lundi 12 novembre 2018


Une noisette, un livre


 Marathon rouge sang

Philippe Paillaud




Rouge comme le sang. Un marathon aux couleurs de la corrida où des banderilles de haine ont ensanglanté des courses qui n’avaient pourtant qu’un seul objectif : courir. Courir pour le sport, l’amitié, la passion. Rouge passion.

Sylvie Joubert, fille du sénateur Paul de Lormont est assassinée une fin d’après-midi au cœur de Paris pendant son jogging quotidien. Quelques mois plus tard, c’est un autre coureur, Christian Delmont, qui est tué lors du marathon de Paris. Tueur en série ? Psychopathe ? Les médias friands de sensationnalisme se pressent pour faire monter les enchères (et les audiences).
En parallèle, Bertrand Letellier, journaliste sportif au bord du précipice, commence une renaissance en ayant rencontré une ancienne collègue qui l’engage dans son entreprise blogueuse tout en le remettant en piste sur l’asphalte des joggeurs. Très affecté par ces deux disparitions brutales, particulièrement celle de Christian avec qui il avait découvert un drame commun : leurs pères respectifs ont été assassinés en Amérique du Sud du temps de Pinochet et de Videla. Il va alors peu à peu participer à l’enquête avec le commissaire Dougret.

Et c’est là que se révèle toute la richesse de ce roman noir : un thriller mais pas uniquement. En marge de la narration sportive, c’est une méticuleuse recherche historique qu’a effectué Philippe Paillaud pour retracer le triste et sombre passé de la colonisation française en Algérie et qui plus tard eut une incidence en Amérique Latine : des anciens militaires français (souvent ceux proches de l’OAS) envoyés dans l’hémisphère sud pour « instruire » leurs collègues argentins et chiliens durant les effroyables dictatures. La référence à l’enquête de Marie-Monique Robin (*) est révélatrice. De l’opération Condor à la Coupe du Monde 1978…

Vaste réflexion sur cet héritage déconcertant, sur les alliances avec le diable et sur le travail de mémoire. Mémoire ineffaçable mais qui pose la question de la repentance, du pardon. Pardonner ce n’est pas oublier mais permet de dissoudre la haine pour éviter la répétition de la barbarie, en sachant que les vivants d’aujourd’hui ne sont pas responsables des morts d’hier ou d’avant-hier.

Quant à l’histoire policière, elle est rondement menée et pas que pour une nuit. Malgré le titre pas d’hémoglobine en surplus, pas de détails sordides pour juste contenter le regard voyeuriste ; juste le suivi romanesque d’une investigation sans incohérence technique dans la procédure judiciaire.

Une bonne galopade livresque qui, pour les non initiés comme votre serviteur, fera découvrir le Seven Continents Club (dont l’auteur est membre) et l’univers marathonien ainsi qu’une leçon d’histoire et de philosophie sur les fantômes du passé qui laissent encore passer leur ectoplasme dans l’âme de nos contemporains.

« Pierre savait bien qu’on pouvait effectivement choisir son destin sur des idées, mais aussi que parfois, peut-être même le plus souvent, c’étaient les circonstances qui décidaient. Il se souvenait avoir entendu dire qu’en 1944 à Niort, deux frères avaient épousé une destinée opposée, tout simplement parce que l’un deux était amoureux de la fille du chef d’un réseau de résistants, et l’autre de la fille d’un sympathisant de la milice. A la fin de la guerre, les idées et les choix avaient réuni les deux frères dans le même cimetière, l’un tué par les soldats allemands au cours d’une opération de sabotage, l’autre fusillé par les résistants à la libération. Petits, ils étaient d’accord sur tout et inséparables. Comme à présent dans leur tombeau devant l’éternité ».

« Retiré dans l’obscurité épaisse de son logement, l’homme eut un sourire de satisfaction. Pour l’instant, son plan se déroulait à merveille. Il n’éprouvait aucun remords. Au contraire, il avait vraiment aimé ce qu’il avait fait. (…) Il s’était découvert puissant, dominateur, invulnérable presque. Il s’était senti dans la peau d’un lion quand il traque une antilope ».

Marathon rouge sang – Philippe Paillaud – Editions Cédalion – Octobre 2018

(*) Escadrons de la mort, l’école française – La Découverte – 2004

« On ne doit pas tenir rigueur aux enfants des assassins, des crimes de leurs parents » Robert Badinter

2 commentaires:

Bertrand a dit…

Bonjour Ghislaine,

Ah voilà un livre qu'"il faut absolulent que je lise !:))
Car vous en parlez fort joliment, ma foi

Squirelito a dit…

Bonsoir Bertrand, je transmets à ma doublure humaine ;-) Cela dit, je tiens à préciser que c'est l'écureuil qui fait tout ^^ Oui, c'est un excellent policier car il va bien au-delà de l'enquête policière, bien écrit et aucune incohérence. Mais chut, pas que l'auteur le sache... Bien à vous, Squiri

  Noisette historique La Nuit des ombres  (Les marais de Bourges) Édouard Brasey   Zoé et Jacques s’aiment. Ils n’ont pas encore v...