Une noisette, un livre
La saison des fleurs de
flamme
Abubakar Adam Ibrahim
Nous
ne sommes pas en Italie mais au Nigeria, pas à Vérone mais à Abuja. Pas
d’amours adolescentes et pourtant des amours interdites : celle d’une
femme d’âge mature, pieuse, veuve depuis 10 ans et d’un jeune homme faisant la
loi à San Siro entre vols et trafic d’herbes en tout genre. Au milieu, des
familles, la tradition africaine, la religion musulmane et un pouvoir politique
corrompu. Une tragédie en trois actes pour un roman qui soulève tabous,
violences et un complexe d’Œdipe revisité.
Lorsqu’
un voyou cambriole le domicile d’Hajiva Binta, ce jour-là tout va basculer pour
elle. Sous la menace du couteau, elle résiste, regarde cet homme qui lui fait
tant penser à son fils Yaro disparu, abattu,
lui aussi trafiquant en haschich et autres substances illicites ;
ce qu’elle ne se doute pas c’est qu’au même moment Reza regarde cette femme en
se remémorant le parfum de musc de sa mère, cette mère quasi inconnue et si
absente. De cette rencontre brutale, va naître un amour charnel, passionné mais
ô combien condamné par la morale. Des rendez-vous cachés pour ne pas éveiller
les soupçons, des doutes chez l’un comme chez l’autre et une culpabilité pour
Binta, celle de jouir avec cet homme comme elle ne l’a jamais fait avec feu son
mari. Elle, va continuer à vivre comme si de rien n’était avec ses enfants, ses
petits-enfants, ses nièces même si au fur et à mesure un flottement s’installe
dans la béatitude. Lui, poursuit ses « affaires » notamment avec un
sénateur corrompu, refusera de suivre les conseils de Binta parce que trop écorché
vif.
L’écriture
est sublime, des courbes poétiques alternent sur des mouvements d’excès,
d’agressivité, la vulgarité des dialogues face à la beauté de la sémantique.
Un
roman subversif, courageux qui détaille avec maestria l’impossible
rapprochement des antagonismes sous le
joug des doctrines établies. Malgré la rudesse du fond, c’est un livre qui
amène curieusement une tranquillité tant la construction est accomplie et chaque
chapitre amené par un subtil proverbe africain : « Aussi loin qu’une
pierre soit lancée, elle finira toujours par retomber » ; « Ne
prends pas la peine de regarder l’endroit où tu es tombé, regarde plutôt celui
où tu as glissé » ; « Un serpent peut changer de peau, il reste
un serpent » ; « On ne peut cacher dans un sac un animal à
cornes ».
La
pudeur des sentiments est omniprésente, chacun essayant de s’exprimer sans trop
en dire, préférant parfois le langage universel et sincère du regard ; une
délicatesse tente de se frayer un chemin malgré l’adversité, les blessures, les
souvenirs moribonds, l’odeur des cafards… Ces cafards introuvables et qui se
cachent parfois à l’intérieur des corps comme ceux de ces politiques corrompus,
cyniques, montrant une certaine empathie dès qu’il s’agit de servir leurs
intérêts au prix de la chair, du sang, mêlant démagogie et autoritarisme pour
aboutir à leurs plus abjects objectifs de pouvoir et de luxe.
Une
histoire qui souffle le chaud et le froid comme l’harmattan chargé de ces
poussières qui empêchent aux êtres de s’épanouir, desséchant les âmes et
laissant des larmes de sang sur le chemin des destins.
« Elle regardait le
massif de pétunias que Hadiza avait planté avec amour pour mettre un peu de
couleur dans ce jardin envahi de petits oiseaux dès le lever du soleil. Ce fut
à ce moment précis, devait-elle songer plus tard, que les pétales de sa vie,
pareils à un bourgeon qui avait enduré un demi-siècle de nuits, se mirent à
s’ouvrir enfin. »
« Binta se
précipita vers sa chambre, verrouilla la porte et alluma deux bâtons d’encens,
contemplant la jolie fumée s’élever en tournoyant vers le plafond. Mais les
miasmes si caractéristiques du péché perdurèrent. Elle alluma alors deux bâtons
de plus et de dirigea vers la salle de bains pour y laver les traces de ses
errements. »
« Son regard
s’était arrêté sur un point au-delà des murs beiges, sur ces prairies
lointaines illuminées par les seules flammes de son imagination. »
« De l’autre main,
elle prit le roman qu’elle lisait avant de s’endormir. En observant le visage
transi d’amour de la fille sur la couverture, elle rêva de disparaître entre
ces pages et de ne faire qu’une avec ces mots. Qu’il n’y ait plus que des
phrases, qu’une intrigue, que de l’amour, où de tendres conversations sont
murmurées, nimbées par les voiles de l’adoration. Que tout finisse par des
mariages. En happy ends parfumés. Sans sang, sans chairs mutilées, sans
cauchemars aux couleurs douloureusement sombres. «
« Elle ouvrit le
dernier tiroir de sa coiffeuse et en sortit l’album photo relié cuir. Avec
tendresse, elle le débarrassa de sa pellicule de poussière et le pressa contre
sa poitrine. Les cendres de la mémoire s’agitèrent et elle eut l’impression de
sentir le temps disparaître. Elle retrouvait le goût des larmes amères, elle
revoyait les sourires, les clins d’œil mystérieux et les petits fragments de
vie quotidienne qui fusionnaient les uns avec les autres pour former le trésor
de son passé. »
La saison des fleurs de
flamme – Abubakar Adam Ibrahim – Traduction Marc Amfreville – Editions de L'Observatoire - Août 2018
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