Une noisette, une rentrée littéraire #4
Ce qu’ici-bas nous
sommes
Jean-Marie Blas de
Roblès
Augustin
Harbour échoue dans une mystérieuse oasis du Sud libyen : Zindãn. Comme un
petit prince parmi les sables il avance et va découvrir un monde inconnu,
sibyllin, où, parait-il, Dieu vit en compagnie d’une ténébreuse et envoutante
vestale, Maruschka Matlich.
Ville
pas encore engloutie, notre brave explorateur loge dans une maison de feu une
habitante et est accueillie par Naïma qui l’invite rapidement à une soirée
funéraire pour célébrer le départ d’une tante… autour d’un curieux plat de
semoule…
C’est le début de métamorphoses fantasmagoriques, le sieur Harbour va se fondre progressivement dans les croyances locales, les coutumes et mœurs, souvent avec étonnement, parfois avec répulsion, faisant chemin avec une Adelaïde, personnage singulier, qui elle aussi va se mouvoir pendant un laps de temps au sein de cabalistiques traditions.
Mais quel étrange pays ! Insolite jusqu’au grain de sable, un cabinet de curiosités illustré en mots et dessins par Jean-Marie Blas de Roblès, le tigre revenant chez lui. Un pays où les livres sont puisés dans des mines et font office de monnaie, où les confidences sont enregistrées dans de la terre cuite, où les vêtements sont les ennemis du corps… Parmi les différents clans, existe « Les Trayeurs de chiennes’, quartier réputé pour ses fromages au lait de la femelle du chien et où les canards chassent mieux les rats que les chats ; d’ailleurs, de félins il n’y en a point et la communauté est dirigé par un certain Al-Fassik ayant pour épouse une certaine « Canicula », ça ne s’invente pas, foi de romain !
Voyage livresque exquis, d’une finesse à rendre un hippopotame danseur étoile et d’une fantaisie aux allures de divins mensonges, où l’on pourrait s’égarer encore entre chimères et rêves éphémères. Dans cette expédition où la fable est le maître-mot – je vous laisse découvrir cellee du Phasme et de l’Orme – se cachent en réalité une galerie de personnages plus ou moins facilement reconnaissables et moult références littéraires, antiques et bien évidemment mythologiques, sans omettre ce qui est devenu le plat de résistance chez le truculent écrivain : l’archéologie.
Noisette sur le livre : les illustrations par l’auteur lui-même ajoutent une plus-value à la lecture, toutes plus farfelues les unes que les autres et où sur l’une d’entre elles, l’écrivain se caricature lui-même. Ingéniosité solaire dans cette oasis de volupté cérébrale.
Humoristique mais pas que. Caustique aussi par le regard porté sur les excès des civilisations, sur les croyances, les jugements à l’emporte-pièce, la technologie… un dédale foutraque sur tous les dérèglements de l’univers. Toute logique est exclue, la folie faisant vivre ce qui nous manque ici-bas. En fait, Jean-Marie Blas de Roblès nous renseigne peut-être sur notre monde…
Savamment drôle, drôlement savant.
« Par une bizarrerie qui rapproche la ville des cités grecques de l’Antiquité, toutes les portes des maisons s’ouvrent vers l’extérieur. On le sait, nous dit Plutarque, d’après les comédies où les personnages qui veulent sortir de chez eux frappent d’abord à leur porte ou signalent son ouverture imminente par quelques bruits, de façon à ce que quiconque passant dans la rue à ce moment-là puisse s’écarter à temps. Ainsi font les habitants de Zindãn, sans éviter des accidents peu nombreux, certes, mais toujours spectaculaires ».
« Si tu décris une chose au lieu de te borner à la nommer, conseillait déjà Aristote, tu feras plus forte impression : ne dis pas « un cercle » mais plutôt « une surface qui s’étend sur une longueur égale dans toutes les directions ». Les adeptes du beau langage obéissent à cette règle de manière systématique. J’ai noté « Ils joignirent les orifices supérieurs de leurs tubes digestifs » pour « Ils s’embrassèrent » ou, parmi d’autres, « Se brosser la cervelle au dentifrice du rêve » pour le simple fait de « somnoler ». La matière du discours varie énormément selon les individus ».
Ce qu’ici-bas nous sommes – Jean-Marie Blas de Roblès – Editions Zulma – Août 2020 – Rentrée littéraire 2020
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