surprise de l’obsession que je nourris immédiatement pour cet octuor, de mon désir de l’écouter toujours en boucle s’il le faut, d’en écouter tous les enregistrements existants. Elle ne sait pas que la voir jouer le quatrième mouvement a été une des plus belles choses de ma vie. Elle ignore tout de mes paumes fiévreuses, de mon pouls qui palpite, des voix cotonneuses. Et d’un coup, le silence, la lumière vive, sur scène, la lumière crue, cruelle. Le moment suspendu, dans le noir d’un coup, dans le silence d’un coup. Et rien. Pendant quelques instants, rien. Sauf mon pouls qui palpite. Et puis elle entre, sur scène. Tous, autour de moi, tous ils applaudissent. Je n’entends rien. Je la regarde. Sa robe longue. L’éclat de ses boucles d’oreilles. La lueur de ses incisives. Mon vampire. So violon. Son chignon. Son air lointain. Mon souffle destitué. La partition qu’elle ouvre (…) Ce n’est plus son violon, c’est elle qui chante. Je voudrais que ça dure cent ans, comme dans les contes, que ça ne cesse jamais (…) Ce sont les dernières mesures, elle se dresse, elle se cabre, elle devient titan. Tout vibre, tout explose. Avec ses seins orgueilleux, elle parade et elle triomphe. Elle a l’allure de ceux qui se mettent en chemin. Elle s’en va t-en-guerre. Ne sait quand reviendra. »

Ça raconte Sarah – Pauline Delabroy-Allard – Editions de Minuit – Septembre 2018

Livre lu et reçu dans le cadre du Prix Littéraire de la Vocation 2018



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