Une noisette, une rentrée littéraire #2
Aline et les hommes de
guerre
Karine Silla
Il
était une fois, un pays et un fleuve au bord de l’Océan Atlantique peuplé de
femmes et d’hommes qui vivaient en connexion avec la nature, échangeaient par
le troc et avaient juré de ne pas faire la guerre. Ce peuple était les Diolas
qui ne se méfièrent pas lorsqu’au milieu du XV° siècle des hommes blancs
débarquèrent, acceptant d’aller à leur rencontre et recevant avec gratitude les
présents offerts. Les navigateurs portugais ébahis par la profusion des
richesses prévinrent les autorités de la nécessité d’occuper le pays, d’autant
plus réalisable que les indigènes présents fussent pacifiques et se laissassent
apprivoiser…
Rapidement, la France lorgne sur cet éden et c’est le début de la fin d’une histoire africaine faite de déportations, de viols, de crimes, de vols au nom de la civilisation. Au fil des siècles, certains autochtones se plieront aux lois importées, d’autres vont se rebeller. A la fin des années 30, Aline Sitoé Diatta sera l’une des voix à revendiquer le droit de jouir des terres comme le faisaient les ancêtres. Une guerrière pacifique dont la seule arme sera la parole. Née au début des années 20, son père Assonelo meurt lorsqu’elle est encore une très jeune enfant et sera confiée à son cher oncle Elaballin. Quelque chose émane de cette très jeune fille, inénarrable, mystérieux. Un conteur, Diacamoune, tirailleur sénégalais, croit rapidement en elle, elle peut devenir une nouvelle Nehanda. Hélas, son combat se terminera en 1944 dans une prison sordide et dans des conditions qui rappellent celles mises en place au même moment par des envahisseurs quelque part en Europe…
Karine Silla signe un roman biographique magistral rendant hommage à tous les vaillants combattants de la liberté et en mettant en lumière un personnage incontournable de l’histoire africaine bien trop resté dans l’ombre. Le livre est une immense navigation dans les profondeurs d’une colonisation avec les différentes houles qui se sont acharnées sur les êtres humains, sur la faune et la nature pendant plusieurs siècles. Sous le discours bienveillant des colonisateurs voulant absolument convertir le coup de pied au cul en vertu éducative et désirant ardemment gommer toute trace culturelle pour mettre en place l’unique grandeur occidentale, beaucoup ont pu croire en toute bonne foi le bien fondé de cette politique dominatrice. A l’image de Martin, personnage qui a réellement existé, qui peu à peu réalise que le sort du peuple noir est affreusement sinistre et tentera même de sauver Aline.
Karine Silla n’est pas seulement une auteure, elle est également un aède dessinant des mots sur les pages pour que chaque phrase devienne un subtil alliage entre beauté de l’écriture et omniscience historique. Car il est impossible de rester insensible non seulement au parcours d’Aline mais au destin transformé en géhenne de millions de personnes qui n’avaient plus le droit de vivre sur leur sol avec leur propre histoire. Malgré la quantité de romans et de documents lus sur la tragédie africaine, ce récit est d’une émotion sans précédent, aussi magnifique que funeste, aussi déchirant que réconfortant. Réconfortant de rencontrer par la littérature qu’aujourd’hui des femmes et des hommes perpétuent la mémoire des héros oubliés, dénoncent les crimes du passé et mettent tout leur cœur à honorer les esprits de lumière pour ensevelir le nauséabond de l’inhumanité.
Se demander si l’âme d’Aline Sitoé Diatta ne souffle pas dans ce livre, dans ce chant à la terre, aux hommes, à la nature, avec l’aube d’une espérance sur la réconciliation entre les êtres habitant le monde.
« Le bruit court dans toute la région, on accourt pour écouter la jeune prophétesse. Elle clame la non-violence. C’est sans armes qu’elle compte s’attaquer au pouvoir colonial. Elle est brillante, instinctive et habitée. Ses idées sont précises et elle les formule avec conviction. Elle passe de maison en maison, guérit les malades avec l’imposition de ses mains et remonte le moral des familles accablées par l’impôt ».
« Sigi, cette ville des bords du fleuve, qu’on pleure encore, lieu de calme et de paix où même les guerriers n’aiment pas la guerre. Sigi veut dire « assieds-toi ». Assieds-toi pour contempler la beauté du monde qui t’entoure, pour te réchauffer l’âme sous les rayons du soleil qui traversent l’épais feuillage des mangroves. Assieds-toi pour prendre le temps de remercier l’univers de t’avoir tant gâté. Après le passage des barbares, la ville changea de nom. Sigi-thior, assieds-toi et pleure. Pleure ton Paradis perdu. Pleure le sang de tes enfants, morts au bout de leurs fusils, qui hantent tes nuits, le regard éperdu face à l’impuissance de leurs pères qu’ils croyaient des héros. Pleure le ventre souillé de tes femmes qui avant d’être brûlées ont été déchirées ».
« Dès que les uns tapent du poing sur la table, les autres redistribuent les parts de territoire, rééquilibrent le partage du berceau de l’humanité, sans tenir compte des peuples et des différents royaumes. Heureusement qu’ils sont entre puissances impérialistes et qu’aucun Africain n’est là pour décider du sort de leur pays. Ce serait bien trop long, il faudrait prendre en compte les traditions et les superstitions. Ils pourraient avoir leur mot à dire, les empêcher peut-être de séparer les tribus en quatre et de profiter de leur terre ».
« Nehanda sait maintenant qu’elle a eu tort de faire confiance à l’envahisseur parce qu’il n’existe pas de bons envahisseurs ».
« J’ai serré dans mes bras mon frère Souleymane, mais aussi des hommes blancs qui avaient les yeux couleur du ciel. Leurs mains couvertes de sang n’avaient plus de couleur. Nous n’étions ni noirs ni blancs, nous espérions seulement entendre un cœur battre, peu importe la couleur de l’homme qui l’abritait. Ces battements de cœur devenaient notre seule espérance ».
« L’évolution de l’homme doit se faire dans le respect de la terre qu’il foule. Les oiseaux ne détruisent pas leurs nids. Si vous ne respectez pas la terre les oiseaux disparaîtront, les abeilles aussi et tous les animaux sauvages qui sont là pour nous remémorer notre lien à elle ».
« La violence est l’arme des faibles ».
« Je rêve d’une réconciliation profonde des deux peuples, le fantasme du blanc et du noir qui s’accouple en dehors de toute tragédie ».
« Pour comprendre l’histoire des hommes il faut tenter de la transcender ».
Aline et les hommes de guerre – Karine Silla – Editions de l’Observatoire – Août 2020 – Rentrée littéraire 2020
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