vendredi 2 novembre 2018


Une noisette, un livre


 Trancher

Amélie Cordonnier




Trancher : résoudre une question, un dilemme, une situation. En prenant une décision courageuse. Interrompre le cours de ce qui anéantit. Briser, séparer ce qui est séparable. Arrêter. Décider.

Aurélien est un mari violent, peu de gestes mais des mots, des paroles qui brisent, des phrases qui projettent son épouse vers un abysse psychologique. Peu de temps après leur mariage et la naissance de leurs fils Vadim, les invectives ont commencé, plongeant la narratrice dans une dépression. Puis, après une thérapie suivie par son mari, elle a décidé d’oublier les joutes verbales, elle lui a pardonné ; il était si gentil, si charmant en dehors de ces crises, il était si malheureux de ne pouvoir maîtriser ses pulsions. Le couple se reforme et Romane voit le jour. Tout semble aller dans le meilleur des mondes. Sauf un jour où Aurélien s’emporte, traite, devant les enfants, sa femme de « salope », de « conasse » de « la mettre en miettes ». Tout s’effondre, sept ans après le nouveau départ. Que faire ? Partir ou rester ? Subir ou se rebeller ? Pardonner ou tout quitter ? Entres les crises de violence et les moments de rédemption, que peut-on espérer, reconstruire ? Comment résister et ne pas culpabiliser ? La violence verbale est un plat qui mijote sournoisement.

Amélie Cordonnier signe un premier roman absolument affûté et piquant sur la violence conjugale, celle qui se cache entre quatre murs, qui murmure doucement puis de plus en plus fort jusqu’au jour où ça gronde, où le tapage de vocables cogne, résonne, assourdit. Même si le corps semble rester intact par l’absence de coups physiques, il est quand même brisé, fatigué, exténué. Heureusement, les enfants sont là, à l’abri mais les séquelles apparaîtront. C’est le destin de (trop) nombreuses femmes qui subissent en silence par peur de tout perdre mais aussi parce que l’homme qui est en face d’elle sait se montrer prévenant, peut faire preuve de grande tendresse et promettre de ne plus recommencer. Jusqu’à la prochaine fois.

Un récit brut et réel qui met le doigt sur ce qui fait mal, sur cet interminable combat entre le refus de continuer à se faire insulter et la tristesse de voir son compagnon aussi déconcerté que soi-même. Tout quitter ou revenir et recommencer en sachant « que le temps perdu qui passe ne se rattrape guère ».C’est fort, puissant. Tranchant !

« Tu es revenue à cause d’un jean qu’épousait parfaitement son cul ».

« Depuis quelques jours, tu ne lui réponds plus. Tu te tais. Tu attends, en silence, que la violence retombe. Que son accès de colère se vide comme le pus d’un abcès. Cela se fait plus rapidement qu’avant. Ses crises s’éternisent moins et il fait son mea culpa ».

« Tu n’es pas la gourde, la bonne à rien, la fille incapable et médiocre qu’il décrit. Ses éclats, désormais, tu t’en moques. Lorsqu’ils explosent, tu les tournes en dérision. Tu te fous de leur gueule. Et c’est peut-être l’ironie qui les désamorce le mieux. Tu n’angoisses plus à l’avance. Tu as appris à apprivoiser ta peur et même à résister au rouleau compresseur. Tu ne vois plus, tu bois seulement la tasse. Tu vois arriver la vague de loin ».

« Il est un fils qui tient à regarder sa mère droit dans les yeux pour lui assurer qu’elle vaut tellement mieux ».

« Quand on ne sait pas répondre aux questions des enfants, il faut avoir le courage de le leur avouer ».

« Le plus souvent, les mots que l’on emploie ne sont pas neutres. Ils sont par leur sens même valorisants ou dévalorisants ».

Trancher – Amélie Cordonnier – Editions Flammarion – Août 2018



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