Une noisette, un livre
Trancher
Amélie Cordonnier
Trancher :
résoudre une question, un dilemme, une situation. En prenant une décision
courageuse. Interrompre le cours de ce qui anéantit. Briser, séparer ce qui est
séparable. Arrêter. Décider.
Aurélien
est un mari violent, peu de gestes mais des mots, des paroles qui brisent, des
phrases qui projettent son épouse vers un abysse psychologique. Peu de temps
après leur mariage et la naissance de leurs fils Vadim, les invectives ont
commencé, plongeant la narratrice dans une dépression. Puis, après une thérapie
suivie par son mari, elle a décidé d’oublier les joutes verbales, elle lui a
pardonné ; il était si gentil, si charmant en dehors de ces crises, il
était si malheureux de ne pouvoir maîtriser ses pulsions. Le couple se reforme
et Romane voit le jour. Tout semble aller dans le meilleur des mondes. Sauf un
jour où Aurélien s’emporte, traite, devant les enfants, sa femme de
« salope », de « conasse » de « la mettre en miettes ».
Tout s’effondre, sept ans après le nouveau départ. Que faire ? Partir ou
rester ? Subir ou se rebeller ? Pardonner ou tout quitter ? Entres
les crises de violence et les moments de rédemption, que peut-on espérer,
reconstruire ? Comment résister et ne pas culpabiliser ? La violence verbale
est un plat qui mijote sournoisement.
Amélie
Cordonnier signe un premier roman absolument affûté et piquant sur la violence
conjugale, celle qui se cache entre quatre murs, qui murmure doucement puis de
plus en plus fort jusqu’au jour où ça gronde, où le tapage de vocables cogne,
résonne, assourdit. Même si le corps semble rester intact par l’absence de
coups physiques, il est quand même brisé, fatigué, exténué. Heureusement, les
enfants sont là, à l’abri mais les séquelles apparaîtront. C’est le destin de
(trop) nombreuses femmes qui subissent en silence par peur de tout perdre mais
aussi parce que l’homme qui est en face d’elle sait se montrer prévenant, peut
faire preuve de grande tendresse et promettre de ne plus recommencer. Jusqu’à
la prochaine fois.
Un
récit brut et réel qui met le doigt sur ce qui fait mal, sur cet interminable combat
entre le refus de continuer à se faire insulter et la tristesse de voir son
compagnon aussi déconcerté que soi-même. Tout quitter ou revenir et recommencer
en sachant « que le temps perdu qui passe ne se rattrape guère ».C’est
fort, puissant. Tranchant !
« Tu es revenue à
cause d’un jean qu’épousait parfaitement son cul ».
« Depuis quelques
jours, tu ne lui réponds plus. Tu te tais. Tu attends, en silence, que la
violence retombe. Que son accès de colère se vide comme le pus d’un abcès. Cela
se fait plus rapidement qu’avant. Ses crises s’éternisent moins et il fait son
mea culpa ».
« Tu n’es pas la
gourde, la bonne à rien, la fille incapable et médiocre qu’il décrit. Ses
éclats, désormais, tu t’en moques. Lorsqu’ils explosent, tu les tournes en
dérision. Tu te fous de leur gueule. Et c’est peut-être l’ironie qui les
désamorce le mieux. Tu n’angoisses plus à l’avance. Tu as appris à apprivoiser
ta peur et même à résister au rouleau compresseur. Tu ne vois plus, tu bois
seulement la tasse. Tu vois arriver la vague de loin ».
« Il est un fils
qui tient à regarder sa mère droit dans les yeux pour lui assurer qu’elle vaut
tellement mieux ».
« Quand on ne sait
pas répondre aux questions des enfants, il faut avoir le courage de le leur
avouer ».
« Le plus souvent,
les mots que l’on emploie ne sont pas neutres. Ils sont par leur sens même
valorisants ou dévalorisants ».
Trancher – Amélie
Cordonnier – Editions Flammarion – Août 2018
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