Une noisette, un livre
La marcheuse
Samar Yazbek
Toi
Rima, la marcheuse, l’adolescente vivante au milieu des cendres, tu es le
courage au milieu d’un pays en ruines. Ton pays, la Syrie, l’un des berceaux de
la civilisation est en lambeaux, tes pieds te portent vers la marche mais pour
aller vers où, vers quelle lumière encore possible dans cet enfer où même
bientôt il n’y aura plus d’insectes tellement la mort est lâchée en bombes…
Rima, j’ai honte de trembler à tes pages de lecture, j’ai honte de verser des
larmes sur ton peuple, j’ai honte d’avoir la gorge serrée alors que je lis dans
le confort de la paix et l’estomac rempli. Surtout que vivante, tu ne le seras
plus, tu ne l’es déjà plus…
Rima
c’est l’histoire d’une jeune fille muette dans le pandémonium syrien. Atteinte
d’une maladie étrange, elle ne peut s’arrêter de marcher dès qu’elle est
debout. Raison pour laquelle sa mère l’attache avec une longue corde pour
éviter qu’elle parte trop loin. Un jour, pour aller voir une amie
bibliothécaire, la mère et la fille
traversent la ville de Damas et lors d’une énième check-point, la maman
est tuée et la fille blessée. Transportée dans un hôpital prison, Rima découvre
l’horreur en temps réel et les conditions de « détention sanitaire ».
Récupéra par son frère, qui l’attache à son poignet, elle part dans la Ghouta,
là où son cher frère disparaîtra à son tour…mais il a le temps lors du gazage
massif de demander à son ami Hassan de prendre soin de sa sœur. Jusqu’au jour
où…
Rima
dessine, raconte. Puise toute l’énergie possible dans les réminiscences de ses
lectures, principalement « Le petit prince » et « Alice au pays
des merveilles » et dans l’écriture, ses feuilles de papier où elle narre
toute la solidité d’une tragédie. Elle arrive encore à rêver, pour supporter la
pluie d’horreur s’abattant par torrents, a parfois espérer, a parfois attendre
la mort.
Par
ce récit d’une force inénarrable l’écrivaine syrienne Samar Yazbek dresse un
constat plus qu’étourdissant et sombre sur un pays en guerre depuis 7 ans et
sous la domination clanique des el-Assad depuis 1970. Elle est devenue une voix
pour les milliers de syriens qui ne peuvent s’exprimer, qui ne peuvent plus
crier leur souffrance. Son précédent récit « Les portes du néant »
était déjà déchirant, avec « La marcheuse », c’est un pas de plus
dans la descente du domaine d’Hadès, des flammes de sang projetées sans pitié
sur un peuple qui ne demandait qu’un peu de liberté. Le récit regorge de
métaphores sur la double peine d’être une femme en Syrie : on ne peut
parler, on ne peut se déplacer librement seule, la violence fait la loi,
qu’elle vienne du pouvoir en place ou de l’extrémisme religieux.
Ce
livre est d’une beauté scripturale pour relater les ténèbres d’une guerre, la douleur
d’un peuple, le désespoir sans aucune lumière de survie, sans le souffle d’un
apaisement. Témoignage sans censure de la dictature des bombes qui brise le
destin d’une jeune fille qui découvrait
l’émergence de l’amour et n’avait qu’une
ambition : vivre. Mais de marcher, ses jambes se sont arrêtées…
« Et c’est
seulement alors que mon frère s’est tourné vers moi. Son regard était vide,
comme celui des chats morts dans notre ruelle. Quant à moi, sous le ciel décoré
de loupiotes argentées, j’ai remarqué ces petites coulées très douces que les
larmes avaient sculptées en serpentant le long de ses joues. Nous venions de
pénétrer dans la zone de siège. »
« Quand Hassan a
saisi mes doigts, j’ai recommencé à respirer, et cette obscurité moite
imprégnée de l’odeur détestable m’est sortie du corps par le ventre et par les
yeux. Pendant ce temps, je plongeais mon regard dans les yeux d’Hassan, ceux-ci
étaient nets, ou plus précisément ils étaient inondés. Tu sais ce que ça
représente, des yeux trempés de cette eau qu’on appelle des larmes ? »
« C’était un
phénomène déroutant pour moi : que les gens se volatilisent d’un coup
comme s’ils n’avaient jamais existé. J’y ai beaucoup réfléchi, avant de
comprendre que toute réflexion était vaine, sachant que nous ne sommes en
définitive même pas capables d’assurer notre survie. »
« Le temps était
semblable à cette période qui s’est écoulée avant que je naisse. Il n’était
rien, et aujourd’hui il n’est rien. Je ne le comprends plus. Je ne le reconnais
plus. Et je reste accrochée à un point fixe, comme les aiguilles d’une horloge
qui tourneraient en sens inverse de la normale. »
La marcheuse – Samar
Yazbek – Traduction : Khaled Osman – Editions Stock – Août 2018
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