Souvenirs d'un médecin d'autrefois

dimanche 2 septembre 2018


Une noisette, un livre


 Dix-sept ans

Eric Fottorino




Dix-sept ans. Dans les rues de Nice, une jeune femme, Lina Labrie, aurait pu murmurer entre ses lèvres : « dans les rues de la haute ville/j’ai vu mon destin difficile/je devais pour arriver/serrer les poings bien des années/lançant des pierres contre le vent/J’ai fait des rêves de géant/je suis devenue forte/à dix-sept ans ». Un peu plus bas, son fils aurait entendu cette voix, cette voix qui aurait levé le voile sur l’opacité d’une relation.

France. Années 1960. Une jeune femme met au monde un petit garçon, Eric, de père inconnu selon l’état civil. Elle a dû quitter la région bordelaise pour la Riviera, là où on ne la connait pas, un enfant sans père, c’est forcément la honte dans cette France bien-pensante… Sa mère l’enfonce dans des concepts religieux et souhaiterait qu’elle abandonne l’enfant. Elle le gardera. Et il grandira…

Hélas, il grandira sans comprendre cette mère qui lui semble être une inconnue, pris dans l’étau de deux pères, le géniteur (quasi inconnu) et l’adoptif, allant volontiers dans le giron de sa grand-mère. Pour lui Nice est également un mystère, il y est né mais n’y a jamais vécu, n’a jamais rejoint sa mère quand elle s’est établie quelques années dans la cité qui longe la baie des Anges.
Mais un dimanche de décembre tout bascule. La maman Lina invite chez elle ses trois fils, Eric, François, Jean et leur famille respective. Soudain, elle leur révèle un terrible secret : deux ans après la naissance d’Eric, elle a mis au monde une petite fille, arrachée de ses bras dès le premier souffle de vie. Un bébé volé avec la bénédiction des religieux qui allaient la donner à une famille « dans le besoin ». Son péché de « fille perdue » était ainsi un peu pardonné… Ad nauseam.

C’est ainsi qu’Eric décide quelques jours plus tard de partir à Nice pour tenter d’en savoir plus sur sa naissance, sur sa mère. De la Prom aux vieilles ruelles c’est une immersion dans la recherche de souvenirs inexistants mêlés aux regrets, à la culpabilité de n’avoir su aimer davantage sa mère, de n’avoir pas deviné ce qu’elle avait subi sans jamais imaginer l’incroyable amour qu’elle portait pour son fils aîné.

Comment définir cette lecture d’une beauté infinie, tant pour les sentiments, l’amour qu’elle dégage que pour l’écriture d’Eric Fottorino, écriture éblouissante de style et d’élégance.
Ce n’est pas un cri d’amour, c’est un chant avec des notes graves sur le passé envolé, des notes aigues sur la douleur de n’avoir pu répondre à tant d’affection ; ce sont des notes douces au phrasé mirifique pour le bonheur retrouvé, pour cette nouvelle naissance de tendresse gigantesque entre un fils et sa mère, entre une mère et son fils.

Un récit sans aucun doute cathartique dans toute la noblesse du terme. Car il y a de la violence dans cette histoire, pas une violence brutale mais une violence lancinante, rampante, silencieuse… elle finira par s’estomper pour laisser place à la vérité, au dialogue grâce au courage. Un moment d’intimité pour un grand livre d’humanité sur la transmission de l’amour dans toute son authenticité. Pudiquement émouvant. Emotionnellement pudique.

« La honte n’est pas très bavarde. Elle vous rentre les mots dans la gorge jusqu’à vous étoffer. »

« Il était temps de rembobiner le temps. »

« Deux pères ont effacé une mère comme un drame peut en cacher un autre. »

« La lumière paisible du soir me rendait léger. Un à un les lampadaires se sont allumés. On aurait cru ces bougies magiques sur les gâteaux d’anniversaire, dont la flamme renaît chaque fois qu’on l’éteint. »

Dix-sept ans – Eric Fottorino – Editions Gallimard – Août 2018


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