Une noisette, un livre
Dix-sept ans
Eric Fottorino
Dix-sept
ans. Dans les rues de Nice, une jeune femme, Lina Labrie, aurait pu murmurer
entre ses lèvres : « dans les rues de la haute ville/j’ai vu mon
destin difficile/je devais pour arriver/serrer les poings bien des
années/lançant des pierres contre le vent/J’ai fait des rêves de géant/je suis
devenue forte/à dix-sept ans ». Un peu plus bas, son fils aurait entendu
cette voix, cette voix qui aurait levé le voile sur l’opacité d’une relation.
France.
Années 1960. Une jeune femme met au monde un petit garçon, Eric, de père
inconnu selon l’état civil. Elle a dû quitter la région bordelaise pour la
Riviera, là où on ne la connait pas, un enfant sans père, c’est forcément la
honte dans cette France bien-pensante… Sa mère l’enfonce dans des concepts
religieux et souhaiterait qu’elle abandonne l’enfant. Elle le gardera. Et il
grandira…
Hélas,
il grandira sans comprendre cette mère qui lui semble être une inconnue, pris
dans l’étau de deux pères, le géniteur (quasi inconnu) et l’adoptif, allant
volontiers dans le giron de sa grand-mère. Pour lui Nice est également un
mystère, il y est né mais n’y a jamais vécu, n’a jamais rejoint sa mère quand
elle s’est établie quelques années dans la cité qui longe la baie des Anges.
Mais
un dimanche de décembre tout bascule. La maman Lina invite chez elle ses trois
fils, Eric, François, Jean et leur famille respective. Soudain, elle leur
révèle un terrible secret : deux ans après la naissance d’Eric, elle a mis
au monde une petite fille, arrachée de ses bras dès le premier souffle de vie.
Un bébé volé avec la bénédiction des religieux qui allaient la donner à une
famille « dans le besoin ». Son péché de « fille perdue »
était ainsi un peu pardonné… Ad nauseam.
C’est
ainsi qu’Eric décide quelques jours plus tard de partir à Nice pour tenter d’en
savoir plus sur sa naissance, sur sa mère. De la Prom aux vieilles ruelles
c’est une immersion dans la recherche de souvenirs inexistants mêlés aux
regrets, à la culpabilité de n’avoir su aimer davantage sa mère, de n’avoir pas
deviné ce qu’elle avait subi sans jamais imaginer l’incroyable amour qu’elle
portait pour son fils aîné.
Comment
définir cette lecture d’une beauté infinie, tant pour les sentiments, l’amour
qu’elle dégage que pour l’écriture d’Eric Fottorino, écriture éblouissante de
style et d’élégance.
Ce
n’est pas un cri d’amour, c’est un chant avec des notes graves sur le passé
envolé, des notes aigues sur la douleur de n’avoir pu répondre à tant
d’affection ; ce sont des notes douces au phrasé mirifique pour le bonheur
retrouvé, pour cette nouvelle naissance de tendresse gigantesque entre un fils
et sa mère, entre une mère et son fils.
Un
récit sans aucun doute cathartique dans toute la noblesse du terme. Car il y a
de la violence dans cette histoire, pas une violence brutale mais une violence
lancinante, rampante, silencieuse… elle finira par s’estomper pour laisser
place à la vérité, au dialogue grâce au courage. Un moment d’intimité pour un
grand livre d’humanité sur la transmission de l’amour dans toute son
authenticité. Pudiquement émouvant. Emotionnellement pudique.
« La honte n’est
pas très bavarde. Elle vous rentre les mots dans la gorge jusqu’à vous
étoffer. »
« Il était temps de
rembobiner le temps. »
« Deux pères ont
effacé une mère comme un drame peut en cacher un autre. »
« La lumière
paisible du soir me rendait léger. Un à un les lampadaires se sont allumés. On
aurait cru ces bougies magiques sur les gâteaux d’anniversaire, dont la flamme
renaît chaque fois qu’on l’éteint. »
Dix-sept ans – Eric
Fottorino – Editions Gallimard – Août 2018
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