Une noisette, une rentrée littéraire #3
On ne touche pas
Ketty Rouf
Prénom : Joséphine
Age : 35 ans
Profession :
professeur de philosophie
Signes
particuliers : Ne trouve refuge que dans le Xanax pour supporter le
sentiment de non existence entre une Education Nationale à la dérive, une
hiérarchie enfermée dans une bulle et la vacuité d’une société
Hobby :
la danse
Joséphine aime son métier mais elle désespère de le voir partir à vau-l’eau dans son lycée de Drancy. A quoi sert-elle ? Embarquée dans un navire qui coule par les non-dits, les carcans administratifs et les hallucinations d’une bureaucratie bien installée dans ses fauteuils à l’abri des débordements d’une salle de classe.
Lasse,
son seul plaisir est d’aller à son cours de danse le vendredi soir où elle peut
par son corps déverser toutes les mauvaises énergies qui l’ont pénétrée. Enfin
elle se sent revivre !
Admise
dans un autre cours, elle va danser sur des escarpins de douze centimètres. Au
moment où elle note l’adresse d’un magasin de chaussures inscrite sur le mur de
l’école de danse, une jeune femme
pulpeuse s’approche d’elle en lui remettant un carton où sont indiqués un
prénom, Andrea, un numéro de téléphone – je vous le donne au cas où : 06
12 18 76 95 – et avec la mention de bien vouloir se présenter au casting avec
des escarpins, une robe et de la lingerie. Pas de pilou car les dessous sexy sont préférables, il
s’agit d’un club de strip-tease au doux nom de « Dreams ».
Sans
pratiquement aucune hésitation, la jeune femme va se lancer dans l’expérience
de l’effeuillage devant des hommes qui ne pourront la toucher. Juste la
regarder, se retenir quand elle les frôlera avec ses seins et fera augmenter
leur désir sexuel. Rose Lee est née.
Un seul conseil, déshabillez ce roman, pas trop vite. Effeuillez chaque page, tourner les avec sensualité pour caresser les mots. Lisez avec délicatesse ce qui a été écrit avec souplesse. Voilà un roman où le féminisme met en valeur la femme sans dénigrer l’autre sexe, un roman où la femme accepte son corps, tel qu’il est, avec ses défauts et ses qualités, avec les marques du temps qui sont celles simplement de la vie. Considérer son corps comme un ami et non comme une charge que l’on n’ose plus regarder dans une glace ou par crainte de manquer de pudeur. Le corps fait partie de son âme, l’un ne va pas sans l’autre. User de quelques artifices pour le mettre en valeur mais la protagoniste se limite à quelques touches de maquillage.
De
l’autre côté de la barrière, les hommes regardent mais ne peuvent toucher, le
strip-tease au sein de l’établissement restant un spectacle pour la vue mais
non pour satisfaire une érection.
Sur ce grand théâtre du désir, la primo-romancière fait défiler des portraits attachants de femmes et d’hommes avec philosophie en ne jugeant personne, par le mouvement des corps surgissent les faiblesses et les forces humaines.
L’autre intérêt de cette fiction, est le regard posé sur l’enseignement, l’un des plus beaux métiers du monde parce qu’il est non seulement indispensable mais parce qu’il transmet les connaissances et permet d’ouvrir les portes de toutes les destinées. Seulement, les moyens manquent et la pédagogie de la hiérarchie est quasi inexistante.
Un professeur devant ses élèves, c’est peut-être aussi une sorte de strip-tease, dévoiler les connaissances, donner l’envie du savoir mais en gardant de chaque côté ses distances, maintenir le respect pour continuer à profiter de ce qu’il y a de mieux dans les valeurs humaines.
« C’est en regardant leurs imperfections que j’ai eu le courage de considérer les miennes. Le corps c’est notre histoire, il faut écouter nos mollets tendus sur les talons nous offrant le petit vertige, la peau transfigurée dans l’instant d’oubli qui nous prend, toutes, comme une ivresse ».
« Je suis un fantasme. Depuis 10 jours, je porte la nudité comme un masque. Je me suis appelée Rose Lee et je sens que Rose Lee c’est moi (…) Je surveille un devoir sur table. Morte de fatigue, je n’ai jamais été aussi vivante. Je ne dors presque plus, car dans mes nuits il fait désormais grand jour. J’exulte comme je ne pensais pas qu’il était possible d’exulter (…) C’est ça un fantasme sexuel : fondre dans son propre plaisir ».
« Je veux être Rose Lee. Reine ou pute, qu’importe si les instants les plus heureux de ma vie je les passe ici, nue, avec les faux cils que Coquelicot m’a offerts ».
On ne touche pas – Ketty Rouf – Editions Albin Michel – Août 2020
Rentrée littéraire 2020
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