Souvenirs d'un médecin d'autrefois

mercredi 5 août 2020

Une noisette, un livre
 
A la Verticale de soi
Stéphanie Bodet

 

A la Verticale de soi est bien davantage qu’un témoignage d’une jeune femme habitant le monde et grimpant aux sommets de son immensité. C’est un infini de bienveillance, de douceur, une ode à la nature et à ses pouvoirs mirifiques, un baudrier pour les jours sombres et incertains, un bréviaire pour celles et ceux qui souhaitent, qui aimeraient que le temps soit parfois suspendu pour mieux admirer les vallées, pour mieux recueillir les petites choses de l’univers qui vous entourent et en tirer toute la beauté qui en découle.

Mariant aisance du récit et volupté de la plume, Stéphanie Bodet raconte son enfance, ses premiers pas sur les rochers, les falaises ; raconte cette envie de se reconvertir en lézard humain pour ramper sur les pierres d’où se dégage une puissance insoupçonnable ou en chamois des hautes montagnes pour escalader les longueurs de l’existence ; ce désir d’ouvrir de nouvelles voies pour rencontrer l’autre, qu’il soit humain, animal ou végétal. Et apprendre combien l’infiniment grand transforme votre âme en guide de l’humilité.

Une large place est évidemment dédiée à sa principale activité depuis plus de vingt ans : l’escalade. De ses falaises de Céüse au massif du Mont-Blanc, l’alpiniste aventurière a franchi toutes les parois qui paraissent, aux yeux du profane, inaccessibles, et parfois surmontées dans des conditions plus que périlleuses et quasi surhumaines. De sa chute depuis la paroi de Tagougimt dans le Haut-Atlas et sa « pierre miraculeuse » jusqu’au Salto Angel, en passant par El Capitan, le Karakoram… sans oublier cette paroi à couper le souffle : la majestueuse Fleur de Lotus. Vertigineux ! Et encore plus lorsque soi-même on commence à déjà chanceler en haut d’un escabeau de cinq marches…

Cette progression vers les hauteurs ne s’est pas effectuée en solitaire. En février 1995 lors d’un stage professionnel à Aix-en-Provence elle rencontre celui qui est déjà un champion et qui deviendra son compagnon de cordée et de vie : Arnaud Petit. Une complémentarité exemplaire pour franchir les défis de l’impossible, un binôme équilibré pour des chemins d’équilibristes. Entre eux des parallèles de différences mais pourtant les croisements se forgent au gré des verticales. Un amour est né, un amour vivra, un amour se forgera comme si la caresse des pierres devenait un catalyseur pour enflammer les deux cœurs.

Deux cœurs à l’unisson pour un terriblement blessé, meurtri. Le 23 juillet 1996, dans tout l’éclat de ses quinze ans, Emilie, la petite sœur s’en va rejoindre les étoiles. Comment expliquer l’inexplicable… Pour qui connaît hélas ces drames au sein d’une famille, une empathie se forme pour cette résilience que Stéphanie et ses proches vont se forger. Continuer pour ne pas oublier, rallumer les étincelles d’une trop courte vie dans l’invisible du firmament.

Une narration d’une sensibilité extrême mais qui laisse entrevoir en transparence un tempérament de courage, et, la fragilité d’un corps – l’auteure est asthmatique – qui puise ses forces dans des rêves, dans la conviction de surpasser ses craintes et angoisses. Page après page, les mots suivent une cordée avec des refuges de réflexion, de philosophie, de déclarations à la beauté de l’espace. Même pour un non alpiniste, aucun décrochage, juste la curiosité et la satisfaction de suivre l’ascension livresque grâce à ces pitons de poésie si justement posés.

Pour qui lira lentement, pour qui franchira dans un lâcher-prise les 290 pages, apparaîtra une source de bien-être, un pétillant d’énergie positive pour dynamiser l’appétit de vivre. Le tout baigné dans les effluves d’une encre scripturale qui fait monter d’un cran notre soif de littérature et nous porte vers une précieuse alacrité. Le vœu d’Hörderlin a été exaucé, Stéphanie Bodet faisant « habiter poétiquement la terre ».

Verticalement harmonieux, harmonieusement vertical.

« Quelque chose au fond de moi me soufflait que l’existence que chacun de nous s’échine à mener n’avait rien de sérieux. Que la vraie vie était ailleurs et non dans les mille tracas quotidiens qui vrillent l’estomac et nous fait les nuits blanches. On peut décider de s’alarmer à tout propos ou décider de lâcher du lest en souriant à l’aube et s’élever dans l’air comme une montgolfière. Inutile de rajouter de la souffrance à celles, bien réelles, que les jours vous apportent tôt ou tard, me disais-je en repensant au départ d’Emilie. Il y a les vrais soucis et ls autres. Ces derniers, autant les circonscrire et les considérer comme des farces ».

« Si la vie nous semble absurde parfois et dénuée de sens, rien ne s’oppose à ce que nous lui en donnions un ! »

« Je rêve d’un livre dans lequel la mésange aurait sa trille à lancer. Un livre musical, rythmé par le cliquetis de la pluie et le souffle du vent. Un livre qui ouvrirait sur la vie ».

« De retour à Hushe, nous trouvons une voiture pour nous ramener de l’autre côté de la montagne, direction Askole au départ du glacier du Baltoro. La rivière Shyok a enflé et emporté sur son cours tous les champs de blé patiemment cultivés, ainsi que les habitations qu’il faudra reconstruire à l’écart des rivages tumultueux. Dans l’un de ses ouvrages, Sylvain Tesson qualifie la France de « paradis peuplé de gens qui se croient en enfer ». En revoyant la mine épanouie de notre chauffeur et de son ami, j’ai le sentiment qu’ici, c’est l’inverse ».

« Il n’existe pas de réponse unique à la vie et à ce qui nous arrive ».

« Il est souvent plus aisé de discourir de la sagesse que de la vivre ».

« Se laisser porter par la montagne pour devenir Atlas à son tour, et soulever son havresac avec plus de grâce, de légèreté. S’en affranchir soudain et finir avec une plume sur le dos, pour mesurer que le poids du fardeau n’est bien souvent que celui que nous lui donnons ».

A la Verticale de soi – Stéphanie Bodet – Préface de Sylvain Tesson - Editions Paulsen Collection Guérin Chamonix – Septembre 2016

Note : le dernier ouvrage de Stéphanie Bodet est un roman, Habiter le monde, et vous pouvez retrouver ma chronique ICI lors de sa sortie en 2019


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