Une noisette, un livre
Un problème avec la
beauté
Delon dans les yeux
Jean-Marc Parisis
Alain
Delon. Une gueule. Un guépard. Un samouraï. Dans les années 50, le monde
découvre un nouvel éphèbe, le maniement des armes se fera en Indochine, à
Saïgon. Pas pour très longtemps… L’examen final sera sa capacité à se faire un
nom dans cette apparence d’Appollon.
L’écrivain
et journaliste Jean-Marc Parisis signe une biographie inclassable d’Alain
Delon, jamais sous la forme d’une fiction mais avec une originalité qui donne
l’impression que les pages qui se tournent sont des rushs nécessitant aucun
montage, du pris sur le vif pour un personnage qui ne laisse personne
indifférent, pour le meilleur et pour le pire. Ou inversement.
De
l’enfance au crépuscule de sa carrière, on remonte le fil du temps de celui qui
n’a jamais été « comédien mais acteur ». Caractère indéfinissable,
tempérament paradoxal, soufflant dans les ombres pour éviter la lumière tout en
la retenant pas dessus tout. C’est un passage à Cannes, la rencontre avec
l’autre star de l’époque, Jean-Paul Belmondo, les premières amours et la
rencontre avec la fine fleur de la réalisation : Marc Allégret, René
Clément, Luchino Visconti, Henri Verneuil…L’indomptable Delon laisse des
traces, veut jouer mais ne veut pas être dirigé car il considère chaque rôle
comme une vie. Ce qui entraînera forcément des incompris, des ruptures, comme
avec Jean-Pierre Melville, pour qui, pourtant, Alain Delon conservera un
immense souvenir et sera bouleversé lors du décès du cinéaste.
On
est loin de la biographie sur ragots et rumeurs, on perçoit un homme bien plus
sensible qu’il ne veut paraître, identité complexe voire inextricable tel un
dédale, comme si chaque cellule de son esprit était sans issue…Aucune
flagornerie, ni dédain, juste une vision objective, de ses échecs et de ses
succès, de ses prises de position qui parfois se contredisaient, comme celle
sur l’homosexualité, la qualifiant de « contre-nature » alors que
quelques décennies auparavant il déclarait « qu’en amour tout est
permis » lorsqu’on lui posait une question sur les relations amoureuses
entre hommes…
L’ouvrage
porte de longs chapitres sur l’affaire qui marquera la France post 68 :
celle de l’assassinat de Stevan Markovic, ami et salarié du couple Delon.
Au-delà de la suspicion autour de l’acteur et de l’incarcération d’un autre ami
du milieu, François Marcantoni, c’est une violente cabale qui atteint
l’ex-premier et futur candidat à la Présidence de la république : Georges
Pompidou, avec des rumeurs pestilentielles sur son épouse Claude. Delon devra
affronter un marathon judiciaire pendant que le couple Pompidou gardera la tête
haute dans une dignité absolue. On songe soudainement, ce qu’aurait été
l’affaire si les réseaux sociaux avaient existé à l’époque…
Impossible
d’évoquer Delon sans parler de Romy Schneider et Mireille Darc, et, sur un ton
emprunt de déférence pour les deux actrices légendaires. Amours qui ont eut une
fin mais une amitié sans limites jusqu’au dernier souffle de vie pour chacune ; les témoignages retranscris permettent d’adoucir certains propos racontés ici
et là.
Reste
le titre du récit qui en est le fil conducteur : la beauté. Un visage
d’une esthétique inouïe, un regard d’azur, un sourire renversant, une démarche
à faire chavirer une statue de marbre…Une belle gueule qui a été un atout mais
aussi un écueil. Admiration versus détestation. Rien de plus subjectif que la
beauté et de plus assourdissant, un luxe pouvant devenir un cadeau empoisonné…
Ajouter une attitude parfois plus que déconcertante, blessante, provocante, il
n’en faut pas moins pour s’attirer les foudres, non pas du ciel, mais des âmes
humaines. Delon a dû, durant toute sa carrière, prouver qu’il n’était pas qu’un
visage de camée, mais aussi un personnage, ou plutôt, des personnages, glorieux
ou paumés ; mais à chaque fois le public l’attendait dans un rôle noble,
tous ceux qu’il a interprété à contre-courant ont été des échecs ou
quasi-échecs… Etiquette quand tu nous tiens… !
« A un moment,
Mercader (L’assassinat de Trotsky de Joseph Losey) contemple des fresques de
Diego Rivera, pendant que son acolyte, lancé dans une théorie sur l’art, guette
un commentaire de sa part. Mutique, Mercader s’absorbe dans les lignes et la
couleur, à la manière dont Delon contemplerait ses Delacroix, Millet, Corot. La
peinture imposait le silence, renvoyait le langage à sa substance vaine,
pathétique. La peinture sauvait l’homme de la parole, du malentendu, de la
trahison. Seul comptait vraiment ce qui s’échangeait, se formulait sur l’axe du
regard, ce qui se touchait, se formulait avec les yeux, ou alors avec les
mains, comme les bronzes de Rembrandt, Bugatti, qui sculptait des chiens, des
fauves, autant d’amis. Bugatti aurait pu être son ami, un rôle aussi. »
Un problème avec la
beauté, Delon dans les yeux – Jean-Marc Parisis – Editions Fayard – Août 2018
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